L’onde de choc politique des émeutes françaises secoue le reste de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a utilisé des images montrant les récentes émeutes en France après la mort de Nahel dans un clip vidéo publié sur son compte Twitter.
Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a utilisé des images montrant les récentes émeutes en France après la mort de Nahel dans un clip vidéo publié sur son compte Twitter.
©JEAN THYS / AFP

Exportations made in France

Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, a utilisé des images des émeutes en France pour justifier le rejet par son pays du Pacte sur l'immigration et de ses quotas.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Les images de bâtiments et de voitures en feu, de jeunes émeutiers issus de minorités ethniques ont fait le tour de l’Europe et ont été largement commentées. Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, a utilisé les images des émeutes pour justifier le rejet par son pays du Pacte sur l'immigration et de ses quotas. Comment ces images sont-elles utilisées politiquement à l’étranger ?

Christophe Bouillaud : Avec un faible degré de subtilité en fait. Tous les gouvernements plus ou moins hostiles aux autorités françaises actuelles en profitent pour, si j’ose dire, « troller » grossièrement la France, avec trois angles d’attaque principaux.

Soit, cas le plus fréquent en Europe pour les dirigeants de droite ou d’extrême-droite, on constate que, décidément, l’immigration extra-européenne est une bien mauvaise idée et que la France démontre aux yeux de tous à quel point on en arrive finalement avec elle à une quasi-guerre civile.

Soit, comme l’Iran ou la Russie, on se moque sans retenue aucune du pays des droits de l’homme, donneur de leçon en matière de démocratie, en lui rappelant à quel point sa répression policière est violente et disproportionnée. 

Soit, enfin comme la Turquie d’Erdogan, on va expliquer au monde entier, et au monde musulman en particulier, que ces émeutes sont liés au fait que la France n’a pas digéré son passé colonial ou bien, pire encore, qu’elle n’accepte pas en fait la présence de musulmans sur son sol.

Par ailleurs, il faut aussi noter que s’expriment dans les médias de qualité anglo-saxons, comme le Financial Times, ou allemands, des voix autorisées qui voient la cause des émeutes dans le mélange d’incapacité française à prendre de front à la fois les problèmes liés à l’intégration sociale des immigrants et ceux liés à l’état d’esprit et aux pratiques de la police française face aux minorités. Ce point de vue reprend largement ce que peuvent écrire les auteurs de sciences sociales sur ces deux sujets.

Quels autres exemples avons-nous de cette récupération européenne de la situation française ? Quels sont les éléments de langage utilisés pour décrire ces évènements, quels narratifs servent-ils ?

A ce jour, c’est visiblement dans le cadre de la campagne électorale polonaise que la situation française s’avère la plus instrumentalisée, à la fois par le parti au pouvoir, le PiS, et par sa principale opposition, le PO. Le libéral-conservateur, Donald Tusk, le leader de PO, pourtant un ancien président du Conseil européen, après avoir été Premier Ministre polonais, s’est ainsi lancé dans une diatribe anti-immigration. Dans ce cadre, la France sert de repoussoir.

La clé de lecture des événements est clairement focalisée sur le refus de l’immigration en général, et  de l’immigration extra-européenne en particulier, avec l’idée qu’il est impossible d’intégrer des populations de culture ou de religion trop différentes dans un même espace politique et social.

A quel point ces images peuvent-elles servir l’extrême-droite dans différents pays ?

Ces images servent bien sûr l’extrême-droite dans tous les pays européens. Par contre, il ne faut pas aller jusqu’à dire que ces seuls images, ou ces seuls événements, vont changer complètement la donne politique en Europe à la veille des élections européennes. C’est plutôt la répétition de telles images ou de telles situations depuis des décennies qui vont finir par influencer une part de l’opinion publique. Il faut se rappeler ainsi qu’il y a quelques années ce sont des images de jeunes migrants faisant du grabuge lors d’une soirée de Nouvel An dans les rues allemandes au détriment des femmes qui avaient eu le malheur de passer à leur portée qui avaient fait le tour d’Europe.

Tout trouble à l’ordre public, filmable, qu’on peut plus ou moins facilement rattacher à l’immigration ou bien à une minorité peu appréciée des majorités comme les Roms, va permettre de déclencher et de valider un discours de stigmatisation, qui va profiter aux partis qui ont mis les premiers la question de l’immigration ou de cette minorité dans l’espace public.

On a vu aussi des tags de soutien à Nahel fleurir dans différentes villes européennes. Ce qui se passe en France pourrait-il inspirer les jeunesses (de banlieue notamment) à se mobiliser ?

Pour l’instant, il n’y a eu à ma connaissance des troubles, plutôt limités, que dans les parties francophones de la Belgique et de la Suisse. Je ne crois donc guère à une contagion générale. Les espaces médiatiques restent trop séparés entre pays de l’Union européenne, faute d’une langue commune.

Si une telle mobilisation arrivait toutefois, sa carte, probablement très ouest-européenne, serait un argument supplémentaire pour les droites et les extrêmes-droites européennes sur le caractère fondamentalement nuisible de l’immigration extra-européenne. Les émeutes gagneraient-elles l’Allemagne ou les Pays-Bas, que les dirigeants polonais ou hongrois se sentiraient encore plus justifiés dans leur refus de l’immigration extra-européenne.

Peut-on s’attendre à des changements concrets dans les différents Etats européens suite aux émeutes ? En particulier, alors que les européennes de 2024 se dessinent, ainsi que différents scrutins nationaux ? 

Probablement, les événements français serviront d’arguments aux partis hostiles à l’immigration extra-européenne. Mais, à vrai dire, si j’en juge du cas italien que je connais mieux que les autres, ce n’est vraiment pas nouveau. Depuis les années 1990, c’est un lieu commun de la droite italienne dans son ensemble qu’il ne faut pas rater les choses en matière d’immigration comme en France. La gauche modérée italienne, le Parti démocrate, pense largement la même chose, en ayant elle une vision d’intégration des immigrés.

En fait, c’est un peu le paradoxe français. La France apparait particulièrement nulle des deux points de vue les plus opposés sur la question migratoire.

Du point de vue nationaliste, xénophobe si l’on veut, que promeuvent les partis d’extrême-droite, la situation de la France est vraiment la catastrophe à éviter, avec des immigrés d’une autre culture, d’une autre religion, d’une autre civilisation, qu’il est impossible d’intégrer et même de policer.

Du point de vue de ceux qui considèrent que l’immigration, la mobilité humaine, les migrations, constituent un phénomène inévitable ou même souhaitable, la France, avec sa fiction d’un universalisme républicain, a abouti à un échec majeur de l’intégration, et, en plus, elle est affligée d’une police totalement contre-productive en la matière.

Du coup, concrètement, les gouvernements, quelle que soit leur orientation idéologique, vont bientôt avoir tous un mantra : ne surtout pas faire comme la France, et éventuellement se féliciter de ne pas avoir fait comme la France. Un peu comme au concours de l’Eurovision en somme.

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