L’Europe des 27 se prépare à l’économie de guerre. Embargo total sur les hydrocarbures et changement de modèle de vie. Les plus touchés seront les Allemands<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chancelier allemand Olaf Scholz s'exprime devant la presse le 3 avril 2022 à Berlin, à propos des crimes de guerre découverts à Boutcha, en Ukraine.
Le chancelier allemand Olaf Scholz s'exprime devant la presse le 3 avril 2022 à Berlin, à propos des crimes de guerre découverts à Boutcha, en Ukraine.
©HANNIBAL HANSCHKE / AFP / POOL

Atlantico Business

Les images venues d’Ukraine sont insupportables et cette fois-ci, les Européens semblent décidés à aller au bout des sanctions, ce qui pour certains (dont les Allemands) va entraîner un changement radical du modèle de société...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les images de massacres dans la région de Kiev, comme les bombardements et les témoignages de Marioupol, ont fait l’effet d’un électrochoc dans les pays occidentaux. L’émotion est d’autant plus forte que les autorités ukrainiennes craignent des attaques massives dans la région de Lougansk et cela avant la fin de la semaine.  Les services de renseignement américains, de leur côté, prévoient que le conflit va durer encore des mois. 

Dans ces conditions, les alliés ont décidé de durcir les sanctions à l’encontre de Moscou afin d’espérer un changement de régime à Moscou.

L’Europe des 27 se prépare, donc désormais, à un embargo total sur le charbon, mais aussi les hydrocarbures dont le gaz... Le gouvernement allemand s’étant résolu à préparer son opinion publique à une situation qui sera compliquée et douloureuse parce qu‘elle va changer complètement le modelé économique et même le modèle de société tel qu’il avait été installé depuis les années 2000.

Les pays européens ont toujours refusé jusqu'à maintenant de mettre le commerce des hydrocarbures fournis par la Russie sous embargo pour une raison très simple : tous les pays européens ont besoin des hydrocarbures importés de Russie. La totalité du diesel et 40 % du gaz consommé viennent de Russie. Les pays européens sont diversement dépendants. L’Allemagne est la plus impactée puisque plus de 55% de son énergie vient de Russie, mais avec l’Allemagne, tous les pays frontaliers sont branchés à 100 % sur les robinets de leur grand voisin.

La Russie, de son côté, a absolument besoin des rentrées d’argent du gaz qu’elle vend à l’Europe. Par conséquent, elle ne fermera pas les vannes. Même pas si on continue de payer en euros alors que Moscou avait exigé que ce soit en roubles. Mesure très symbolique parce que les Européens et leur fournisseur Gazprom, ont trouvé comme solution de changer les euros en Roubles comme ils le faisaient avant sans qu’on le leur demande. 

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Tout le monde était content, sauf que sur le terrain, la guerre est devenue insupportable aux opinions publiques internationales. Même en Allemagne où on commence à se dire que les intérêts économiques doivent être protégés, mais pas à n’importe quel prix et encore moins au prix d’une morale complètement bafouée.

Les 27 ont donc étudié très sérieusement la possibilité de fermer toutes les importations stratégiques. Un premier train de sanctions supplémentaires entrainera un embargo sur les importations de charbon, de caoutchouc mais aussi de caviar et de vodka.

Alors, pas de quoi ébranler Vladimir Poutine mais ça représente quand même 9 milliards d'euros par an.

Par ailleurs, les pays européens ont annoncé l’exclusion d’un nombre très important de diplomates ou d’agents de renseignement russes en poste dans les 27 capitales.

Mais au-delà, les 27 pays ont mis au point un plan d‘embargo total sur le pétrole, sur le gaz, et sur certains matériaux dont la Russie est l’un des premiers producteurs : le chrome, le palladium et le Nickel. Là, c’est plus sérieux. On entre dans le dur des sanctions.

La plupart de ces sanctions vont demander plusieurs mois pour être appliquées.Toutes les économies vont évidemment souffrir en termes de croissance, d’emplois et de conditions de vie. L’Allemagne, par exemple, travaille avec les principaux chefs de grandes entreprises pour évaluer les conséquences. Les experts allemands savent que l’économie allemande tourne grâce au gaz russe. Se priver de gaz russe et des importations de métaux, c’est mettre au chômage technique le tiers des industriels... C’est accepter des augmentations de prix qui seront considérables ( 20 à 30% sur l‘énergie), une augmentation des prix des produits manufacturés, et notamment les automobiles, qui représentent la colonne vertébrale de l’économie allemande et dont les délais de livraisons vont encore s’allonger.
Pour amortir le choc, il va falloir que l‘Allemagne modifie très rapidement son mix énergétique, parce qu’il faudra remplacer le gaz russe par du gaz liquéfié importé des USA, et du charbon (qui viendrait de Pologne ou d’Afrique du sud).

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Pour les Allemands, cette perspective n’est pas un simple changement, c’est une révolution radicale de son modèle économique.

Si le marché import-export de la Russie est complètement fermé, ça signifie que la compétitivité de l’économie allemande va baisser de façon draconienne (environ 3% de croissance en moins), que la capacité d’exportation va se réduire, donc que les prix intérieurs vont monter, l’activité et l’emploi vont reculer.

Cette évolution va à l’encontre du modèle qui a fait la puissance et l’efficacité de l’économie allemande drivée par la compétitivité.

La suppression du Gaz dans son moteur lui fait perdre sa compétitivité et si l’économie allemande perd en compétitivité, le mode de vie allemande et la position allemande en Europe vont être bouleversées.

Tout le problème de la gouvernance allemande et de la coalition au pouvoir est de présenter cette configuration et d’éviter que la crise économique ne débouche sur une crise sociale et existentielle. Les Allemands n’ont pas connu de situation aussi risquée depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La gouvernance s’opère grâce à une coalition gouvernementale avec les Verts. Cette coalition risque fort de craquer.

Pour le reste de l’Europe, les effets boomerang seront moins importants parce que le reste de l’Europe est moins dépendant de la Russie que l’Allemagne, mais ils nécessiteront, qu’on le veuille ou non, d’accepter une économie de guerre.

Une économie de guerre, c’est plus d’investissements et de dépenses militaires (c’est aussi vrai pour les Allemands) et plus de dépenses militaires, c’est forcément moins de dépenses dans des secteurs jugés moins essentiels (équipement civil etc). Cette économie de guerre nous imposera aussi une énergie plus chère et plus rare (un choc de prix conjugué à un choc d’offre) mais une majoration de beaucoup des prix de consommation alimentaire.

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Une économie de guerre enfin, par le rationnement imposé sur les produits stratégiques et en risque d’embargo.

A l’issue d‘un séminaire gouvernemental à Berlin, auquel se sont joints beaucoup de leaders du monde industriel et de la finance, il a été convenu d’engager une grande campagne d‘information pour sensibiliser les Allemands à ces changements prévisibles.

La guerre en Ukraine n’est pas une guerre banale, elle oppose des partisans d’un modèle de société fondée sur la démocratie et la liberté individuelle à des partisans d’un modèle de société fondée sur l’autorité, le centralisme et même la dictature. Pour le chancelier allemand, la défense de la démocratie et de la liberté individuelle vaut bien quelques efforts et sacrifices dans son mode de vie.

La France achève une campagne présidentielle qui aurait pu être l’occasion de présenter les raisons et les moyens d’une économie de guerre. Les partis politiques ont préféré débattre de leur petit intérêt électoral. La défense de toutes les valeurs que sont les nôtres, liberté de penser, liberté de choisir liberté individuelle, liberté de respecter l‘autre, méritent bien quelques augmentations de prix.

La fin du gaz russe ou le diesel à 3 euros, toute l’inflation importée, une croissance rabotée et un budget de l’Etat qu’il faudra bien redéployer, ça n’est rien d’autre que les composantes d’une économie de guerre.

C’est le prix qu’il faut payer pour défendre nos valeurs quand elles sont attaquées aux portes de l’Europe. Emmanuel Macron sera sans doute réélu président de la République puisqu’il n’y a pas dans l’offre politique une solution alternative possible, mais faute de tracer une stratégie à moyen terme, faute de dire ses convictions, il sera réélu par défaut. N’est pas Churchill qui veut.

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