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L’Etat islamique d’Irak et du Levant est-il bien parti pour pourrir votre été à la pompe à essence ?
©Reuters

Dommage collatéral

Le mouvement islamiste EIIL poursuit sa route à marche forcée vers Bagdad, et pourrait bien fini par prendre le contrôle de la production pétrolière irakienne.

Florent Detroy

Florent Detroy

"Florent Detroy est journaliste économique, spécialisé notamment sur les questions énergétiques, environnementales et industrielles. Voir son site."
 
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Atlantico : Le 10 juin, l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) prenait le contrôle de Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak. Fondée en 2003, le mouvement islamiste semble désormais avoir pour objectif de s'emparer de la capitale du pays, Bagdad. Pour l'instant, les attaques éclair du mouvement djihadiste se cantonnent au nord du pays, où la production de pétrole est marginale. Mais quel intérêt l'EIIL aurait-il à détenir le contrôle de la chaîne de production pétrolière en Irak ?

Florent Detroy : Le pétrole est encore et toujours le moteur de la croissance du pays. L’Irak ne peut pas vivre sans pétrole, puisque ses exportations représentent 95% de ses ressources. S’emparer des ressources pétrolières, c’est s’installer sur la durée au pouvoir. La prise sera d’autant plus importante que la production de pétrole est en plein en plein essor depuis 2011-2012. Pour rappel, la production était en déclin depuis la fin des années 1970, passant d’un peu plus de 3,5 millions de barils jour à 2 millions lors de l’intervention américaine en 2003. Aujourd’hui elle est revenue au niveau de 3,5, et a été une des principales sources de croissance de l’offre de pétrole mondiale. Ensuite, contrôler le pétrole c’est posséder un important levier sur le marché international du pétrole. A plus court terme, c’est aussi un moyen de financer la guerre en Syrie.

Comment les islamistes pourraient-ils tirer avantage d'une mainmise sur le pétrole irakien ?

Le pétrole joue déjà un rôle important pour ce groupe, car une partie de son financement provient de la vente sur le marché noir de pétrole de la région. Il ne s’agit que de petites quantités, dont la vente n’affecte pas l’équilibre du marché du pétrole. Mais si EIIL s’empare du pouvoir et agite l’arme pétrolière, en menaçant par exemple de réduire ses exportations à certains pays, ou d’inonder le marché de pétrole, il pourrait pousser ses voisins et adversaires à se coaliser conte lui et à couper ses exportations. Or, sans exportations le pays ne peut plus fonctionner. L’Arabie Saoudite la première s’opposera d’ailleurs à une perturbation du marché. A l’inverse, si l’EIIL fait des compromis et réussit à s’installer sur la durée, le régime réussira peut être à maintenir des relations commerciales avec certains pays. Le groupe est d’abord un groupe sunnite, dont le message extrémiste ne déplaît pas forcément à tous les acteurs du Golfe.

Est-ce qu'ils pourraient s'en servir pour peser dans les négociations internationales ? 

Là encore, la négociation internationale la plus importante concernera les quotas de production de pétrole accordés dans le cadre de l’OPEP. Pour l’instant, l’Irak en est exclu du fait de la politique de sanction sous Saddam Hussein et de la guerre avec les Etats-Unis. Mais l’Irak pourrait rejoindre ce cartel un jour alors que sa production est prévue pour atteindre les 4 millions de barils en fin d’année. L’Irak est déjà le deuxième producteur de l’OPEP. Si EIIL arrive au pouvoir, le plus important sera de savoir dans quel « camp » il se positionnera, le camp des « colombes » prêt à limiter la production de pétrole pour maintenir les prix stables, ou celui des « faucons » prêt à ouvrir les vannes pour produire plus. Autre inconnue, en tant que groupe clairement sunnite, est ce qu’il saura s’entendre avec l’Iran ? Mais toutes ces questions restent du domaine de la spéculation, les zones pétrolières irakiennes restent loin géographiquement des zones contrôlées par EIIL.

Autre impact potentiel : en cas de contrôle par EEIL, les entreprises américaines arrêteraient de travailler dans le pays. Ce qui va poser d’importants problèmes. Déjà le pays est réputé pour ses mauvaises infrastructures. S’il perd en prime les technologies des grands parapétroliers et pétroliers occidentaux comme Halliburton ou ExxonMobile, la production va rapidement redescendre. Est ce que les firmes chinoises vont profiter de l’opportunité ? On sait que les entreprises chinoises ont continué de travailler avec l’Iran lorsque ce que pays était sous le coup de sanctions internationales. Mais ces sociétés s’étaient révélées en dessous des sociétés occidentales sur le plan technologique. Il n’est pas sur que l’Irak puisse se passer pour l’instant des firmes internationales en particulier occidentales. 

Pourquoi peut-on redouter une augmentation du prix de l'essence, alors que l'Irak ne contribue qu'à 4% à la production de brut mondial ?

Malgré le ralentissement de la consommation de pétrole notamment dans les pays développés, le marché est resté très tendu du fait de la baisse des exportations en Iran et en Libye. Ils ont retranché pas loin de 3 millions de barils au marché, ce qui a suffi à maintenir les cours au dessus des 100$. L’Irak était la seule bonne nouvelle en termes d’approvisionnements depuis des années.  L’Agence internationale de l’énergie avait annoncé que l’Irak représenterait 60% de l’augmentation de la production de l’OPEP sur la décennie à venir. Ensuite, l’Irak possède les 4ème réserves de pétrole mondiale, ce qui signifie que si le pays était exclu du marché ce serait une perte inquiétante sur le long terme. Enfin je rappelle que l’AIE et l’OPEP anticipent cette année une hausse importante de la demande de pétrole, de plus d’un million de barils.

Sommes-nous plus vulnérables que les américains à cette instabilité des cours ?

Oui, absolument. Le WTI, le contrat sur le pétrole échangé à New York, a longtemps été considéré comme un contrat reflétant l’état du marché US. Or depuis la révolution du pétrole de schiste, il n’y a plus de doute. Avec la hausse de la production US, le prix du WTI est tombé durablement sous les 100$. Ce qui explique cet effet direct sur les prix, c’est que le pétrole produit sur le territoire américain ne peut pas être exporté. A l’inverse, le Brent, le contrat européen sur le pétrole, reflète davantage l’équilibre du marché mondial. Un arrêt de la production de pétrole en Iraq le ferait décoller. Après si le scenario du pire venait à se réaliser, les Etats-Unis auraient une pression supplémentaire pour lever leur interdiction d’exportation. Cette solution permettrait de soulager un marché mondial en pleine pénurie. Mais le pétrole, plus que jamais aux Etats-Unis, est aussi vu comme une affaire de souveraineté.

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