L’onde de choc : la précédente hausse des céréales avait contribué au déclenchement des printemps arabes. Quelles conséquences pour la flambée de la guerre d’Ukraine ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un champ de blé à l'extérieur du village de Karpenkovo, à environ 150 km de la ville de Voronezh, Russie. 12 juillet 2020.
Un champ de blé à l'extérieur du village de Karpenkovo, à environ 150 km de la ville de Voronezh, Russie. 12 juillet 2020.
©KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Conséquences mondiales

Alors que la planète n'a jamais été aussi interconnectée sur le plan alimentaire, le confit russo-ukrainien pourrait avoir de très lourdes conséquences pour la sécurité alimentaire mondiale, remettant en cause la stabilité politique de certains pays

Matthieu Brun

Matthieu Brun est chercheur associé à SciencesPo Bordeaux et Directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). Twitter : @MatthieuBrun3

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Atlantico : Le conflit russo-ukrainien est une crise humanitaire, mais aussi économique tant il bouscule l’approvisionnement mondial de nourriture et son coût. Il y a maintenant presque dix ans, lors d’une précédente crise des prix du blé, la stabilité politique de nombreux pays a été impactée menant ainsi aux révolutions arabes. À quel point la crise alimentaire liée à l’envahissement sera importante ? Sur quels secteurs la sécurité alimentaire mondiale pourrait-elle être menacée ? 

Matthieu Brun : Il y a plus de dix ans, le monde a connu une précédente crise causée par une hausse des prix alimentaires. Cette augmentation a été le premier jalon vers des remous politiques et sociaux, notamment dans les pays arabes. En 2010, lorsque nous avons eu une canicule en Russie avec un embargo sur les céréales du pays, des tensions ont exacerbé les conflits et les mouvements sociaux dans certains pays arabes. 

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation extrêmement compliquée. Le commerce des céréales est très concentré sur la mer noire. La Russie (35-40 millions de tonnes), l’Ukraine (18 millions de tonnes) sont les principaux exportateurs de céréales, à eux deux ils représentent 20% de l’exportation mondiale de maïs, 30 % de l’exportation mondiale de blé et surtout 80% de l’exportation d’huile de tournesol. Une huile qui est d'ailleurs déjà rationnée dans certains supermarchés espagnols.

Nous sommes à un moment de la campagne agricole où la Russie et l’Ukraine ont encore du blé, du maïs, du tournesol à vendre, mais si l’on regarde à l’échelle planétaire, les autres fournisseurs ne pourront pas intégralement prendre le relai de ces pays. La France ne pourra pas exporter beaucoup plus que ce qu’elle a prévu, les États-Unis non plus, ni le Canada, ni l’Amérique du Sud. Nous sommes sur une planète très interconnectée sur le plan de la sécurité alimentaire et 20 % de la production mondiale de céréale est exportée, de nombreux pays dépendent de la Russie et de l’Ukraine. 

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Le quatuor de tête achetant à la Russie ne sont que des pays du Sud où la stabilité des États est largement liée à leur capacité à nourrir la population . On trouve avant tout l’Égypte dont la stabilité politique est fragile et dont la sécurité alimentaire dépend du blé, la Turquie, le Bangladesh, le Nigeria, ensuite se placent le Yémen, l’Indonésie et le Maroc. La stabilité politique de ces pays dépend des importations de céréales et de blé notamment. Ces pays n’ont pas la capacité de trouver d’autres moyens d’importation et ils dépendent des prix sur les marchés internationaux. Quand l‘Égypte a vu la situation politique évoluer, elle a arrêté ses achats en provenance d’Ukraine et de Russie car les prix montaient trop vite. Aujourd’hui, il est difficile pour ces États d'acheter sur les marchés considérant les prix, ils vont attendre que les cours baissent mais combien de temps cela va prendre ? 

Cela pourrait-il entraîner des remous politiques dans certains pays ?

La pénurie peut amener des tensions politiques. Certains États protègent leur marché intérieur comme la Hongrie qui a annoncé ne plus exporter et d’autres pays pourraient suivre. Le risque de pénurie est alors réel dans les pays qui ne disposent pas de stock. SI les importations coûtent de plus en plus cher, dans les pays aux équilibres budgétaires délicats, la situation va devenir compliquée. Demain il y a un risque pour les économies instables et fragiles comme l’Égypte, l’Algérie ou le Soudan. Au Maroc, les récoltes sont largement menacées à cause d’un épisode de sécheresse et on sait à quel point l’agriculture au Maroc est un élément stabilisateur de l’économie et donc de la politique. 

Demain dans un situation où le prix des hydrocarbures est élevé, où les prix alimentaires sont élevés, nous pourrions avoir une inflation qui serait synonyme de tension socio-politique. Nous sommes à un moment où les prix de l’énergie augmentent comme les prix des matières premières et les gouvernants pourraient avoir des difficultés à gérer cette inflation alimentaire. Cela pourrait toucher grandement des pays comme l’Égypte où l’alimentation, l'énergie et l’eau sont subventionnés par l’État. 

Quelles seront les régions les plus touchées ?

Il s’agit tout d’abord de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, régions hyper dépendantes du blé extérieur. D'autres pays en Asie du Sud-Est pourraient être touchés comme l’Indonésie qui importe beaucoup de blé, le Bangladesh également et la Thaïlande dans une moindre mesure. Le Japon aussi dépend énormément de l’extérieur pour ses approvisionnements alimentaires. Mais dans ce cas, nous sommes dans une situation économique différente et le pays serait moins touché politiquement, mais sa sécurité serait fortement impactée. 

Notons aussi que l’Ukraine est le grenier à blé de l’Europe et le pays est devenu l’un des plus gros exportateurs de produits biologiques pour l’Union européenne. 

La crise s’engage-t-elle sur le long terme avec des cours qui pourraient être impactés sur plusieurs années ?

Les routes, les ports sont endommagés par le conflit. Même si la guerre s’arrêtait demain, il y aurait un temps de latence en termes de reconstruction et des effets sur le long terme qui vont avoir un impact sur la capacité de production et sur la sécurité alimentaire mondiale. Avant même que l’invasion de l’Ukraine soit effective, les prix des engrais étaient très élevés et menaçaient directement la production à venir et la capacité des agriculteurs, notamment français à acheter ces engrais. La Russie a bloqué ses exportations d'engrais ce qui est un nouveau signal négatif pour les cours et la capacité à produire. Demain les cours seront toujours élevés et remettront en cause des politiques publiques comme celle de l’Europe avec le Green Deal. On va alors s’interroger à nouveau sur la question de la souveraineté alimentaire et notre capacité européenne à maîtriser nos approvisionnements alimentaires.

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