L’alarmante disparition des offres d’emplois pour débutants<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Une jeune femme participe, le 30 septembre 2014, à un colloque sur l'emploi à Villeneuve-d'Ascq.
Une jeune femme participe, le 30 septembre 2014, à un colloque sur l'emploi à Villeneuve-d'Ascq.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Qualifications

Une récente analyse des annonces publiées sur le site Linkedln, spécialisé dans les réseaux professionnels, montre que 35% des offres d'emplois pour les débutants exigeaient une expérience passée. Cette tendance inquiète et risque de laisser hors du marché du travail les jeunes qui n'auront pas obtenu de stages pendant leurs études.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Comment se passe actuellement l’entrée dans le monde du travail pour les jeunes ?

Michel Ruimy : Le passage de la vie scolaire / universitaire, d’un cursus sécurisé de formation, à un nouveau parcours plus incertain de carrière professionnelle constitue une étape importante. Il s’agit d’une véritable métamorphose identitaire : passage du statut de scolaire / universitaire sous dépendance familiale à l’autonomie, confrontation brutale à des choix vitaux longtemps repoussés, deuil de certains projets ou idéaux adolescents, exposition à une autre image de soi-même au travers du nouveau regard porté par autrui.

En outre, fortement marqués par la crise sanitaire, une majorité des jeunes redoutent que leur diplôme soit démonétisé aux yeux des employeurs et de ne pas trouver un emploi quand ils auront fini leurs études.

Ce « choc » semble être encore plus rude aujourd’hui avec la quasi-disparition des emplois d’« entrée de gamme », qui étaient, autrefois, le moyen, pour les nouveaux diplômés, d’entrer dans la vie active. Il est d’autant plus rude que beaucoup d’employeurs exigent désormais une expérience préalable pertinente. Cette démarche est très courante dans certains secteurs d’activité. Plus de 60% des annonces pour des emplois d’entrée de gamme dans le secteur des logiciels et des services informatiques, par exemple, exigent 3 ans d’expérience voire plus.

Ceci désavantage les personnes qui ont peu ou pas de stages, ou qui ont obtenu un diplôme dans une discipline moins appropriée ou dans une école moins réputée. De plus, il y a très peu de chances que le CV du « diplômé moyen » comprenne toutes les compétences et l’expérience requises pour un emploi donné

À Lire Aussi

Voici pourquoi les jeunes veulent changer de carrière de plus en plus vite

Quels sont les effets de cette généralisation d’une demande d’expérience avant l’obtention d’un premier emploi ?

La croissance régulière du « marché des stages » traduit le fait que de plus en plus de jeunes étoffent leur curriculum vitae en faisant une ou plusieurs expériences du monde du travail avant même la fin de leurs études. En d’autres termes, ces courtes périodes de travail constituent aujourd’hui le point d’entrée en entreprise. C’est pourquoi, de nombreux étudiants envisagent désormais leur premier stage après la première année.

Cette situation a plusieurs conséquences. Tout d’abord, les entreprises bénéficient de cette configuration sur le marché de l’« emploi de premier niveau » car plus elle emploie de stagiaires faiblement rémunérés, moins elle est susceptible d’ouvrir des postes de débutants. Une généralisation de ce comportement pourrait conduire à une réduction des coûts de production au plan microéconomique et, dans une moindre mesure, à une hausse du chômage au plan macroéconomique.

Ensuite, comme les candidats ayant un ou plusieurs stages sur leur CV ne sont pas difficiles à trouver (« armée de réserve »), ceux qui n’ont pas / peu d’expérience sont « laissés sur le bas-côté de la route ». Dans certains cas, il faut même avoir déjà effectué un stage pour en obtenir un nouveau ! Et, c’est encore plus difficile pour une personne appartenant à une minorité ethnique.

Ajoutez à cela que comme la grande majorité des offres de stage soient géographiquement situées dans l’agglomération des grandes villes (métropolisation de l’activité économique), ceci signifie que ceux qui n’y vivent pas encore ou ne peuvent pas déménager n’ont guère de chance de trouver un emploi alors même que ces cités sont généralement les lieux où le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs.

À Lire Aussi

Télétravail : une vaste étude menée par Microsoft montre que la génération des salariés les plus jeunes est aussi la plus affectée

Les emplois pour débutant sont-ils moins nombreux aujourd’hui qu’hier ? Pourquoi ?

Les emplois pour débutant sont moins nombreux, aujourd’hui, qu’hier. Mais, les stages n’en sont pas les seuls responsables. Beaucoup d’entre eux ont été progressivement éliminés au cours des dernières décennies au fur et à mesure que des outils et des technologies ont été introduits par / dans l’entreprise pour effectuer le même travail.

Une grande partie de ce qui aurait été considéré comme un poste de « débutant » il y a 30 ans, a disparu en raison de la rapide et grande automatisation / numérisation / digitalisation de certaines tâches (recherche de produits, planification ou commande de fournitures de bureau, réalisation de présentations Power point…). Le travail qui incombait, autrefois, à un groupe de collaborateurs en début de carrière peut être effectué maintenant par une seule personne. Les entreprises peuvent ainsi faire « beaucoup plus avec beaucoup moins ».

Les travaux de « niveau d’entrée » proposés (service à la clientèle, la gestion des réclamations, la gestion de projet…) sont alors souvent des emplois qui exigent, à la fois, un niveau différent de rigueur et une certaine connaissance du secteur mais aussi davantage de communication interpersonnelle, des responsabilités de plus haut niveau ou des rôles en contact avec les consommateurs, tout poste que de nombreuses entreprises hésitent à confier à un nouveau diplômé.

Enfin, la gestion des ressources humaines a également été automatisé, ce qui ne fait que rendre les choses plus difficiles pour les travailleurs débutants qui peuvent correspondre à une fonction, mais qui n’ont pas les bons mots à la mode dans leur CV.

À Lire Aussi

Le marché de l’emploi pour les jeunes diplômés s’est effondré dans des proportions jamais atteintes

La nature du premier emploi obtenu par un jeune est-il déterminant pour la suite de sa carrière ?

Si le premier emploi est difficile à obtenir, il n’en est pas moins plus important que jamais car, même s’il est l’échelon le plus bas de l’échelle de l’emploi, il conditionne toute la carrière professionnelle.

Aux États-Unis, l’écart salarial entre les personnes qui occupent un emploi de niveau universitaire et celles qui se retrouvent à un poste n’utilisant pas leur diplôme, représente plus de 100 000 dollars de manque à gagner au cours de la première décennie d’emploi.

Cette situation perpétue l'inégalité économique, car elle touche, de manière disproportionnée, les personnes qui n’ont pas - ou ne pouvaient pas se permettre - d’avoir des stages. Ironiquement, ceci peut aussi empêcher les personnes qui ont dû travailler au salaire minimum ou à un emploi de service pendant leurs études d’obtenir un poste lié à leur spécialité, une fois diplômées. Le fait d’appartenir à une classe socioprofessionnelle « inférieure » peut être ainsi un obstacle.

À Lire Aussi

Le taux de chômage suisse repasse sous la barre des 3% : mais comment font-ils ?

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Les reprises en K, bonnes pour les riches, mauvaises pour les pauvres finissent bien pour tout le monde. Même en France... ?L’Allemagne se rend compte que la Chine la concurrence plus que prévu sur son marché domestique

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !