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Justice en crise : les chiffres qui montrent la profondeur de la défiance des Français
©France Bleu

Plus de confiance aveugle

Le CEVIPOF vient de rendre publique sa grande enquête annuelle sur la confiance des Français de janvier 2016 qui révèle l'état désespéré de l'opinion publique. Les Français se méfient de plus en plus du monde politico-médaitique mais aussi de l’institution judiciaire, pilier de notre démocratie qui semble aujourd’hui ébranlée.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Les Français sont seulement 44% à continuer à avoir confiance dans le système judiciaire, en quoi cette défiance des Français dans la justice pourrait-elle découler d’une forme de partialité d’une justice trop idéologisée (plutôt de gauche?), de la surabondance de lois qui finiraient par ne pas être appliquées  ou encore des affaires politiciennes qui ne semblent jamais aboutir?

Alexandre Giuglairis : Savoir que plus d'un Français sur deux n'accorde pas sa confiance à la justice, alors qu'elle est l'institution censée protéger les justiciables au moment où ils sont les plus vulnérables, est une donnée qu'il faut prendre sérieusement en compte. Le manque de transparence de l'institution judiciaire est sans nul doute le principal responsable de cette défiance. Le « deux poids deux mesures » est souvent ressenti par les Français. Par ailleurs, certaines affaires médiatisées ont causé du tort à la crédibilité de la justice. Presque tous les jours des multirécidivistes sont condamnés à des peines alternatives à l'incarcération et à l'inverse, il arrive qu'une sévérité excessive frappe des personnes qui devraient faire l'attention d'une clémence à défaut d'une impunité à l'image de la condamnation de Madame Sauvage qui a abattu son mari qui violentait et violait depuis des années ses enfants. A cela s'ajoute les discours laxistes et déconnectés de toute réalité de la garde des Sceaux. L'excuse continuelle qu'elle accorde aux délinquants a fini d'user les Français qui attendaient de sa part une plus grande considération pour les victimes. Enfin, les Français sont logiquement méfiants des chiffres annoncés en matière de lutte contre la délinquance. L'opacité de ces données l'explique. Le plus choquant pour les Français est d'entendre en réponse à la hausse de la délinquance qu'il ne s'agit que d'un « sentiment d'insécurité ». Les violences concernent indifféremment les territoires, les milieux sociaux et les âges. Il est ainsi logique que la sécurité soit toujours l'une des principales préoccupations des Français à chaque élection.

Régis de Castelnau : Je crois que cette défiance relève d’une attitude générale vis-à-vis des pouvoirs publics On ne s’attardera pas sur la catastrophe concernant la classe politique elle-même dont la gravité se révèle sondage après sondage, élection après élection. Mais les deux autres composantes du triangle démocratique, la presse et la justice sont aussi frappés de cette perte de confiance qui commence à tourner à la détestation. Concernant la Justice, s’il y a des causes générales, un certain nombre d’éléments précis peuvent être relevés pour expliquer le désamour. La délinquance qui pourrit la vie des gens, violences, vols, cambriolages, celle qui provoque le fameux « sentiment d’insécurité », force est de constater que le problème n’est même plus de parler de « justice laxiste » mais de dépénalisation pure et simple. Les procédures et les peines prononcées n’ont réellement aucune conséquence sur délinquants faute de moyens. Comment expliquer aux citoyens qu’il est normal que tel ou tel braqueur ou criminel disposait d’un casier judiciaire d’une douzaine de condamnations dont il n’avait effectué aucune.

Ce qui est essentiellement de l’impuissance de l’appareil judiciaire est considéré comme une attitude volontaire. À ceci vient s’ajouter une répression très ferme de tous ce qui relèvent peu ou prou de « l’autodéfense ». La crainte justifiée de voir les choses déraper conduit les tribunaux à une sévérité excessive. Sans mesurer l’effet désastreux sur l’opinion publique. Il y a également l’instrumentalisation visible de la justice par les pouvoirs publics, économiques, et par la presse. Instrumentalisation qui alimente tous les fantasmes comme par exemple dans l’incroyable feuilleton des affaires concernant Nicolas Sarkozy. La réaction de l’institution judiciaire à ces dérives est inexistante et le corporatisme des magistrats peut faire des ravages. Au-delà du manque de rigueur dans la conduite de certaines procédures, on en constate l’expression dans l’intervention permanente des syndicats de magistrats, devenue officines politiques complètement oublieuses du devoir de réserve et surtout de l’exigence d’impartialité. L’invraisemblable affaire du « mur des cons » ou la condamnation d’Henri Guaino  pour sa critique du juge Gentil ont provoqué dans l’opinion publique des dégâts que la majorité des magistrats ne soupçonne même pas.

Le sondage révèle que près d’un Français sur deux  est toujours favorable à la peine de mort. Cette radicalisation de l’opinion est-elle révélatrice du désaveu d’une justice trop laxiste et d'un désir une justice plus punitive ? 

Alexandre Giuglairis :La popularité de la peine de mort s'explique par l'incapacité de la justice à sanctionner avec fermeté les criminels et les plus dangereux délinquants ainsi que par les discours de la chancellerie. Je tiens à souligner à cet égard que l’adhésion au rétablissement de la peine de mort a cru de 15 points dans l’opinion, entre octobre 2011 et décembre 2013 ! La peine de mort n'est évidemment pas une solution, mais si une large partie des Français souhaite aujourd’hui son rétablissement, c'est parce qu’elle est interprétée comme un signal de fermeté et un sentiment d’inefficacité de notre arsenal pénal, tel qu’il existe. Prenons l'image d’un chauffage dont la température tarde à augmenter, le réflexe est de monter au maximum alors que cela est parfaitement inutile. Le rétablissement de la peine de mort ne permettra pas aux autres peines d'être mieux exécutées et ainsi d’avoir une justice plus efficace et plus dissuasive. Nous sommes convaincus que l'application systématique et rigoureuse des peines de prison fermes permettrait non seulement de faire baisser la délinquance, mais aussi détournerait les Français de solutions radicales. Une sanction ferme, sévère, rapidement mise à exécution et respectée jusqu'à son terme, voilà le modèle de peine que nous devons appliquer.

Régis de Castelnau : C’est une évidence. Au moment de l’abolition, les Français étaient majoritairement favorables au châtiment suprême. Au début des années 2000, ceux qui souhaitaient le rétablissement étaient environ 35 %. Le fait que ce chiffre soit remonté à près de 55 % témoigne d’une exaspération qui se transforme en rage. La peine de mort concernait deux personnes par an avant son abolition. La rétablir ne servirait rigoureusement à rien, mais c’est pour le retour du symbole que les Français se prononcent. Pour que la punition retrouve sa place, évacuée qu’elle a été au profit, et avec les meilleures intentions du monde, de la réinsertion. C’est une question délicate, car pour les infractions les plus graves, celles qui relèvent des cours d’assises avec leur jury populaire, on a constaté une aggravation de la répression. Durée des peines, caractère incompressible, tout l’arsenal mis en place après l’abolition a été largement utilisé. Il y aurait donc une sorte de paradoxe à vouloir une répression accrue en souhaitant le rétablissement de la peine de mort, alors même que cela concernerait une délinquance qui n’en relève pas. Mais il faut prendre en compte cet indicateur et trouver  rapidement les solutions qui s’imposent. Il n’est pas possible d’entendre un ministre de l’intérieur se réjouir après la Saint-Sylvestre d’une baisse du nombre de voitures incendiées de 14 %, ce qui représentait quand même 814 véhicules détruits ! Et autant de familles privées de leurs moyens de transport indispensables.

Si les Français manifestent une profonde défiance vis-à-vis de l’autorité judiciaire, ils plébiscitent en revanche les forces de sécurité et l’armée dont la cote de confiance a augmenté. Dans quelle mesure les attentats de janvier et de novembre et la menace terroriste ont joué un rôle ? 

Alexandre Giuglairis :Comme nous l'avons dit juste avant, les Français estiment que la justice est dans l'incapacité de les protéger quand ils en ont le plus besoin. Les interventions et les interpellations menées par les forces de l'ordre ont impressionné les Français lors des différents épisodes terroristes. Dans ces cas critiques, ils ont fait preuve d'un courage, d'un sens du devoir et d'un professionnalisme qui suscitent le plus profond respect. Les Français leur en sont reconnaissants. Ils ont maintenant pleinement conscience que les policiers, gendarmes, et militaires, eux-même cibles des attaques terroristes, risquent quotidiennement leur vie pour protéger leurs concitoyens. Mais je tiens à souligner là encore que la popularité des forces de sécurité était déjà bien supérieure à la confiance dans l’autorité judiciaire, les syndicats, les médias ou les hommes politiques avant les attentats de 2015. 

Régis de Castelnau : La police et l’armée, ont toujours été perçues comme des forces de protection. Leur mobilisation et leur efficacité au moment des de tragédies a encore renforcé cette confiance. Les reportages vidéos qui exposaient de façon impressionnante le courage des acteurs ont ajouté l’admiration à la confiance. Il faut souligner ici le caractère lamentable de la mise en cause systématique des forces de l’ordre comme par exemple dans l’affaire de Clichy sous-bois, où contre l’évidence on a pendant dix ans poursuivis injustement des policiers pour finir par les relaxer. De la même façon, l’acquittement récent d’un policier pour la mort d’un délinquant a fait l’objet d’une couverture médiatique sans que jamais soit rappelé qu’il s’agissait d’un braqueur récidiviste et armé. Comment ne pas comprendre que ce traitement de l’information puisse mettre en rage une population frappée d’anxiété.

Les Français sont seulement 44% à penser que les démocraties savent maintenir l’ordre. Est-ce à dire que les Français sont de plus en plus nombreux à penser qu’une guerre civile est une menace de plus en plus possible?

Alexandre Giuglairis : Je ne pense pas qu’il faille y voir l’expression de la menace d’une guerre civile. Néanmoins, ces chiffres sont extrêmement inquiétants et devraient faire réagir nos élus ! C’est bien le sentiment et le constat que l’autorité républicaine recule dans de nombreux territoires qui poussent les Français à déconsidérer le système démocratique pour assurer la sécurité. Si l’on se réfère aux philosophes du contrat social ou à Max Weber, on voit bien à travers ce chiffre que c’est la légitimité et le fondement même de l’Etat qui sont remis en cause. Il y a donc urgence à agir et à mettre en place des politiques pénales pragmatiques et efficaces. 

Régis de Castelnau : 52 % des militaires, des gendarmes et des policiers votent Front National. Que ceux qui sont chargés de l’ordre et de la protection ne fasse pas confiance à l’actuel système démocratique, convenons qu’il s’agit là d’un sérieux problème. Je pense que la menace n’est pas encore perçue comme un risque de guerre civile, mais comme un risque d’affrontement.

A force de ne pas prendre en considération l’exaspération des Français, le gouvernement fragilise la démocratie. Le gouvernement est-il en mesure d’entendre cette crise de confiance et d’y répondre ou bien la démocratie vit-elle ses derniers jours ?

Régis de Castelnau : Je pense sincèrement que l’on ne peut pas dire que la démocratie vit ses derniers jours, mais le problème est que les gens qui gouvernent enfermés dans leur bulle dispensatrice de pouvoir de privilèges et de confort ne mesurent pas l’importance de la crise. Ce qui commence à ressembler à de l’autisme peut conduire à des évolutions vraiment préoccupantes. Ce qui se passe en Europe centrale est quand même un signal très sérieux. L’UE et ses dirigeants, et en particulier les Allemands, donnent  l’impression d’une forme de somnambulisme. Je ne sais pas si François Hollande a lu en détail les études du CEVIPOF, sinon il serait bien avisé d’aller y voir que les indicateurs sont au rouge.

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