L’Europe à l’épreuve de l’Irak : Français, Britanniques ou Allemands, pourquoi 60 ans de construction européenne n’ont pas unifié d’un iota les tempéraments nationaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne s'est tenue vendredi 15 août à Bruxelles dans le but de discuter des situations ukrainienne et irakienne
Une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne s'est tenue vendredi 15 août à Bruxelles dans le but de discuter des situations ukrainienne et irakienne
©Reuters

Unis, mais si différents

Une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne s'est tenue vendredi 15 août à Bruxelles dans le but de discuter des situations ukrainienne et irakienne. Si les ambassadeurs des 28 étaient mardi 12 août parvenus à s'entendre sur le renforcement de la coordination humanitaire, ils n'avaient pas réussi à se mettre d'accord sur une livraison d'armes. La question a été "tranchée" : chacun est libre de répondre favorablement ou non à la demande de Bagdad.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Atlantico : Les ministres des Affaires étrangères de l'UE peinent à s'entendre et à parler d'une seule voix, notamment sur les cas ukrainien et irakien. Malgré 60 ans de construction européenne, l'Europe ne semble pas avoir réussi à dépasser les "tempéraments nationaux", chaque pays réagissant selon ses propres traditions de gestion des relations internationales ?

Gérard Bossuat : Votre question porte sur le court terme ! Tout peut basculer encore. En 24 heures nous avons appris que les réfugiés Yazidis du Singar n’étaient pas aussi nombreux qu’on le croyait. Faut-il alors toujours envisager une intervention militaire ? Ce court terme traduit cependant aussi l’état de l’Union à un moment donné. En effet, la réponse de l’Union n’est pas unanime révélant des "tempéraments" différents des Etats qui la composent. Il serait inimaginable de reprocher aux Etats d’être ce qu’ils sont. Les intérêts des grands pays de l’Union sont totalement différents de ceux des petits et moyens pays. La perception du danger est complexe : on a vu récemment que les pays de la frontière avec la Russie étaient très sensibles à la détérioration des relations avec Poutine en raison de la crise ukrainienne, tandis que d’autres, la France, l’Italie, hésitaient à engager une épreuve de force. L’histoire, les engagements commerciaux et financiers, la situation géographique expliquent ces différences. Sont-elles surmontables ? Là se trouve la question essentielle de la construction européenne.

L’unité européenne s’est faite par l’économie et la monnaie, pas par la politique étrangère et de défense. La tentative de créer une armée européenne (CED) a échoué en 1954 du fait de la France, auteur du projet et du "crime du 30 août". Une modeste action de coopération de politique extérieure a commencé en octobre 1970 avec les rencontres confidentielles des ministres des Affaires étrangères des pays membres et du Comité politique formé des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères, reliés entre eux par un système de télécommunications (Coreu). Elle a été confortée par les traités européens suivants. La Haute représentante de l’Union, actuellement Catherine Ashton, vice-présidente de la Commission européenne, devrait exprimer la politique étrangère de l’Union. Les différences ne sont pas insurmontables puisque des positions et des actions communes ont été décidées, mais il faut du temps et beaucoup de négociations. L’Union n’est pas réactive et est incapable de donner le ton dans les relations internationales car les Etats membres refusent de laisser une institution commune prendre le pas sur les diplomaties nationales. De plus l’instrument de la force est aux mains des grands Etats, essentiellement la Grande-Bretagne et la France ou aux mains d’une alliance non communautaire, l’Alliance atlantique dirigée par les Etats-Unis.

François Géré : La Communauté européenne puis l’Union européenne, en dépit d’efforts périodiques - la CED (communauté européenne de défense) en 1952,  la relance de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) en 1990-95, puis encore la PESC-PESD de 2000-2003 - n’est jamais parvenue à s’accorder sur une diplomatie commune ni sur une défense commune. Considérés comme relevant de la souveraineté des Etats et de leur conception singulière de l’intérêt national, ces deux domaines ne sauraient être partagés. De surcroît dans le cas de la défense la plupart des Etats membres considèrent que l’OTAN suffit largement et que l’Europe n’a pas les moyens de la redondance. D’autres comme la Suède demeurent en dehors de l’alliance atlantique. L’UE a en outre établi une législation d’embargo sur les ventes d’armes dans des Etats jugés instables, non démocratiques, irrespectueux des droits de l’homme. On n’y peut acheminer qu’une aide humanitaire dans les cas d’urgence. Or comme on le voit en Irak certains Etats membres ne se considèrent pas liés par ces contraintes, en sorte que l’UE perd toute crédibilité.

Après les guerres des Balkans, certains états membres de l’UE ont développé l’idéologie de la "post modernité" où la guerre cesse de constituer un instrument rationnel de la politique. Seuls les «"diots, les déments, et autres barbares" y auraient encore recours… Hélas la réalité ne cesse depuis dix ans de nous rappeler que ces "attardés", encore nombreux restent indifférents aux leçons que l’UE cherche à leur donner n’hésitant pas à s’affranchir des principes élémentaires à respecter dans la guerre à l’égard des civils et des prisonniers.

Péniblement l’UE durant les guerres de Bosnie et du Kosovo a été en mesure, en collaboration avec l’OTAN, de pacifier les Balkans. Cependant, au-delà du continent européen, chacun entretient des alliances conformément à sa tradition, aux accords de coopération militaire et évidemment aux moyens dont il dispose. Par exemple, la France et le Royaume-Uni sont dotés d’une force de dissuasion nucléaire et de capacités limitées de projection de forces classiques, notamment en Afrique.

Plus de guerre en Europe, entre Européens tel est l’objectif minimal, ce qui n’est déjà pas si mal. La question aujourd’hui posée par ce qu’il faut bien appeler la guerre d’Ukraine est de savoir si cette stabilité continentale peut être maintenue.

Quelles sont justement les caractéristiques de ces différents tempéraments pour ce qui est de l'Allemagne, de la France et de la Grande Bretagne ? Quelles sont les figures qui ont contribué à les modeler ? Dans quelles décisions et/ou prises de position relatives à l'Irak ces tempéraments se trahissent-ils ? En quoi peut-on considérer qu'il y a quelque chose de profondément churchillien dans l'approche britannique de la crise en Irak ?

François Géré : Churchill et De Gaulle ont connu deux guerres mondiales, deux massacres sans précédent. Ils ont vécu l’apogée et le déclin de la puissance coloniale. Ils ont éprouvé le délitement de leur prestige face à la montée des Etats-Unis et de l’URSS. Ils ont aussi connu les tensions  les plus brutales entre leurs intérêts respectifs lorsque dès 1916 ils se répartissaient les dépouilles de l’Empire ottoman, créant la nouvelle carte du Proche/Moyen Orient : l’Arabie saoudite, l’Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie ; promettant la création d’un "foyer national juif" en Palestine.

Est-il besoin de souligner que les Etats européens ont quitté définitivement cette dimension de l’histoire ? S’agissant de l’Allemagne, qui porte encore le poids accablant de son passé, le recours aux armes constitue durablement le plus mauvais des moyens pour promouvoir les buts de la politique.

Il est vrai que les conflits actuels ont perdu leur caractère vital. Ce sont ce que j’appelle les guerres "optionnelles". Nos gouvernements peuvent choisir d’aller ou non en Afghanistan, en Irak, en Libye. Il y a des intérêts, sans doute, une urgence humanitaire, probablement mais ce n’est plus l’ennemi sur la frontière, prêt à envahir et dévaster notre territoire. Ce sont de "petites guerres" où l’on s’engage avec peu de moyens, en ayant pour souci majeur d’éviter les pertes. L’argument de la menace terroriste paraît bien lointain, bien abstrait. Les Européens et l’OTAN ont été échaudés par l’échec de l’Afghanistan qui, pour certains, a fait suite à leur engagement en Irak avec les Etats-Unis en 2003.

Il est remarquable de constater l’inflation du terme "génocide" pour justifier la décision souvent tardive d’agir auprès d’opinions publiques peu motivées mais "compatissantes".

Cette faiblesse psychologique des Etats occidentaux renforce évidemment l’audace de ceux qui entendent transformer en leur faveur le rapport des forces en Europe et en Asie.

L’actuelle guerre d’Ukraine va-t-elle restituer le sens de la proximité des affrontements sur le sol européen et renouer avec la nécessité d’une capacité de défense ? Il est permis d’en douter dès lors que M. Poutine ne recoure pas à l’invasion. Seuls les voisins baltes, scandinaves et polonais en tireront les conséquences.

Gérard Bossuat : L’Allemagne est marquée par son histoire et son aventure politico-militaire des années 1933-1945 au service d’un projet de domination de l’Europe et de hiérarchisation raciale qui a conduit à la destruction industrielle de populations déclarées par les Nazis indignes de figurer dans le Reich millénaire ! Du fait de cette histoire, l’Allemagne démocratique a pris des mesures constitutionnelles pour empêcher de nouvelles aventures militaires. L’envoi à l’étranger de soldats allemands est soumis à des contraintes plus fortes qu’ailleurs. Le Bundestag doit se prononcer avant un tel envoi ce qui n’est pas le cas pour la France où le contrôle se fait a posteriori. En août 2013 la Chambre des Communes a refusé au Premier ministre britannique le droit d’intervenir en Syrie. En Grande-Bretagne comme en France l’armée a une place d’honneur. Elle est une part des institutions démocratiques de l’Etat. En Allemagne l’opinion publique s’en méfie davantage. L’impact sur l’esprit public de l’histoire glorieuse des armées françaises ayant conduit à la constitution de l’Etat national, l’oubli des engagements militaires douteux, la victoire de 1918, la confiance des Anglais dans leur marine qui les a sauvés trois fois sous Elisabeth 1ere, au temps de Napoléon et pendant la Seconde guerre sont encore très présents. Chaque pays a ses héros militaires qui ont construit la nation et l’Etat et ont donc un rapport particulier avec la mémoire de la nation : Louis XIV, Napoléon et Foch en France, Francis Drake et Nelson en Grande-Bretagne. Des figures émergent aussi en Allemagne : Frédéric le Grand et le théoricien Clausewitz, ou Hindenburg ; mais sont-ils des faiseurs de nations ? J’en doute, sauf Frédéric qui est aussi un politique !

Les réactions face au mouvement des djihadistes de l’Etat Islamique trahissent plus une analyse géopolitique et des rapports de force que des tempéraments propres. Certes, envisager de la part de la France et de la Grande-Bretagne une intervention en Irak (comme en Libye, en Syrie ou en Afrique subsaharienne) est lié à la représentation que l’on se fait de sa puissance et de son influence, construite par les expériences de l’histoire. Mais ce sont des analyses politiques telles que la mesure des conséquences d’un développement de l’EI au Proche-Orient et les effets d’entraînement sur d’autres régions du monde, qui pèsent dans la décision. Tout dépend évidemment des moyens dont disposent ces deux pays, moyens limités par rapport à ceux des Etats-Unis, alliés inévitables dans cette affaire. De plus il me semble exagéré de parler d’un comportement churchillien du Premier ministre, David Cameron, dans l’approche de la crise en Irak. La menace est-elle de même nature que celle de 1940 ? Cameron a-t-il promis du sang et des larmes ?

Qu'est-ce que cela révèle du rapport au monde de ces trois nations ?

François Géré : Des perceptions géopolitiques fort différentes ainsi qu’un sens des moyens de la construction et de l’exercice de la puissance diamétralement opposées. L’Allemagne demeure eurocentrée en ce qui concerne sa défense : stabilité dans les Balkans et bonnes relations avec la Russie. Au niveau mondial, c’est par l’économie, la politique monétaire et le commerce qu’elle s’affirme. Le moins possible d’aventures lointaines ; pas question de dissuasion nucléaire européenne. En revanche de grosses ambassades avec des représentations commerciales et culturelles au Moyen Orient, en Asie et en Amérique latine.

France et Royaume-Uni conservent une présence mondiale par les "miettes de l’Empire", petites possessions peu peuplées mais qui permettent de disposer de ZEE maritimes d’immense envergure. Pour y garantir la souveraineté il est nécessaire de disposer de moyens de projection de forces. Le Royaume-Uni pour tenir par exemple les Falklands (Malvinas) conserve des moyens navals importants de présence à la mer. En témoigne l’achèvement d’un nouveau porte-avions qui aura bientôt son "sister ship" contrairement au bien seul Charles De Gaulle. Au niveau nucléaire, Londres a fait le choix stratégique et financier d’une seule composante (les sous-marins) de plus en plus en coopération avec les Etats-Unis et dans le cadre de l’OTAN.

La France s’efforce de maintenir son autonomie complète dans le domaine nucléaire. En sorte que les moyens de projection conventionnels sont partiellement réduits et dépendent dans certains cas de la coopération avec les Etats-Unis.

Gérard Bossuat : Ces trois nations, Allemagne, France et Grande-Bretagne se débattent dans un problème de succession, celui de leur succession comme grandes puissances européennes. L’Allemagne doit tous les jours prouver qu’elle a rompu avec le nazisme : elle sera grande par l’innovation industrielle ; la Grande-Bretagne emprunte pour satisfaire ses intérêts une voie nationale qui ressemble à celle de l’Angleterre victorienne sans avoir la maîtrise des mers ni celle du commerce ; la France tente à tout le moins d’influencer les événements en s’appuyant sur son siège permanent au Conseil de Sécurité et sur la promotion des droits de l’homme comme régulatrice des conflits. Dans ces trois exemples, l’Union européenne est instrumentalisée au profit des projets nationaux. Vieilles nations, au cœur du monde, ayant créé l’Art et la Science moderne, ayant conquis des empires, elles tentent encore d’exercer un magistère sur les relations internationales  au nom de valeurs renouvelées depuis 1919. Or si elles ont encore les moyens moraux et culturels d’influencer notre monde, il apparaît qu’elles  sont concurrencées par les Etats-Unis, la Russie et la Chine dans la solution des conflits actuels.

N'existe-il pas aujourd'hui une façon de voir le monde à travers un prisme qui serait européen ?

François Géré : Sans doute on trouve une telle conception dans le "concept stratégique" de l’UE de 2003 qui était démarqué de la vision des Etats-Unis de leur propre sécurité nationale.

L’ensemble manque de spécificité. Trop d’intérêts divergents s’opposent à un vrai concept européen.

Considérons le Service d’Action Extérieure dirigé par Madame Ashton. En juin dernier, les Etats membres ont été incapables de s’accorder sur son successeur. Monsieur Juncker, récusé en vain par le Premier ministre anglais David Cameron, voudrait en augmenter le pouvoir pour en faire un véritable ministère européen des affaires étrangères. Mais il suffit de voir le débat autour de la candidature italienne de Madame Mogherini pour constater qu’il n’existe encore aucun sens européen d’une communauté d’intérêts. "L’Europe puissance" comme la souhaite la France n’est pas capable de se percevoir et de se vouloir comme une unité, une vraie fédération tant restent importants les écarts d’intérêts nationaux. Résultat dans un monde où se multiplient les crises (Syrie, Gaza, Irak, Ukraine), l’Union européenne a bien acquis un numéro de téléphone (formule ironique de Henry Kissinger en 1973) mais c’est encore une simple boîte vocale. C’est à l’OSCE qu’est dévolue la tâche ingrate de se voir refuser l’accès aux théâtres d’opérations.

Gérard Bossuat : Heureusement que ce prisme existe car les pays d’Europe, leurs élites, leurs intellectuels et leurs médias donnent une façon de voir la réalité en termes de façon de vivre, d’éducation, de relations entre les personnes, de philosophie de la vie. Toutefois l’image du prisme est mauvaise car elle fait penser à une déformation de la réalité. Non, diverses réalités coexistent qui ont leur grandeur. La différence avec le temps où l’Europe dominait le monde matériellement et spirituellement est que désormais les diverses cultures peuvent s’exprimer et se rencontrer. Si elles le veulent bien, elles peuvent aussi s’enrichir au contact des autres. La tolérance est donc indispensable à l’harmonie mondiale ce dont certaines cultures ne témoignent pas toujours. Cependant, depuis la création de la SDN (et même depuis la fin du XIXe siècle), l’arbitrage international en vue de maintenir la paix a été érigé en système efficace de règlement des conflits. Tel est le rôle de la Cour internationale de justice. Cet appel au Droit est partagé par de nombreux pays dans le monde. La Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU de 1948 a introduit des régulations politiques, sociales et économiques auxquelles les pays membres de l’ONU adhèrent. Personne n’est dupe cependant des limites de leur application. Mais en droit leurs objectifs sont communs aux pays membres de l’ONU. Cette manière de voir le monde est venue des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’URSS et même de la Chine (nationaliste) durant la guerre. Les Français s’y sont largement impliqués en 1948 puisque la Déclaration a été rédigée par un comité de rédaction présidé par Eleanor Roosevelt,  la veuve du Président américain Franklin D. Roosevelt,  assistée du professeur René Cassin qui écrivit le premier texte de la Déclaration, son rapporteur étant le Libanais Charles Malik, le Vice-Président Peng Chung Chang ( Chine). Ces quelques ligne sont écrites pour dire que la manière européenne de voir le monde et les relations internationales rejoint souvent, pas toujours, celle d’autres continents et d’autres cultures et contribue à l’élaboration d’un discours commun respectueux des différences tant qu’elles ne conduisent pas à l’affrontement des civilisations. Des interprétations religieuses et culturelles totalitaires et extrêmes, véhiculées par les Christians born again, les salafistes fondamentalistes englués dans la haine,  contribuent au contraire à voir la réalité à travers un prisme déformant.

Comment expliquer l'incapacité, si ce n'est des 28, au moins des nations fondatrices de l'Europe, à développer une sorte d'osmose européenne ?

Gérard Bossuat : L’osmose dont vous parlez a existé entre les six pays de la CECA et du Marché commun. Il fut décidé de régler les tensions économiques, voire les rivalités nationales nées des tensions économiques, par la création d’une Haute Autorité fédérale. Tous ces pays se reconnaissaient dans la démocratie politique et sociale et l’économie de marché, dans la promotion des droits de l’homme. Cette osmose sur les principes de comportement des Etats et envers les citoyens existent encore entre les 28. Mais l’osmose n’a jamais existé en termes de politique étrangère sauf à accepter progressivement de participer au camp occidental dans le cadre de la guerre froide. Que signifie le terme d’osmose ? Il est bien large car il n’est pas suivi d’un déterminant. Sans doute pensez-vous à osmose politique et donc à unité européenne. S’il s’agit d’osmose culturelle ou même spirituelle, nous savons tous que l’unicité culturelle et religieuse est, en général,  porteuse d’atteinte aux libertés. Le rêve de certains d’un retour aux racines chrétiennes de l’Europe n’a pas de sens aujourd’hui. En revanche reconnaître qu’elles font partie d’une identité héritée, que certains Européens en vivent encore, permet de reconnaître que d’autres identités peuvent inspirer aussi les sociétés contemporaines en Europe, tel l’Islam ou les cultures africaines, à côté de l’héritage juif ou celui des rationalistes et des libre-penseurs des Lumières. Tout est question d’équilibre et de mesure dans le respect des autres, codifié par la loi qui en France s’appelle la république et la laïcité.

François Géré : A partir du moment où l’UE a fait le choix de l’élargissement, où elle a accepté l’entrée d’Etats financièrement peu fiables dans la zone euro s’est créé un processus d’affaiblissement général. Les membres fondateurs ne pouvaient plus peser du même poids. Plusieurs gouvernements ont fait un calcul rudimentaire : entrer dans l’OTAN c’est la sécurité ; adhérer à l’Union Européenne c’est la prospérité.

Le processus décisionnel, peu importe ses modalités -majorité qualifiée ou pas-, se trouve sous influence de nombreux facteurs exogènes. Des puissances plus moins lointaines ont pu peser sur cette évolution. Ce fut clairement le cas des Etats-Unis entre 1995 et 2008. Ce pourrait être une opportunité pour la Russie aujourd’hui, en jouant par exemple l’Allemagne contre la Pologne. La crise financière de 2008 n’a fait qu’aggraver ces difficultés structurelles. Le Nord et le Centre oriental n’ont pas du tout la même perception de leur sécurité que le Sud.

Un socle de valeurs communes à travers lesquelles analyser le monde actuel pourrait-il être bénéfique à l'Europe ? Serait-il suffisamment puissant ?

François Géré : Sans doute existe-il une sorte de fonds commun de valeurs, de principes politiques. Ils se trouvent en permanence confrontés aux intérêts. Vieux débat, probablement éternel, entre idéalisme et réalisme. Le risque est de voir cette antinomie dégénérer en conflit entre cynisme et utopie. C’est ce qui guette l’Union européenne.

Se limiter à l’aide humanitaire, récuser par principe le recours à la force, voter des sanctions tardives et limitées conduit à adopter une sorte de stratégie européenne par défaut qui n’effraye aucun dictateur. Pour être crédible, l’UE doit pouvoir complémentairement jouer sur les volets économiques et militaires. Alors seulement on la tiendra pour un acteur majeur sur la scène mondiale. Mais les Etats membres ne sont pas disposés à en arriver là. Très durablement.

Gérard Bossuat : Ce socle de valeurs communes existe. Il est exprimé dans les préambules et exposés des principes des traités européens. Dans celui de Lisbonne (article 1b et 2 du TUE) de 2008 les valeurs auxquelles l’Union et les pays membres se référent sont le respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité,  les droits de l’homme, égalité homme-femme, une économie de marché hautement compétitive pour le plein emploi. Il y a là des pistes riches pour construire des politiques communes et pour analyser le monde actuel. Ce qui manque à l’Union n’est pas le socle de valeurs communes mais des politiques efficaces. On en revient donc aux hommes et aux femmes qui gouvernent l’Union et chacun des Etats membres. Savent-ils construire concrètement ces valeurs dans la vie quotidienne ?

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