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Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. L’intégration : une troisième voie “républicaine” entre l’assimilation et le multiculturalisme ?
Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. L’intégration : une troisième voie “républicaine” entre l’assimilation et le multiculturalisme ?
© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Bonnes feuilles

Vincent Coussedière publie « Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire » aux éditions du Rocher. Il n'y a pas lieu de rougir de l'assimilation. Il y a lieu au contraire de renouer avec ce qu'elle signifie : sans un minimum d'homogénéité nationale, la démocratie ne peut pas fonctionner. Extrait 1/1.

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière

Vincent Coussedière est agrégé de philosophie, collaborateur du Figaro et du Figaro Vox. Enseignant, élu local, il a été révélé au grand public avec son premier livre Eloge du populisme (2012). 

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En réalité, si la notion d’« intégration » a en effet envahi le débat intellectuel et politique autour de l’immigration dans les années 1980-1990 et s’est substituée à la notion d’« assimilation », c’est sous l’effet de la victoire de l’idéologie migratoire. Certes, il ne s’agit pas de nier l’importance du courant « républicain » qui, autour de ses initiateurs Chevènement, Debray, Kintzler, Finkielkraut, Badinter chercha à partir de 1989 à fédérer une riposte autour des thèmes de l’intégration et de la laïcité. Il s’agit de montrer en revanche que cette riposte n’a pas su aller au bout de la déconstruction nécessaire de l’idéologie migratoire et réhabiliter la notion d’assimilation. La notion d’« intégration » fonctionnera au contraire comme une sorte de compromis entre l’idéologie migratoire et l’exigence unitaire de la République.

Proche de ce courant « républicain », Dominique Schnapper, sociologue, fille de Raymond Aron, membre un temps du Conseil constitutionnel, a proposé dans son œuvre une défense libre et nuancée de ce thème de l’intégration républicaine. Elle a eu d’autre part le mérite de se confronter directement à la question de l’immigration, au début des années 1990, dans un livre intitulé La France de l’intégration. Elle reconnaît elle-même que c’est sous le coup de la « critique acérée » de l’assimilation que le camp républicain a renoncé à prôner celle-ci pour promouvoir l’« intégration » :

« Une critique acérée avait en effet dénoncé l’assimilation comme un processus niant et détruisant les cultures d’origine des immigrés. [ ] Selon les critiques adressées à l’assimilation, le terme, qui fut d’abord juridique, puis culturel, impliquait que l’étranger serait absorbé, comme digéré dans la société d’installation, en perdant toute originalité et toute identité particulière. L’assimilation paraissait dès lors connotée avec le nationalisme, le colonialisme et l’impérialisme. »

Nous avons vu que cette « critique acérée » trouve son origine dans le « travail de taupe » de Jean-Paul Sartre après la guerre, ce dont Dominique Schnapper ne semble pas tout à fait consciente cependant, puisqu’elle ne fait remonter cette critique qu’aux années 1970 :

« La critique de cette “assimilation” a été formulée autour des années 1970. L’État-nation a été condamné en même temps que le colonialisme et toutes les formes de la domination européenne. »

À travers le terme d’« intégration », les intellectuels des années 1980-1990 entendent défendre l’héritage d’un modèle républicain français qui s’opposerait au modèle multiculturel anglo-saxon. Mais il ne s’agit pas de revenir à la thèse de l’assimilation, d’où l’utilisation du terme d’intégration, il s’agit de prétendre la défendre en tenant compte de la critique qui lui a été faite. Ainsi Dominique Schnapper note que la critique de l’assimilation est excessive :

« En réalité ce n’était pas le cas : la politique dite d’assimilation n’impliquait pas que fussent supprimées les spécificités des populations récemment immigrées, ce qui n’est ni possible ni souhaitable; elle impliquait qu’elles se maintiennent dans l’ordre du privé et ne s’expriment pas dans l’ordre politique, au sens large du terme. »

Ici s’exprime toute l’ambiguïté de la défense de l’intégration qui sera celle des intellectuels républicains dans les années 1980-1990. En effet, les partisans de l’intégration ne défendent pas celle-ci en assumant le point de vue d’une nécessaire homogénéité nationale, mais en se plaçant du point de vue du respect de l’identité des immigrés. C’est que les partisans de l’intégration partagent davantage qu’ils ne le croient certains présupposés de la critique de l’assimilation. Eux aussi ont été influencés par le travail de taupe du moralisme sartrien, qui consiste à se placer du point de vue de l’immigré et de son identité qu’il faudrait préserver. Ils diffèrent cependant de Sartre en proposant une assimilation a minima, une assimilation qu’ils appellent « républicaine », mais ce faisant, ils ne lèvent pas le tabou sartrien posé sur l’assimilation nationale identifiée à l’antisémitisme et au racisme.

En réalité, nos républicains entendent se tenir à égale distance de l’assimilation, qui réduirait l’autre au même, et du différentialisme communautariste, qui oublierait le même pour promouvoir l’identité de l’autre. C’est en ce sens qu’un des héros du « républicanisme », Jean Pierre Chevènement, explique sa préférence pour le terme d’« intégration » :

« Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique. Il n’est pas approprié. Le mot inclusion a toutes les chances de désigner le communautarisme, c’est-à-dire une politique qui fait plus que reconnaître les communautés mais les promeut sur modèle anglo-saxon, “égaux mais séparés”. Ce modèle différentialiste est aux antipodes du modèle français. Il doit être rejeté fermement. Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’“intégration”, car il accepte les différences mais dans le cadre républicain. »

Ce qui permet l’intégration de l’immigré, selon nos républicains, c’est justement qu’on ne lui demande pas de se dépouiller de son identité culturelle ou religieuse en le reconnaissant comme citoyen, on en fait abstraction :

« Dans son principe, l’abstraction de la citoyenneté autorise la légitimité des identités historiques particulières et des pratiques spécifiques, à l’intérieur de l’universalité de l’ordre juridique et politique. L’abstraction du citoyen comme celle de la nation est la condition de sa liberté. »

Pour Dominique Schnapper, la vertu de l’intégration est justement qu’elle n’a jamais cherché à détruire les identités particulières, mais qu’elle permet au contraire de les faire respecter et reconnaître dans leur ordre propre : celui de la vie privée. En transformant l’exigence d’assimilation en exigence d’intégration, elle pense ainsi renverser la critique multiculturelle, dont nous avons vu que Sartre était le précurseur ignoré. Non seulement l’intégration républicaine ne détruit pas les identités, mais elle permet au contraire de les respecter, de les tolérer en les maintenant dans la sphère privée. En réalité, la notion d’intégration est la recherche d’un compromis entre l’appartenance nationale et la nécessaire préservation de l’identité de l’individu. L’individu aurait ainsi une « identité » singulière qu’il faudrait préserver de l’emprise de la nation. C’est donc la distinction entre la sphère privée et la sphère publique qui va donner la solution du compromis à trouver entre l’appartenance à la nation et le respect des autres composantes de l’« identité ».

Il ne s’agit donc pas, pour les républicains « intégrationnistes », de critiquer de manière radicale la logique multiculturelle inaugurée par Sartre, qui consiste à remplacer la logique politique de la démocratie, reconnaissant l’individu en tant que citoyen français, dont les droits sont liés au devoir de viser dans son action politique le bien commun français, par une logique « morale », multiculturelle, dont le projet est de reconnaître l’identité de l’individu, sa liberté d’être lui-même, son authenticité. Pour Dominique Schnapper, l’opposition entre républicains intégrationnistes et multi-culturalistes est d’ailleurs exagérée, les premiers rejoignant ceux qu’elle appelle les « multiculturalistes modérés » :

« La logique des débats a abouti à durcir une opposition qu’il n’est pas inutile de relativiser. »

Selon Dominique Schnapper, les intégrationnistes républicains et les multiculturalistes modérés se rejoignent dans ce qu’elle appelle l’individualisme démocratique, dans une allusion à Tocqueville semblant valider l’évolution qui inquiétait au contraire celui-ci : la confusion entre la démocratie du demos et la démocratie des individus. Pour Schnapper, comme pour tous nos républicains, le but de la démocratie reste quand même l’émancipation de l’individu, elle est le meilleur régime parce qu’elle permet à celui-ci d’accéder à la réalisation de soi :

« Comment nier que l’ordre démocratique se donne pour légitimité d’offrir à chacun les moyens de développer toutes ses capacités, de se révéler à lui-même et aux autres dans son authenticité? Comment nier que la société démocratique doit conjuguer l’égalité politique du citoyen avec les aspirations de l’individu concret enraciné dans une histoire et une culture particulière ? »

Bref, le modèle républicain d’intégration n’est pas si éloigné du multiculturalisme : il y a un républicanisme tolérant et souple, proche de ce que d’autres appelleront une « laïcité ouverte » :

« Il s’agit dans tous les cas d’adopter une forme de “libéralisme modéré” [ ] ou en termes français, de “républicanisme tolérant” sensible aux conditions culturelles et sociales de la vie politique, mieux adapté à la démocratie moderne que le républicanisme traditionnel, proposant des modes d’intégration plus souples et plus attentifs aux besoins des populations particulières. Si l’on respecte les conditions justement mises à l’instauration de droits culturels par les théoriciens du multiculturalisme modéré, n’arrive-t-on pas à une politique proche d’un républicanisme tolérant, adapté aux valeurs collectives de la société démocratique ? »

Les conditions mises par Schnapper à la politique de la reconnaissance « républicaine tolérante » (laisse-t-elle entendre que le républicanisme « traditionnel » était intolérant?), ou « multiculturelle modérée » de l’identité de l’individu, sont au nombre de trois : que l’individu reste libre de changer d’identité, que la « culture » à laquelle il appartient respecte les Droits de l’homme, que toutes les « cultures » auxquelles l’individu est susceptible d’appartenir soient reconnues à égalité. Aucune de ces « limites » mises à la reconnaissance de l’identité de l’individu n’est liée à l’exigence de s’assimiler à une quelconque « identité nationale », qui pourrait exiger la transformation de soi. C’est que la nation est considérée comme un cadre essentiellement juridique, qui doit permettre la protection de la liberté des individus et des cultures et leur coexistence. Que la démocratie nationale puisse exiger une transformation beaucoup plus intime et exigeante de soi n’est plus envisagé. L’intégration est bien le renoncement à l’exigence d’assimilation.

Extrait du livre de Vincent Coussedière, « Eloge de l'assimilation : Critique de l'idéologie migratoire », publié aux éditions du Rocher

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