L'objectif de "reconquête totale du Mali" est-il bien réaliste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Yves Le Drian a affirmé que la France visait "la reconquête totale" du territoire malien face aux djihadistes.
Jean-Yves Le Drian a affirmé que la France visait "la reconquête totale" du territoire malien face aux djihadistes.
©Reuters

La dure réalité

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a affirmé dimanche que l'objectif de l'intervention militaire de la France en soutien de l'armée malienne était "la reconquête totale" du Mali face aux islamistes armés, en soulignant que la première partie de la mission "se déroule convenablement".

Alain Antil

Alain Antil

Alain Antil est chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l’IFRI.

Il enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille et à l'Institut Supérieur Technique Outre-Mer (ISTOM).

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Atlantico : Jean-Yves Le Drian a affirmé hier que la France visait "la reconquête totale" du territoire malien face aux djihadistes. Cet objectif est-il atteignable concrètement ?

Alain Antil : Le but de l'opération française et internationale ne peut être autre chose qu'une reconquête du pays entier. Le projet d'intervention de la communauté internationale est à l'ébauche depuis le mois de septembre dernier et l'objectif d'une reprise de l'ensemble du territoire a toujours été ici un impératif. Il n'est dans ce contexte pas étonnant de voir le ministre de la Défense marteler le souhait de voir le Mali retrouver son intégrité territoriale.

Il s'agit bien d'une opération difficile et qui va probablement durer des mois, mais le scénario d'une guerre-éclair, auquel certains ont pu croire, ne peut pas s'appliquer dans ce contexte. Nous ne sommes pas ici dans une guerre frontale avec des affrontements entre armées "classiques", mais plutôt dans une logique d'insurrection et de contre insurrection. Chacun savait plus où moins que les forces françaises et maliennes affronteraient un ensemble de petits groupes armés extrêmement mobiles, insaisissables, disposant d'un grand espace pour se déployer et se replier. Le Nord Mali dans sa superficie totalise à peu près 700 000 m² soit autant que la France (674 000 m² NDLR) et l'on peut parier que les djihadistes opérant sur ce terrain sauront utiliser cet avantage à bon escient face à un adversaire techniquement supérieur.

La grande difficultés ne sera pas en effet de reprendre les villes de la région, comme Konna, Tombouctou ou Gao, mais de contrôler les voies de communications qui risquent d'être la cible de raids permanents. Une fois que les groupes armés type MUJAO ou AQMI auront compris qu'ils ne pourront plus tenir les villes, où ils sont une cible facile pour les bombardements, ils adopteront très logiquement une technique de guérilla privilégiant des attaques surprises de colonnes armées. Les islamistes sont du reste conscient qu'ils ne pourront pas maintenir un front uni au centre du pays pendant des semaines, sachant très bien qu'ils n'ont tout simplement pas les moyens matériels pour tenir si longtemps.

La Misma, force d'intervention mise sur pied par la Communauté Économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), tarde actuellement à se rendre sur place. Peut-on vraiment compter sur l'engagement complet des forces africaines, censées venir "relayer" l'armée française au sol ?

La force envoyée sera, comme chacun le sait, une coalition composées de différentes armées nationales ouest-africaines (Nigeria, Togo, Burkina Faso...) ainsi que du Tchad et, peut-être, de la Mauritanie (ces deux pays n’appartiennent pas à la CEDEAO), ce qui rend techniquement et diplomatiquement sa gestion difficile. Leur volonté d'engagement semble néanmoins réelle, puisqu'il était initialement prévu qu'elle intervienne à l'automne une fois sa coordination effectuée. L'avancée incontrôlé des islamistes sur Bamako a précipité l'intervention occidentale et pris la Misma de revers, ce qui explique les retards actuels dans le déploiement de cette force sur le théâtre d'opération.

Il faut rappeler de plus que la CEDEAO est déterminée à régler le problème malien, ne serait-ce que par peur d'une extension du djihadisme dans les pays voisins, et il serait injuste de dire que son implication dans le dossier est seulement due à la pression des pays occidentaux. Malgré des divisions notables, on peut dire que les chefs des états concernés sont aujourd'hui dans une logique de consensus face à l'ampleur de la menace. Des tentatives de négociation avec quelques uns des mouvements rebelles ont bien existé, mais elles sont depuis restées lettres mortes, l'acheminement des troupes de la Misma au Mali devenant aujourd'hui la seule option viable pour ces pays.

Notons par ailleurs que la motivation des troupes composant la Misma n'est pas la raison du retard d'intervention qu'elles accusent : les états de la CEDEAO sont tout simplement incapables de financer par eux-mêmes le paiement des soldats et l'entretien du matériel (estimé à 375 millions de dollars pour l'instant, ndlr). Une "conférence de donateurs (pays européens, organismes internationaux" est prévue à cet effet le 29 janvier au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, et d'ici-là les troupes de la Misma devraient effectivement pouvoir relayer les troupes françaises au sol.

Quelles sont les principaux risques d'un prolongement du conflit ?

Il y a tout d'abord la possibilité de voir les djihadistes simplement repoussés du Nord-Mali, ce qui risque de déplacer le problème sur d'autres états voisins. Il est ainsi très possible de voir les principales formations rebelles s'atomiser pour se replier vers l'Algérie, la Mauritanie ou le Niger où elles continueront d'opérer et de menacer l'intégrité des états encore en place. A terme cela rendrait de fait l'intervention française et internationale inefficace et tout sera alors à refaire.

Un autre risque est celui des représailles contre les civils du nord de la part de l'armée malienne, comme cela a déjà été le cas à Sévaré. C'est d'ailleurs ici la principale crainte, la probabilité d'une multiplication des actes de vengeance étant bien concrète. Il s'agit ici d’exécutions sommaires basées sur la simple couleur de peau, les touaregs et les combattants arabes composants une partie des forces rebelles ayant la peau claire. Nous sommes ici face à un vieux démon du Mali qui connaît depuis longtemps des relations tendues avec la minorité touarègue du nord, les différents accrochages entre armée et touaregs lors des 3 rébellion ayant apporté à chaque fois leurs tristes lots d'exactions. Cette réalité deviendra en effet très bientôt une affaire de premier plan pour la communication des autorités françaises sur le dossier et il s'agira d'une vérité difficile à assumer. (le ministère de la Défense vient ainsi d'affirmer hier qu'il n'avait "aucun indice" sur de possibles exactions de la part des troupes maliennes, NDLR)

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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