Jean-Luc Mélenchon a-t-il aspiré le vote d’extrême gauche ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le candidat du Front de Gauche atteindrait pour la première fois la barre des 10%.
Le candidat du Front de Gauche atteindrait pour la première fois la barre des 10%.
©Reuters

Gaucho

Selon un sondage de l'Institut CSA pour BFMTV, 20 Minutes et RMC publié mercredi, le candidat du Front de Gauche atteindrait pour la première fois la barre des 10%. Et s'il créait la surprise lors de la présidentielle ?

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj est chargé de recherche à Sciences Po. Diplômé et docteur en science politique de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il est spécialisé dans les comportements électoraux et politiques en France, en Europe et aux Etats-Unis et la psychologie politique,

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Atlantico : Lors du premier tour de la présidentielle 2002, le vote pour l'extrême gauche se situait à près de 14%. En 2007 à environ 8%. En 2012, quel score peut espérer obtenir la "gauche de la gauche" ?

Vincent Tiberj : La première chose à garder à l'esprit, c'est que le vote d'adhésion à l'extrême gauche n'est pas aussi marqué que cela. La plupart des électeurs qui ont voté Laguiller ou Besancenot en 2002 ou 2007 correspondent à des électeurs de gauche qui votent pour envoyer un message, notamment au parti dominant de la gauche c’est-à-dire le Parti socialiste. On peut qualifier l'essentiel de ce vote comme un "vote d'influence" et non "d'adhésion". Il n'est pas le fait de militants de la cause trotskiste.

Le vote qui s'est porté sur l'extrême gauche en 2002 et 2007 correspond donc à des électeurs susceptibles de voter pour différents partis de gauche : ils ne sont pas fidèles à un seul parti, il se sentent proches de plusieurs mouvements à la fois. Ils font leur choix selon le contexte de l’élection, selon le moment, selon les enjeux les plus importants, selon la personnalité des candidats, le tout au sein de la gauche.

La gauche est ainsi devenue un espace concurrentiel où certains électeurs votent socialiste à une élection, écologiste à la suivante, puis Besancenot ou Mélenchon. 

Vers quel candidat pourrait se porter en 2012 le "vote d'extrême gauche" ? En 2002, les électeurs d'Olivier Besancenot et d'Arlette Laguiller représentaient à eux deux 10% des voix. Jean-Luc Mélenchon pourrait-il s'appuyer sur cet électorat ?

Il faut être prudent : il s'agit là d'effectifs extrêmement faibles, plusieurs effets contextuels troublent la perception et 10 ans se sont écoulés depuis 2002. 

En 2002, Arlette Laguiller réussissait très bien auprès de l’électorat populaire traditionnel du PS quand Besancenot séduisait essentiellement les électeurs des classes moyennes, jeunes et urbains socialistes. Celui-ci avait réussi à prendre le dessus sur Arlette Laguiller en 2007, en la "ringardisant".

En 2012, les électeurs d'extrême gauche des élections présidentielles de 2002 et 2007 devraient se tourner vers François Hollande ou Jean-Luc Mélenchon qui a réussi à faire émerger un leadership à la gauche de la gauche. Dans un premier temps, en décembre-janvier, il a grignoté l’électorat trotskiste et celui des Verts. Désormais, il commence à récupérer quelques électeurs à François Hollande. Cette évolution est facilitée par le risque très faible de voir un nouveau "21 avril" se produire puisque le candidat PS est assez haut dans les sondages. Et  plutôt que de lorgner sur l’électorat de François Bayrou comme en 2007, une bonne partie des électeurs préfère quand même voter à gauche.

Justement, selon un sondage de l'Institut CSA pour BFMTV, 20 Minutes et RMC publié mercredi, Jean-Luc Mélenchon atteindrait pour la première fois la barre des 10%. Dépassera-t-il à la présidentielle les résultats d'Olivier Besancenot ? Peut-on d'ailleurs le situer à l’extrême gauche ?

On n’a jamais pu déterminer de véritable clivage entre gauche et extrême gauche : c’est le même univers et donc les mêmes électeurs. La dynamique potentielle pour Jean-Luc Mélenchon consiste à récupérer des électeurs de François Hollande qui n'ont pas peur d’un nouveau "21 avril". Il devrait donc a priori continuer à monter  dans les sondages.

De manière générale, l’entrée dans la campagne officielle devrait être bénéfique pour le candidat du Front de Gauche car l’espace médiatique des "petits candidats" va augmenter. Ils devraient par ailleurs bénéficier du fait que les Français sont pour l'instant déçus par la campagne.

En ce qui concerne l'extrême gauche, le problème aujourd’hui tient dans cette ultra concurrence à gauche et à l’incapacité de cette organisation à fédérer au-delà de l’extrême gauche trotskiste. Le projet du NPA consistait à dépasser le trotskisme classique pour intégrer la gauche mouvementiste. Cela a échoué  parce que sans Besancenot le NPA n'est pas grand chose. Sa personnalité fédérait. Peu de gens connaissent le NPA, mais tout le monde connait Olivier Besancenot. Toutefois, en 2002, à cette même période de début mars, celui-ci n'était guère connu. Philippe Poutoux peut donc espérer lui-aussi émerger au moment du début de la campagne officielle car pour l’heure son exposition médiatique est loin d'être maximale.

Une partie des électeurs d'extrême gauche est-elle susceptible de se reporter sur Marine Le Pen ? On parle souvent de vase communicant entre l'extrême gauche et l'extrême droite...

On en parle, mais c’est absolument faux ! Deux logiques caractérisent ces électorats : une socio-économique et l'autre culturelle (notamment sur la question d’immigration). Si vous étudiez le profil des Français qui s’apprêtent à voter pour Mélenchon, ils sont diamétralement opposés sur les valeurs culturelles aux logiques du vote Marine Le Pen : ils sont, par exemple, plutôt favorables à l’homoparentalité et à l’immigration quand les électeurs de Le Pen pensent exactement le contraire.

Ce qui lie artificiellement ces électorats ce sont les ouvriers qui partagent des valeurs culturelles assez fermées mais surtout des valeurs socio-économiques clairement marquées à gauche. Les ouvriers qui votent Le Pen font passer l’immigration d’abord quand les ouvriers qui votent à gauche font passer leurs valeurs socio-économiques en premier.

Les électorats de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen ne sont donc pas du tout les mêmes. En vérité, ceux qui veulent voter pour Marine Le Pen hésitent avec Nicolas Sarkozy et inversement. Tandis que les électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon hésitent à voter pour François Hollande ou d’autres candidats de la gauche.

Peut-on aller jusqu'à imaginer que Jean-Luc Mélenchon soit "le troisième homme" de 2012 ?

C'est compliqué à dire. C'est possible car la dynamique au sein de la gauche est en sa faveur. François Hollande devrait faire attention. On ne peut en tout cas plus affirmer que Jean-Luc Mélenchon finira derrière François Bayrou.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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