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L'argent liquide, toujours de l'argent sale ?
L'argent liquide, toujours de l'argent sale ?
©Reuters

Decod'Eco

"La France vient d'interdire les transactions en espèces sur son territoire ; l'utilisation et la détention d'argent liquide seront sévèrement sanctionnées". Economie-fiction ? Oui... pour l'instant.

Isabelle  Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux est directrice de publications chez Publications Agora.

Elle a notamment co-écrit Le déclin du Dollar : une aubaine pour vos investissements ? (Valor, 2008).

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La France vient d'interdire toute transaction en espèces sur son territoire ; l'utilisation et la détention d'argent liquide seront sévèrement sanctionnées. Les guichets des banques françaises ne sont plus autorisés à distribuer/encaisser des espèces...

Scénario fictif ? Pour l'instant oui. Mais nous nous acheminons lentement mais très sûrement vers une "société sans cash". Une société sans argent liquide dans laquelle toutes les transactions seront numériques. L'utopie des politiques et des banquiers et en train de devenir réalité.

La Suède est la plus avancée dans ce processus d'éradication des espèces. Là-bas vous ne pouvez même plus acheter votre billet de bus en liquide ; les entreprises et commerçants sont tous les jours plus nombreux à refuser les paiements en espèces. Dans certaines villes, d'un commun accord, les guichets des banques ont décidé de ne plus distribuer de cash.

Sur ces questions, la France se veut fer de lance  au cœur de l'Europe

Il y a quatre mois, Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac ont écrit une lettre aux commissaires européens qui préconise la suppression des billets de 500 euros, ceux-ci étant "très répandus dans les trafics illicites". Objectif affiché de nos deux ministres : lutter contre "les différentes formes de fraudes", fraudes fiscales et blanchiment d'argent sale. Les coupures de 500 euros permettent de transporter discrètement de grosses sommes d'argent...

En février dernier, le Comité national contre la fraude a réuni plusieurs ministres dont monsieur Cahuzac. Au sortir de ce comité, Jean-Marc Ayrault annonce vouloir abaisser le plafond des paiements en espèces à 1 000 euros dès 2014 (contre 3 000 euros aujourd'hui). Je rappelle au passage que les achats d'or physique en espèces sont déjà interdits. Et que tout paiement de salaire supérieur à 1 500 euros est également interdit.

L'étau se resserre...

La Commission européenne travaille sur la question. Son projet de directive vise à rendre suspect tout paiement en espèces de plus de 7 500 euros. Un paiement en espèces supérieur à ce seuil vous fait entrer dans le champ d'application du GAFI (Groupe d'action financière international de lutte contre la fraude fiscal, le blanchiment d'argent sale et le terrorisme).

Le processus est en marche et avance vite en Europe

En Belgique, le plafond des paiements en espèces a été ramené l'an passé de 15 000 à 5 000 euros. Et il devrait être abaissé à 3 000 euros en janvier 2014. En Grèce il est de 1 500 euros pour les personnes privées (3 000 euros pour les entreprises). En Italie, Monti l'a abaissé déjà à 1 000 euros pour tous. En Espagne, le particulier ne peut faire de transaction en liquide supérieure à 2 500 euros..

Les populations se soumettent. Pourquoi ?

Parce que les raisons évoquées pour justifier leurs décisions sont louables (lutte contre le blanchiment d'argent et lutte contre la fraude fiscale) ; parce qu'il est aisé de faire l'amalgame entre argent liquide et argent sale...

L’Allemagne pour l'instant encore fait de la résistance. Outre-Rhin on aime les grosses coupures et les espèces restent très utilisées. Tout peut être payé en liquide, sans limite de montant. Mais l'Europe pourrait bien venir mettre le holà si son projet de directive devait être adopté...

Pourquoi vous êtes directement concernés

L'argent liquide est gratuit. L'argent numérique en dépôt à votre banque ne l'est pas. Frais de garde, frais d'émission de chèques, frais de transactions de carte bancaire, frais de virement. Les banques jubilent... Votre argent travaille pour elles, dans tous les sens du terme. Vous ne pourrez donc plus vous affranchir du système bancaire (au sens large). Une forme de restriction de liberté malgré tout...

Fini la "liberté de faire" sans marquage. Grâce aux paiements électroniques ou chèques, vos transactions sont exhaustivement tracées et archivées ad vitam aeternam. Votre espace de liberté et d'intimité se réduit. Bientôt viendra un jour où détenir des espèces fera de vous une personne suspecte. Les propos du ministre des Finances allemand Schaüble, qui qualifie les espèces de "moyen de paiement non-transparent" vont dans ce sens.

Oui, les intentions de nos politiques (lutte contre la fraude) sont louables. Mais pourquoi n'y a-t-il pas de débat autour de ces sujets dans nos sociétés ?

Les "mauvaises langues" vont plus loin

Elles parlent de volonté des politiques :

- d'empêcher la fuite des capitaux,

- de surveiller toutes nos transactions

- d'élargir la base taxable et d'en avoir à tout instant la maîtrise totale (répression fiscale)

- de risque potentiel d'expropriation (comme le prouve la décision unilatérale et sans préavis de mettre la main sur les dépôts chypriotes)

- d'empêcher de mesurer la réalité de l'inflation (un débit qui augmente un peu sur une carte passe inaperçu alors que le constat qu'un billet ne suffit plus pour acquérir tel bien se voit)

Plus l'Etat gagne en contrôle, plus vous perdez en liberté. Une tendance liberticide, qui va à l'encontre du droit de disposer et stocker comme on le souhaite des fruits de son travail. Mais tout ceci n'est, bien entendu, qu'absurdes divagations. L'objectif est la lutte contre l'argent sale, l'argent fraudeur... et elle est menée par des politiques au-dessus de tout soupçon.

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