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L’arrogance ricanante : pour en finir avec le gauchisme rieur
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Guignol

Faute d’intelligence, c’est la dernière arme qu’il leur reste. A nous maintenant de rire contre eux.

Altana Otovic

Altana Otovic

Altana Otovic est une étudiante en lettres modernes à l'université Paris Diderot. Française d'origine monténégrine, elle est éditorialiste pour le site Boulevard Voltaire

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Samedi dernier, nous avons eu droit comme chaque semaine à un brillant édito de Gaspard Proust.

En singeant un professeur soumis et dépassé par ses élèves, le comique a d’un seul geste flingué tout à la fois le laxisme servile de Christiane Taubira et de notre société, l’égalitarisme, l’angélisme et la culture du padamalgame. Appeler un chat, un chat, nommer un élève inculte "Youssef" et la victime "Jean-Matthieu", bien loin des sornettes de Plus Belle la Vie qui met en scène des beurs ratonnés par des blancs, qui aurait osé ? Gaspard Proust attaque, le sourire aux lèvres. Et à en croire les rires unanimes, y compris à gauche (souvenons-nous de l’irrépressible et coupable fou rire de Marie-Noëlle Lienemann, élue du PS, tandis qu’il moquait François Hollande…), cela plaît.

Enfin un humoriste qui se paie la tête du "progrès". Après des années de Stéphane Guillon et de moqueries gauchistes sur les plateaux télé, c’était inespéré. Nous tenons peut-être notre revanche.

Car cela vous est forcément déjà arrivé un jour. On ne sait trop pourquoi vous êtes allé fourrer votre nez là-dedans, d’ailleurs. Mais voilà, vous aimez discutailler, et vous n’êtes pas fermé d’esprit, alors vous avez débattu avec un gauchiste. Vous avez débattu et vous vous êtes fait avoir, encore une fois. Vous avez fini dix contre un, la tête dans la cuvette, le balai dans le derrière, ça vous fera les pieds.

En effet, qu’importe les chiffres impitoyables, les actualités qui ne laissent aucun doute, l’instinct populaire qui abonde en votre sens, il reste toujours au gauchiste cette ultime cartouche qu’il vous envoie sans peine entre les deux yeux et qui suffit à balayer tout l’historique du débat, l’atroce de la réalité, l’arrogance des statistiques. C’est un ricanement balancé en pleine figure, une boutade sur votre pessimisme supposé, une tentative de chantage par l’affect.

L’arme fatale du gauchiste (et non de l’honnête homme de gauche, s’entend) contre tout opposant, c’est le rire. Et sa manifestation la plus coriace, la plus insupportable et pourvoyeuse de migraine, celle du gauchisme rieur.

Le gauchisme rieur, c’est cette scène culte du Péril Jeune de Cédric Klapisch - grand film au demeurant - où le personnage de Tomasi, incarné par un Romain Duris très chevelu, insulte le patron d’un bar où il est allé se poser avec sa bande de copains ("ça te dirait de sucer mon pote pendant que je t’encule ?"). La horde s’enfuit alors avec fracas et nargue une fois dehors, par un flot d’insultes et de majeurs tendus, le propriétaire énervé. C’est drôle, c’est audacieux, ça vous est servi avec un large sourire : vous êtes pris au piège. Dans ce même film, la phrase lancée par Tomasi, perché sur un panneau de basket, à son proviseur qui le somme de descendre, pourrait représenter à elle seule l’esprit du gauchisme rieur : "Non mais faut rigoler, M’sieur Moroni ! Regardez quoi, tout le monde sourit ! Ca vous arrive jamais de rigoler un peu ? Ca manque d’animation quoi !". Et les camarades de rire et d’approuver en chœur. #FinDuGame. Il ne s’agit pas de tacler cette phrase, fort à propos dans ce contexte face à une autorité parfois revêche et austère, mais simplement de créer une image pouvant schématiser efficacement la maladie que nous étudions présentement.

Le gauchisme rieur, c’est le chanteur Cali, invité chez Ruquier, qui grimpe sur une chaise, vole les notes d’Eric Zemmour et les envoie valser comme un gamin jette en l’air une poignée de confettis, sous les gloussements et les applaudissements nourris d’un public abêti.

Le gauchisme rieur, c’est cette élève de mon lycée moquée parce qu’elle voulait rentrer dans l’établissement pendant le blocus : "Oh lala, lala, lalaaa !" lui scandait-on avec un enthousiasme moqueur. Non mais c’est vrai quoi ! Quelle idée d’aller en cours au lieu de se mêler à la foule et débiter des slogans automatiques !" En effet… combien chantaient "Sarko si tu savais…", ne sachant même pas que c’était en fait à Darcos que les paroles devaient s’adresser. Là encore, pas question de dévaloriser bêtement les revendications d’autrui ; juste de critiquer le recours systématique et malhonnête au rire comme arme de destruction de l’ennemi.

Le gauchisme rieur, c’est aussi la moquerie malicieuse de Yann Barthès qui fait passer la pilule de ses montages sournois dans Le Petit Journal, ce sont les omissions et les parti-pris malhonnêtes d’un Edwy Plenel planqué derrière sa gentille moustache de sage bienfaiteur, qui vous explique que c’est vous qui n’aimez pas le vivre ensemble, quand vous en dénoncez justement les ennemis les plus dangereux.

Aujourd’hui, le gauchisme rieur, ce sont ces millions de personnes qui sont Charlie, et qui ont raison de l’être, mais qui pour beaucoup reproduisent la niaiserie et l’aveuglement qui nous ont menés droit dans le champ de mines, et qui transforment une marche pour la liberté d’expression en ronde puérile contre l’islamophobie : touche pas à mon potejihadiste et pas d’amalgames. Allez, quoi, rentrez dans la danse, vous n’allez quand même pas ruiner cet instant d’unité nationale, fut-il factice, pour nous rappeler que c’est l’intégrisme islamique qui nous a précipités au fond du trou ? Qu’il ne faille pas jeter tous les musulmans avec les eaux putrides de l’islamisme, nous l’avons bien compris ; mais à d’autres, la disquette de l’islamophobie, quand le danger est ailleurs…

En somme, le gauchisme rieur, c’est l’irrespectueux fanfaron déguisé en trouble-fête, c’est le guignol en chapeau pointu, cotillon à la bouche en plein débat présidentiel. C’est le rebelle sans cause qui emploie sa subversion format petite bite à des fins inutiles : ça lui pend au nez, c’est tout. Il déploie alors tout son attirail, son « allez-quoi ! » qui vous invite à la détente, ses gesticulations qui se veulent troubles à l’ordre public. Et il renverse la table où s’empile le sérieux, le trop sérieux, le pas drôle, le désagréable et l’inconvenant.

Car la gravité n’est pas permise. Rabat-joie, pète-sec et pisse-vinaigre, autant de figures que le gauchiste rieur vient délivrer par son rire salutaire, son humour malin et son éternelle légèreté. Le gauchisme rieur, c’est la sanctification de la bêtise sur l’autel de la joie et de la bonne humeur. C’est solaire, c’est lumineux, un gauchiste. Puéril et fier, le majeur tendu. Bête mais heureux, simple mais gentil. Et bientôt mort, quand les ennemis qu’il défend viendront voiler ses femmes et lui couper la tête.

Il y a même des variantes, comme le gauchiste pleurnichard : les larmes de Juliette Binoche face à Alain Finkielkraut chez Ardisson lors d’un débat sur le conflit israélo-palestinien en constituent un formidable exemple. Ou encore, le gauchiste intransigeant, incarné par celui qui fronce les sourcils comme Aymeric Caron parce que vous ruinez ses idéaux lumineux. Et le gauchiste rêveur qui prétend vous rappeler à quel point le monde est merveilleux, à vous qui ne voyez rien, aveuglé par la haine : rappelons-nous de la longue harangue pro-vivre ensemble du rappeur Abd El Malik chez Ruquier, face à un Guillaume Peltier évoquant les réalités du voile en France.

Vous qui n’aimez pas le vivre-ensemble et empêchez la création d’un monde parfait qui n’attend que votre bon vouloir pour s’édifier, vous n’avez pas honte ? Le gauchiste n’est pas content. Fouteurs en l’air d’œcuménisme béat, dérangeurs d’utopie, mettez-vous ça en tête : décevoir un gauchiste, c’est faire pleurer un enfant. Et on ne fait pas chialer un môme impunément. Vous paierez cher d’aller lui rappeler que le Père Noel n’existe pas.

Alors par le rire, on élude le drame. Quoi, quel drame ? Il n’y a pas de drame ici, tout va bien. D’ailleurs, n’avez-vous pas remarqué que nous sommes tous en train de rire ? Tous, sauf vous, sombre con. Et si rien n’importe et que la vie est une fête, vous imaginerez sans peine quelle place on réserve aux porteurs de mauvaises nouvelles. Au bûcher les empêcheurs de penser en rond. Mieux vaut être un pyromane qu’un pompier venu vous dire qu’il y a le feu à la maison.

Oui, l’arme fatale du gauchiste, c’est bien le rire. Car qui n’a pas ri devant le Péril Jeune ? Qui peut contrôler cette mécanique impitoyable qui vous fait monter aux joues et au cœur un irrépressible spasme euphorique ? Personne, pas même vous, sale réac. Vous voilà au pied du mur.

Nous pouvons remercier cette sombre espèce qu’est le gauchiste rieur d’avoir fait de notre monde un théâtre où toute réflexion est évacuée par un éclat de rire retentissant, où chaque idiot peut ridiculiser par la plaisanterie celui qui prétend réfléchir et où les plateaux télé regorgent de comédiens épanouis par la modernité qui font la leçon aux intellectuels dits réactionnaires.

Pour liquider l’imposture, il ne nous reste que deux solutions : s’inviter dans le rire ou rendre à la réflexion sérieuse ses lettres de noblesse auprès du grand public.

A voir la dernière livraison d’un Gaspard Proust - qui doit bien valoir 100 fois son prédécesseur Stéphane Guillon -  c’est peut-être par le rire - hélas ! - que nous combattrons le gauchisme rieur…

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