L'Etat islamique appelle à tuer des "méchants et sales Français" en comptant sur Allah : cette étrange timidité des musulmans français à protester publiquement<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Etat islamique a appellé à tuer des "méchants et sales Français".
L'Etat islamique a appellé à tuer des "méchants et sales Français".
©english.al-akhbar.com

Il y a quelqu'un ?

Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, s'est contenté de dire qu'il fallait se montrer au-dessus de tels propos.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Atlantico : Alors que des frappes occidentales visent actuellement l'Irak et la Syrie, l’Etat islamique a menacé les Occidentaux lundi, appelant notamment à tuer les "méchants et sales Français" en comptant sur Allah. La réaction du recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, s'est limitée à un : "Il faut nous montrer au-dessus de tels propos". Quel risque y a-t-il à ce que les représentants du culte musulman ne se sentent pas concernés par les dérives du Califat islamique ?

Haoues Seniguer :Le silence des organisations interroge et interpelle dans la mesure où dans cette déclaration de l’Etat islamique il est clairement fait mention de "sales Français". Ce silence peut porter préjudice à l’ensemble des musulmans de France identifiés à tort ou à raison aux organes représentatifs réels ou supposés. Cela crée des tensions au sein du tissu social français et peut porter préjudice au regard que peuvent avoir les non-musulmans envers les musulmans. Ce silence peut engager une responsabilité morale des représentants de l’islam de France.

Hormis un texte très tardif des principaux courants de l’islam le 14 septembre pour condamner les "exactions commises" contre les minorités en Irak notamment envers les chrétiens d’Orient, on retient surtout l'inertie des instances de l'islam. Quelles en sont les explications ?

On peut noter une première raison : l’apparente déconnection entre les cadres et la base, c’est-à-dire entre le comportement des responsables des organisations islamiques de France et la base sociale, ceux qui se sentent représentés par cette organisation. Ce silence montre l’état de décalage entre les cadres et l’attitude inquiète de nombreux musulmans du pays d’être stigmatisés et d’être mis à l’index en France. Le deuxième élément est sans doute lié à des contradictions internes chez ces organisations. Ainsi, quelqu’un comme Youssef al-Qaradawi qui est une référence idéologique pour l’UOIF s’est exprimé contre les agissements de l’Etat Islamique mais s’est en revanche prononcé pour le califat. Il refuse aussi l’intervention étrangère contre l’Etat islamique. Quel est le point commun entre Tarek Oubrou de l’UOIF partisan d’une théologie libérale et Ahmed Jaballah partisan d’une idéologie dans la tendance des Frères musulmans ? Le silence de certaines organisations, à l'instar de l'UOIF, est lié à cette difficulté de trouver une position d'équilibre entre des figures controversées, comme Youssef al-Qaradawi, auquel se réfère justement l'UOIF, et la nécessité de parler et de couper court entre ce lien qui peut être fait entre islam et radicalité. Troisièmement, les organisations musulmanes peuvent être tentées de dire : "Laissons passer la tempête et évitons de réagir à chaud car sans le vouloir on crée un amalgame entre islam de France et radicalisme". Les organisations françaises sont dans un entonnoir. Elles sont prises en étau entre la nécessité de s’exprimer et en même temps de ne pas parler pour éviter que le lien soit établi entre le Islam et Etat islamique. C’est le paradoxe.

Certains responsables du culte sont gênés aux entournures car ils ont un point commun avec l’Etat Islamique : la volonté d’instaurer le califat. Que pensent les organisations islamiques de France sur la perspective du califat ? C’est une question importante dont il faudrait avoir une réponse.

Au Royaume-Uni, des jeunes britanniques de confession musulmane mènent une campagne pour dénoncer les actes djihadistes de l’Etat islamique, refusant que l’organisation puisse parler en leur nom et en celui de l’islam. Pourquoi ce genre d’initiative n’a pour le moment pas été pris en France ?

D’abord, il faut dire que c’est une excellente initiative et ce serait bien qu’elle soit émise par les organisations islamiques de France car ce serait une façon de rompre avec la représentation fantasmée d’un musulman qui serait potentiellement dangereux pour la cité. On peut l’expliquer par l’inertie et les contradictions majeures mais il faut que les médias relayent cette initiative qui vient de la base. Rappelons aussi qu’au Royaume-Uni c’est une autre tradition "communautarienne", des gens s'expriment avec les apparences extérieures de l’islamité. En France c’est une tradition républicaine qui vise à considérer les individus comme des citoyens et non comme appartenant à tel ou tel groupe ethnique ou religieux.

Face à la  progression de l’Etat islamique et la recrudescence du nombre de candidats au djihad vers la Syrie et l’Irak, quelle attitude devrait adopter le CFCM et les autorités religieuses musulmanes françaises ?

Pour moi le meilleur moyen est de dire que tout silence des responsables du culte musulman sera assimilé à tort ou à raison comme une forme de complicité idéologique. Il faut que les organisations sortent du bois et rompent leur image. Il y a peut-être aussi des initiatives locales à prendre. Je pense que les Français non-musulmans attendent par exemple la tenue de rassemblements de musulmans dans les villes françaises pour s’exprimer contre les agissements de l’Etat islamique. 

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