La base de l'UMP se rêve-t-elle en Tea Party à la française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le courant majoritaire au sein de l'UMP est celui de "la droite forte" qui représente l'aile droite du parti.
Le courant majoritaire au sein de l'UMP est celui de "la droite forte" qui représente l'aile droite du parti.
©Reuters

Best of Bernard

Au mois d'avril, alors que le mouvement anti-mariage homosexuel se radicalisait, l'UMP semblait se laisser déborder par sa base, à tel point qu'un article du quotidien Les Echos évoquait un risque de "tea-partisation".

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Cet article a précédemment été publié le 14 juin 2013. Il est le cinquième volet d'une série best of, qui verra ces prochaines semaines la rediffusion d'articles marquants publiés par nos contributeurs cette année.
Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/contestataire-pulsionnel-et-irrationnel-pourquoi-reduire-vote-fn-ces-seuls-aspects-est-dangereux-guillaume-bernard-810357.html#Qt7lu2C2xMWUpkwF.99
Cet article a précédemment été publié le 14 juin 2013. Il est le cinquième volet d'une série best of, qui verra ces prochaines semaines la rediffusion d'articles marquants publiés par nos contributeurs cette année.
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Cet article a précédemment été publié le 14 juin 2013. Il est le cinquième volet d'une série best of, qui verra ces prochaines semaines la rediffusion d'articles marquants publiés par nos contributeurs cette année.
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Cet article a précédemment été publié le 21 avril 2013. Il est le sixième volet d'une série best of, qui verra ces prochaines semaines la rediffusion d'articles marquants publiés par nos contributeurs cette année.

Atlantico : La radicalisation du mouvement anti-mariage homosexuel semble embarrasser l’UMP. Dans un article des Echos intitulé Mariage homo : l’UMP et le risque de 'tea-partisation', un député filloniste déclare 'ne nous laissons pas piéger. Quand on est un parti de gouvernement, on ne peut pas laisser faire la rue. Sinon on contribue à une déconstruction des institutions de notre République, ce que, bien évidemment, nous ne souhaitons pas'. L’UMP est-il en train de se laisser déborder par sa base ?

Guillaume Bernard : Je n’ai pas lu intégralement l’article auquel vous faîtes référence et je ne sais pas qui en est l’auteur, mais les quelques lignes que vous citez sont caractéristiques d’une manière de penser typique de bien de nos hommes politiques. Deux aspects – deux réductions – peuvent être mis en exergue. D’une part, une réduction de la souveraineté des citoyens à la souveraineté nationale, c’est-à-dire à la démocratie représentative : le Parlement (et en particulier la chambre basse, l’Assemblée nationale) incarne la volonté des citoyens. En votant, ceux-ci sont chargés de désigner des représentants qui ne sont tenus par aucune promesse électorale (le mandat impératif étant prohibé depuis la Révolution). Dans le fond, même si les dispositions constitutionnelles de la Ve République permettent d’avoir recours à la démocratie directe (référendum), cette dernière est mal considérée : elle est perçue comme un ersatz de démocratie. Il est certain que les nouvelles technologies permettraient d’y avoir recours assez facilement et que cela pourrait édulcorer l’utilité et écorner la légitimité des élus qui n’y sont donc pas du tout favorables.

D’autre part, une réduction de la patrie au régime politique. Nos hommes politiques, dans leur quasi-unanimité, communient à la théorie du contractualisme social. A la suite de penseurs comme Hobbes, Locke ou Rousseau, ils pensent (tant dans une version libérale que socialiste) qu’il n’existe pas d’ordre naturel des choses : la sociabilité est artificielle. La volonté des personnes ne sert pas à s’inscrire dans des corps sociaux (famille, nation) qui existent indépendamment d’elle, à se couler dans des institutions qui la dépassent, mais à la créer. Il n’y a pas de société sans contrat social. Dans le même mouvement, la volonté de ceux qui créent la société consentent à l’établissement d’un régime politique (en fonction des auteurs, soit le pacte d’association suffit, soit il doit être suivi par un pacte de sujétion mettant en place les gouvernants). Il n’y a donc de régime politique légitime que celui qui est consenti par ceux qui ont créé la société. En définitive, cela aboutit à tendre vers une confusion entre le corps social et le régime politique. C’est ainsi que ne sont vraiment acceptables que les "valeurs républicaines" ou qu’être Français signifie adhérer aux principes républicains. La France est réduite à son actuel régime politique au lieu que celui-ci soit à son service.

Si une partie des militants et des électeurs de l’UMP (ainsi que des autres partis !) ont conscience de cette philosophie et peuvent y adhérer, ce n’est, à l’évidence, pas le cas de tous. Cela explique que la base puisse se mettre en branle sans le mot d’ordre des cadres, se révolter sans eux voire contre eux. Rappelons, d’ailleurs, que la mobilisation de masse contre le mariage homosexuel est transpartisane et se poursuit, pour l’essentiel, en dehors des partis politiques.

Le courant majoritaire au sein de l’UMP est celui de "la droite forte" qui représente plutôt l’aile droite du parti. Par ailleurs, un sondage Atlantico-CSA révèle que 51% des sympathisants UMP sont favorables aux alliances locales avec le FN tandis que 42% y sont opposés. Les militants de l’UMP sont-ils plus à droite que les cadres du parti ?

Il existe une fracture idéologique au sein de la droite, en général, mais également au sein de l’UMP. Elle est le résultat de deux phénomènes. Le premier est ce qu’Albert Thibaudet a appelé le "mouvement sinistrogyre" : pendant deux siècles, les nouvelles tendances politiques sont apparues par la gauche de l’échiquier politique et ont repoussé sur la droite les idées et organisations nées antérieurement. Se retrouvent donc au sein de la droite des tendances hétéroclites : soit elles ont toujours été historiquement de droite (le catholicisme social), soit ces mouvances viennent de la gauche (en particulier le libéralisme, celui-ci ne devant pas être confondu avec la "simple" dénonciation de la bureaucratie et du fiscalisme). Il y a, là, une première raison de fracture au sein de la droite. La seconde recoupe la première mais est plus large et plus profonde encore : elle réside dans la confrontation (illustrée dans la réponse à la première question) entre les pensées classique et moderne de l’ordre social, de la politique et du droit.

Cette double fracture est une réalité déjà ancienne ; mais elle se révèle aujourd’hui au grand jour en raison des circonstances historiques : d’un côté, la disparition, depuis une vingtaine d’années, d’un ennemi commun (le marxisme-léninisme) qui pouvait souder les diverses tendances classées à droite et, de l’autre, la conjonction des crises (insécurité physique et matérielle, insécurité économique et sociale, insécurité culturelle et morale) conduisant au réveil politique des classes moyennes. Cette fracture idéologique est d’autant plus prégnante et risque de se transformer en crise politique parce qu’elle en recoupe une autre : la cassure entre le peuple et les élites intellectuelles et politiques. Elle manifeste l’incompréhension entre les principaux cadres (pas tous) et une grande part des militants des partis de droite (tout particulièrement à l’UMP). Cela contribue à expliquer pourquoi les frontières partisanes au sein de la droite sont en train de voler en éclats : parce que les enjeux idéologiques de fond les dépassent, parce que nombre de militants et d’électeurs prennent conscience qu’ils sont dirigés et représentés par des personnes qui ne partagent pas leurs convictions. Il va sans dire (mais cela va mieux en le disant) que la fracture idéologique entre classiques et modernes ne recoupe pas la division de la droite en organisations partisanes : il y a des défenseurs de ces deux systèmes de pensée dans tous les partis classés à droite, même si les proportions ne sont sûrement pas les mêmes.

Cette radicalisation de la base de l’UMP qui semble s’opérer est-elle comparable à la "tea-partisation" de la droite américaine ?

Au nom de l’efficacité (électorale) et d’un pragmatisme (politique), les débats idéologiques ont longtemps été étouffés au sein de la droite. Et ce d’autant plus que la droite avait honte d’elle-même. La crise plurielle – identitaire (démographie, immigration, multiculturalisme), économique (mondialisation, délocalisations, stagnation de la croissance, explosion de la dette publique), sociale (insécurité, paupérisation intellectuelle et matérielle), politique (non-représentation de certains courants, perte de confiance dans les institutions), morale (évolution des mœurs, débats bioéthiques), etc. – que traverse la France a conduit au retour en force de l’enjeu doctrinal. Une grande partie de l’opinion publique est en recherche de sens ; la droite n’y a naturellement pas échappé.

Or, les tendances (la "droite forte" à laquelle il est possible d’associer la "droite populaire") qui ont gagné la bataille des motions à l’automne dernier à l’UMP, sont essentiellement sinon parties du moins inscrites dans la base militante et sont sans véritables têtes d’affiche de premier plan. En outre, elles semblent assumer la réalité de la "guerre culturelle" et refuser l’idée du déracinement. Dans ces conditions, il est effectivement possible de considérer que l’UMP connaît une "tea-partisation" partielle. Celle-ci s’inscrit dans le phénomène plus large de la poussée du populisme. Jean-Pierre Deschodt a en effet démontré que l’une des premières manifestations du populisme, à la fin du XIXe siècle, était américaine et s’incarnait dans la défense du protectionnisme. Par ailleurs, le populisme a pu être dénoncé comme une triple simplification : politique (le peuple contre les élites), institutionnelle (la démocratie directe contre la démocratie représentative) et sociale (l’identité du tout contre la somme des parties). Serait-il imprudent de considérer que ce sont, là, des positions que bien des adhérents de l’UMP ont désormais faites leurs ?

Plus qu’à une radicalisation de la droite, assiste-t-on à une recomposition politique de la droite ?

La recomposition du système partisan français s’explique par ce que j’ai appelé – permettez-moi d’y revenir – le "mouvement dextrogyre" qui est l’inverse du sinistrisme (évoqué plus haut) et qui s’est substitué à lui. En effet, l’expansion des idées de gauche a connu un arrêt brutal avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du système soviétique et, ce, d’autant plus qu’un événement cristallisateur, le 11-Septembre, a permis à la droite de substituer un ennemi à un autre, de remplacer l’anticommunisme par l’anti-islamisme.

Depuis une vingtaine d’années en Europe (plus récemment en France), la poussée électorale et l’innovation intellectuelle viennent par la droite. Bien entendu, l’influence intellectuelle et médiatique de la gauche n’a pas disparu. Cependant, la droite n’a plus honte d’elle-même et s’assume de plus en plus. Dans ces conditions, il est logique que la gauche instrumentalise l’accusation de droitisation (radicalisation et glissement vers la droite), car elle lui permet d’espérer la survivance du sinistrisme. Or, le mouvement dextrogyre consiste dans le phénomène inverse : il se manifeste notamment par l’effondrement du PC qui ne doit sa survie qu’à son absorption dans le conglomérat du Front de gauche, le basculement d’une partie du centre-droit au centre-gauche (Modem) ou encore la normalisation du FN et l’effondrement probable du "front républicain" contre ce dernier.

Même s’il vient par la droite de l’échiquier politique, le mouvement dextrogyre n’est pas une création de l’extrême-droite. Etant la manifestation d’un phénomène historique profond, il la dépasse tout en l’englobant. Qu’ils en approuvent ou non les conséquences, les hommes politiques à droite sont désormais confrontés à une alternative : adapter leurs programmes pour maintenir leur positionnement électoral ou accepter de glisser sur leur gauche s’ils entendent maintenir leur discours.

Propos recueillis par Juliette Mickiewicz et Alexandre Devecchio

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