L'urbanisme, cet outil sous-estimé de lutte contre le chômage<!-- --> | Atlantico.fr
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Le lieu de vie dans les zones urbaines peut être un facteur discriminant face à l'embauche.
Le lieu de vie dans les zones urbaines peut être un facteur discriminant face à l'embauche.
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Proximité

S'il n'est pas le premier dans la liste des outils "anti-chômage", l'urbanisme peut jouer un rôle utile pour aider les populations sans emploi à retrouver une activité. Plusieurs pistes existent, plus ou moins discutables et faciles à mettre en œuvre.

En 1965 l'économiste John Kain avait émis l'hypothèse de "l'incompatibilité spatiale" (“spatial-mismatch hypothesis”) : un taux de chômage important dans une zone urbaine s'expliquerait par la "fuite" des emplois vers d'autres zones, couplée avec l'incapacité matérielle des habitants de se déplacer vers les zones d'activité, pour des raisons financières mais aussi raciales. Une récente étude du National Bureau of Economic Research menée auprès de 250 000 chômeurs est venue appuyer cette théorie.

Atlantico : Les réalités urbaines des Etats-Unis et de France vues sous l'angle du chômage sont-elles comparables ? Pourquoi ?

Laurent Chalard : Pas vraiment, les réalités urbaines des Etats-Unis et de la France étant assez différentes du fait d’une géographie des emplois et de la pauvreté fortement dissemblable. En effet, aux Etats-Unis, les plus pauvres habitent en règle générale au cœur des grandes villes (inner cities) alors que l’emploi s’est redéployé depuis la seconde guerre mondiale vers la périphérie, en particulier dans les edge cities, à proximité desquelles vivent les classes aisées dans des banlieues pavillonnaires. Ce redéploiement de l’emploi est à l’origine du phénomène de spatial mismatch. Par contre, en France, les emplois continuent de se concentrer au centre des grandes agglomérations et dans les banlieues proches, ce qui fait qu’une partie des populations les plus pauvres, vivant dans les grands ensembles des villes-centres ou de banlieues, résident à une relative proximité des fortes concentrations d’emploi. Par exemple, à Saint-Denis, le quartier difficile des Francs-Moisins se situe à quelques encablures du stade de France et des bureaux de la Plaine Saint Denis, troisième pôle d’emploi francilien.

D'après une étude de Laurent Gobillon, de l'Ined, l'incompatibilité spatiale existerait aussi en France. Le lieu de vie dans les zones urbaines peut-il effectivement être un facteur discriminant face à l'embauche, et pour quelles raisons ?

Effectivement, même, si comme nous venons de le voir précédemment, elle est moins importante qu’aux Etats-Unis, puisqu’une partie des classes populaires résident près des lieux de concentration d’emploi, l’incompatibilité spatiale existe néanmoins en France pour les populations périurbaines les moins aisées, qui dont dû s’éloigner pour des raisons du coût du foncier très important de leur lieu de travail, résidant dans ce que je désigne le "périurbain subi", ainsi que pour des habitants de villes petites et moyennes en déclin économique qui sont obligés de se tourner vers le marché de l’emploi de la grande ville la plus proche (par exemple, de plus en plus d’habitants de Dreux en Eure-et-Loir vont travailler dans les pôles d’emploi des Yvelines et il en va de même pour Soissons dans l’Aisne vers l’aéroport de Roissy). Pour ces populations, l’éloignement peut-être un facteur discriminant face à l’embauche car les entreprises préfèreront recruter quelqu’un habitant plus près pour une simple raison de meilleure productivité (les gens qui font des longs trajets de migrations pendulaires se fatiguent plus vite).

Un meilleur maillage des employeurs sur le territoire serait-il une solution pour lutter contre le chômage de masse dans certains bassins de vie ? Quel rôle les pouvoir publics peuvent-ils jouer ?

En théorie, la réponse est positive puisqu’une meilleure répartition de l’emploi sur le territoire devrait permettre une réduction des différenciations socio-spatiales au sein du pays. Cependant, en pratique, cette solution est très compliquée à mettre en place car le processus de mondialisation est profondément inégalitaire sur le plan territorial, privilégiant les métropoles au détriment des autres bassins de vie (petites et moyennes villes, espace rural). Donc, son application relève du mythe.

Deux principaux moyens paraissent envisageables pour lutter contre le chômage de masse dans certains bassins de vie. Le premier est l’incitation à la migration des chômeurs résidant dans les territoires en difficulté économique vers les zones créatrices d’emploi, sur le modèle de ce qui se passe aux Etats-Unis. Cependant, ce modèle fait débat, puisqu’indirectement il conduirait au dépeuplement et au quasi abandon de larges pans de notre pays, chose contraire à la tradition républicaine d’égalité territoriale. Le second moyen, si l’on souhaite maintenir une certaine densité de population sur l’ensemble du territoire, est de mener une politique de fortes incitations au développement endogène, à travers des politiques publiques visant à la création d’entreprises et à la promotion de l’innovation en essayant de spécialiser ces territoires sur des "niches" sur lesquels ils sont potentiellement compétitifs. Ce processus passerait aussi par un renouvellement des élites politiques locales (c’est-à-dire un rajeunissement !), qui soient capables de bien comprendre les enjeux de la mondialisation et le fait que la concurrence s’exerce désormais à l’échelle planétaire, et par une amélioration de la formation des populations résidentes.

Même si la formation professionnelle est l'un des éléments essentiels de lutte contre le chômage, la solution passe-t-elle tout de même par un désenclavement de certaines zones ? Dans quelle mesure les deux phénomènes s'imbriquent-ils ?

Aujourd’hui, le désenclavement constitue pour la majeure partie de notre territoire un faux débat. Le maillage autoroutier national est quasiment achevé (à quelques exceptions près) et une large partie du territoire se trouve à une distance raisonnable, si l’on compare par rapport à d’autres pays développés du monde, d’un train rapide et/ou d’un aéroport. En outre, le désenclavement ne crée pas mécaniquement de l’emploi, ayant parfois tendance à avoir l’effet contraire, c’est à dire l’accentuation de la polarisation des villes en déclin par le marché de l’emploi de la grande ville la plus proche.

La formation professionnelle me paraît donc beaucoup plus importante que le désenclavement, mais aussi tout simplement la formation initiale, puisqu’un l’un des principaux problèmes des populations concernées est l’inadaptation aux nouveaux emplois proposés. En effet, l’inégalité face à l’accès à l’enseignement supérieur est la plus forte avec une forte discrimination territoriale pour les jeunes éloignés des grandes métropoles. Si la création d’antenne universitaire locale est souvent contre-productive pour des raisons de taille insuffisante, par contre, il est indispensable de facilité la mobilité des jeunes des espaces périphériques vers les universités et grandes écoles des grandes métropoles à travers des aides financières adéquates, mais aussi l’accès à l’information qui fait grandement défaut chez des populations peu habituées à fréquenter les bancs des universités.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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