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Jouets non genrés : pourquoi la ministre fait fausse route dans sa recherche de main d'œuvre féminine
©LUDOVIC MARIN / AFP

Approche genrée

La secrétaire d'Etat à l'Économie Agnès Pannier-Runacher déclarait ce lundi vouloir faire évoluer les jouets et leur contenu pour favoriser la mixité, notamment chez les ingénieurs où le déficit de femmes serait anormal. En cause, selon elle, les représentations des jouets ne rendent pas attractifs certains métiers, notamment scientifiques, pour les femmes, expliquant en partie leur manque d'attrait pour la profession et leur faible présence.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Selon vous, une approche "genrée" des jouets pour faciliter des désirs d'orientation professionnelle est-t-elle vraiment efficace pour rendre mixte un milieu largement dominé par les hommes ?

Michel Maffesoli : Il y a quelque chose d’effrayant dans cette affirmation d’un État qui veut « faire le bien des gens, malgré eux ». On ne peut s’empêcher de penser aux divers totalitarismes qui au siècle dernier notamment voulaient « éduquer le peuple ». Les déclarations de la secrétaire d’État à l’Économie ont un petit air de «révolution culturelle » de sinistre mémoire. Certes les étudiants lancés par Mao Tsé Tung à la chasse aux intellectuels bourgeois, ont atteint des sommets de barbarie de masse que notre pauvre ministre n’imaginerait pas.

Il n’empêche, toute volonté « éducative » risque de dégénérer en « rééducation ». Particulièrement quand il s’agit d’éradiquer les « stéréotypes » de genre, qui ne sont après tout qu’une des nombreuses manières dont les sociétés se représentent et vivent la différence entre les sexes.

Il y a d’ailleurs quelque chose de paradoxal dans l’emploi du terme de « stéréotype », qu’on oppose au « naturel ». Ce qui est le contre-argument en miroir de ceux qui défendent une différence naturelle !
Or le féminin (l’anima au sens de C.G. Jung) comme le masculin (l’animus) sont les parts féminine et masculine présentes chez la femme et chez l’homme. Selon les époques d’ailleurs, prédominent les valeurs masculines ou féminines. La modernité a vu prédominer les valeurs masculines, le glaive, le phallus, la science et la technique conquérantes quand la postmodernité marquerait plutôt une « féminisation du monde », le régime nocturne de l’imaginaire, l’importance de l’esthétique, de la parure, de l’intuition, des émotions.
Vouloir attirer les femmes vers les métiers d’ingénieur est donc doublement difficile, car il n’est pas sûr du tout que ces métiers correspondent à l’imaginaire de l’époque tant chez les hommes que chez les femmes.
Si l’on veut trouver des ingénieurs pour pallier des pénuries de main d’œuvre (après tout c’est la ministre de l’économie qui parle) il faudrait plutôt réfléchir à rendre attractifs dès le jeune âge le travail en équipe, le travail manuel, la fabrication, la confrontation à la matière.

A ce titre, avez-vous justement des exemples précis où de pareilles mesures ont déjà été mises en place –la Norvège étant à la tête de cette pratique- pour mesurer de l'efficacité ou inefficacité de cette pratique ?

Quel est l’objectif de la ministre ? Est-ce de former plus d’ingénieurs ou est-ce de gommer toute différence dans l’orientation, le choix des métiers entre les garçons et les filles ?
S’il s’agit de former plus d’ingénieurs, pourquoi ne met-on pas en place des voies d’excellence à partir des classes professionnelles du secondaire ? pourquoi seules les études générales et relativement abstraites sont-elles valorisées ? Très clairement nombre de filles et de garçons gagneraient à se former en développant en même temps leurs aptitudes pratiques et théoriques. Et ceci n’est pas une question de genre !
Le discours de la ministre veut « réformer » la sphère ludique et familiale des enfants, mais n’entend rien changer au système scolaire.
Il s’agit de sélectionner les profils les plus dociles et les plus conformes au modèle imposé.
Or justement, si l’on veut que garçons et filles puissent développer leurs aptitudes et leurs compétences, plurielles, différentes non seulement selon leur sexe, mais surtout selon les personnes, il faut promouvoir un autre modèle de formation et de socialisation des jeunes. Non plus éduquer, c’est à dire tirer vers un modèle, mais initier, faire naître et s’accomplir les diverses compétences.
C’est un autre modèle d’école qu’il faut promouvoir,  permettant à toutes les formes d’intelligence d’éclore, à toutes les formes de savoir de se développer.
Non plus une école qui sache uniquement sélectionner, préparer aux examens et concours, mais une école qui permette à chacun d’acquérir les bases de savoir et les compétences nécessaires à son plein accomplissement. Comme ingénieur et comme ouvrier. Comme médecin et comme assistant social.

Cette approche n'est-elle pas également liberticide pour les parents, en faisant fi du droit à choisir les jouets de ses enfants, et plus largement, leur éducation ?

Ne soyons pas trop naïfs et soyons bien conscients du poids très important du marketing dans le « choix des familles ». Il n’est que de parcourir un magasin de jouets ou de vêtements pour enfants pour être confronté à cette extrême diversification des rayons selon le sexe des enfants. Ce qui n’était pas le cas dans les générations précédentes, peu d’enfants possédant plus qu’une poupée pour les filles et un fusil ou un cheval de bois pour les garçons, tous s’amusant à des jeux collectifs, dans la rue et dans la campagne : cache-cache, chat, et divers jeux de société.
Ceci dit, on peut se demander si l’énorme succès de cette consommation enfantine très sexuée ne traduit pas un refus populaire de l’égalisation à outrance ?
Il est certain en tout cas que des déclarations voire des stratégies telles celle affichée par la ministre de l’économie qui souhaite « éduquer » les filles pour en faire de « bons petits soldats » de la production risque d’avoir l’effet contraire à celui escompté.

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