La bataille des normes, le protectionnisme qui ne dit pas son nom au cœur de l’Union européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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La France souhaite interdire un certain nombre de véhicules de constructeurs allemands.
La France souhaite interdire un certain nombre de véhicules de constructeurs allemands.
©Flickr

Les normes contre-attaquent

La Commission européenne a apporté son soutien à la France qui souhaite interdire un certain nombre de véhicules de constructeurs allemands, dont Mercedes et Daimler, qui ne respectent pas les normes hexagonales en matière de gaz réfrigérant.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Union européenne, dîtes-vous ?  On se demande en effet si nous sommes toujours dans un environnement économique unifié quand on apprend que Mercedes Benz s’est vu interdire de vendre en France un certain nombre de  ses modèles produits depuis le 12 juin 2013 parce que le constructeur utilise un produit interdit en Europe depuis le 1er janvier 2013.

Derrière cette nouvelle surprenante, alors que la crise de l’automobile ne cesse de dispenser ses mauvaises nouvelles sur le marché européen, on pense immédiatement au retour d’un protectionnisme qui se cacherait sous des normes techniques, ces fameux obstacles non tarifaires qui rendent les échanges internationaux si difficiles. Il faut dire également que le marché allemand après une longue période croissance connait également des difficultés. Les ventes ont baissé au premier semestre 2013 de 8%, et même pour le seul mois de mai, de 10%. La Chancelière Merkel  s’est également déclarée tout à fait hostile à l’adoption d’un nouvel objectif européen de réduction des émissions de CO2 pour l’automobile avec une cible moyenne par gamme de 95 g/CO2 par kilomètre en 2020. Industrie phare en Allemagne, l’automobile y dispose d’un soutien inconditionnel de la classe politique.

Quels sont les faits ?  Mercedes Benz a choisi d’installer sur certains de ses modèles les plus récents - classe A, classe B et CLA- un fluide réfrigérant pour ses climatiseurs qui utilise un produit désormais interdit en Europe par la directive 2006/40/EC, le R134a. Or la directive européenne recommande un nouveau produit, le HFO-1234yf. L’argument avancé par le constructeur pour enfreindre cette réglementation serait le caractère inflammable de ce nouveau produit. Il a même reçu l’aval de l'Office fédéral allemand pour la circulation des véhicules à moteur, le Kraftfahrtbundesamt (KBA), pour continuer à utiliser le produit incriminé. Or selon le fabricant de ce fluide, Honeywell, non seulement le nouveau gaz ne présente pas de risque mais de plus il offre un niveau de qualité environnementale bien supérieur.  D’après Honeywell, en effet, « si toutes les voitures en Europe utilisaient actuellement le HFO-1234yf, les émissions de dioxyde de carbone diminuerait de 8 millions de tonnes chaque année - ce qui équivaut à 4 millions de voitures retirées de la route. » Les spécialistes parlent d’un impact cent fois inférieur sur les émissions de CO2.

Ce qui est curieux, c’est que cette affaire n’est pas nouvelle. Dès l’automne 2012 Daimler avait fait connaître son intention de ne pas utiliser le nouveau gaz en raison de son inflammabilité potentielle. Cette position avait entrainé une première mise en garde très claire du commissaire en charge de l’industrie  dès janvier 2013. « Si Daimler ne se conforme pas à ce critère, ses nouveaux modèles ne pourront pas être réceptionnés (…) La Commission européenne doit veiller au respect de cette législation (…) Ce n’est pas la Commission européenne qui a choisi ce nouveau gaz, c’est l’industrie qui l’a retenu après l’avoir testé et validé ». Daimler avait alors demandé un report de six mois de l’entrée en application de la directive, ce qui a été refusé.

Alors pourquoi un grand constructeur européen, membre de l’Alliance Renault-Nissan, et donc associé à ces deux constructeurs par des liens techniques actifs,  et producteur en France de ses Smart, prend-il ce risque ? Il s’agit en effet de modèles à grande diffusion dans la gamme Mercedes, représentant près de la moitié de ses ventes en France. Le préjudice économique est donc réel pour le constructeur d’autant plus que cette position n’a pas vocation à être limitée à la France. L’argument technique semble en effet peu robuste, car il n’a pas été démontré par les tests, et on voit mal Daimler utiliser un argument économique même si ce gaz coûte environ 80€ le kilo. Les motivations de la firme, qui a été soutenue par une agence gouvernementale, donc par le gouvernement , ne paraissent pas claires en l’état actuel du dossier.

L’affaire paraît en effet mal engagée pour Daimler. La Commission européenne, par la voix du commissaire à l’industrie, Antonio Tajani, a  soutenu la position de la France et même menacé l’Allemagne de poursuite pour infraction, après avoir lancé un pré-contentieux à la mi-juin,  si Daimler persistait dans son attitude, le vente du produit utilisé étant interdite dans tous les pays de l’Union.

Cette partie de bras de fer a connu un (premier) dénouement rapide. Convoqués à Bruxelles par la Commission le 17 juillet, les représentants des États membres ont insisté au cours de ce comité d’experts sur "l'impératif de respecter les règles du grand marché et d'assurer une concurrence loyale entre les constructeurs". Plus encore ils ont demandé que "des mesures soient prises pour que tous les nouveaux modèles commercialisés soient mis aux normes et que ceux qui ne le sont pas soient retirés du marché, comme cela a été fait par un Etat membre". La Commission a donné jusqu’au 20 août  au gouvernement allemand pour qu’il s’explique sur ce dossier.

Geste à coloration nationaliste dans un contexte électoral pour montrer que l’Allemagne ne se plie pas à une directive européenne, maladresse technique d’un constructeur, cet accrochage montre à quel point l’Europe est encore fragile y compris sur les bases de la normalisation technique que l’on considérait comme un acquis robuste. 

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