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Jean-Christophe Lagarde : "Les très graves tensions de la société française  tiennent moins à un problème d'intégration que de concentration de la pauvreté"
©UDI

Interview politique

Le président de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde, revient sur la non-participation de son parti à la primaire de la droite, mais également sur le prolongation de l'état d'urgence, et son refus de signer l'appel des 40 au CAC 40.

Jean-Christophe Lagarde

Jean-Christophe Lagarde

Jean-Christophe Lagarde est président de l'UDI depuis 2014, député de la 5e circonscription de la Seine-Saint-Denis depuis 2002.

Soutien de François Bayrou pendant la campagne présidentielle de 2007, il rejoint ensuite le Nouveau Centre, puis fonde, en 2012, le parti de centre-droit Force européenne démocrate. En septembre 2012, il rejoint l'UDI lancée par Jean-Louis Borloo.

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Atlantico : L'état d'urgence a été prolongé une troisième fois hier par l'Assemblée nationale. Etiez-vous favorable à cette prolongation ? Pourquoi ?

Jean-Christophe Lagarde : Oui, pour une troisième et dernière fois. Deux raisons justifiaient l'état d'urgence : adapter notre droit aux nouvelles menaces, et accroitre la sécurité pour les événements internationaux comme l'Euro 2016. Mais ensuite, les moyens exceptionnels que donne l’état d’urgence ne peuvent qu'être temporaires. S’ils demeurent nécessaires, c’est qu’ils doivent nécessairement être intégrés dans la loi ordinaire.

Aujourd'hui, un certain nombre de mesures ont déjà été prises pour s'adapter à cette nouvelle menace et nous avons progressé sur le PNR (Passenger name recordndlr). Mais la coopération européenne reste insuffisante : nous n'avons pas uniquement besoin de coopération entre nos forces nationales, mais aussi d'un corps de garde-frontières européens, qui garderaient nos frontières extérieures en commun, de façon fédérée. Nous souhaitons également la création d'une police fédérale européenne et d’un parquet européen qui lutteraient à la fois contre le terrorisme et les grands trafics sur l'ensemble du territoire européen.

Ce que je déplore, c'est que nous ayons attendu de subir des attentats à Paris et à Bruxelles pour accentuer cette coopération. Avec un parquet et une police fédérale, nous aurions très probablement été plus réactifs pour appréhender les terroristes. Parce qu'aujourd'hui, et contrairement à ce que peut dire Marine Le Pen, la frontière ne gêne pas les terroristes, elle ne gêne que les polices. Les seuls qui s'arrêtent à la frontière, ce sont les policiers. L'idée que les frontières nationales seraient garantes de la sécurité est une imposture ! D'ailleurs, quand on y réfléchit, nous avons subit des attentats en 1982, puis dans les années 1990, à un moment où les frontières existaient encore et où les terroristes venaient de l’extérieur... On essaye de nous faire croire que des frontières nous permettraient de mieux nous protéger contre des ennemis de l'intérieur. Quelle est le sens de cette idée ?

Concernant l'islam et ses dérives radicales, y a-t-il des choses qui ont évoluées positivement à Drancy et en banlieue en général depuis le 13 novembre ? Voyez-vous moins de jeunes quitter la France pour la Syrie ?

Je n'ai jamais vu un jeune quitter le pays pour la Syrie, sinon je l'aurais signalé.

Le maire de Saint-Denis a récemment déclaré qu'il devait toujours procéder à des signalements auprès du Préfet...

La réalité dépend beaucoup d'une ville à l'autre. Nous faisons des signalements sur des signes de radicalisation. J'espère seulement que ces signalements font l'objet d'une bonne coordination au sein de nos services de renseignement et de police, ce dont je n'en suis pas tout à fait sûr.

La société française est traversée par de très graves tensions. Mais pour l'essentiel, cela tient moins à un problème d'intégration que de concentration de la pauvreté, ajoutée à une diminution de la mobilité sociale. Il y a une immense majorité d'individus issus de l'immigration qui s'intègre parfaitement bien. Mais le manque de mobilité sociale, d’ascenseur social, facilite la revendication identitaire : ne pas trouver sa place dans la société peut amener à la chercher dans une identité communautaire. Et il existe effectivement des groupes, dotés d’un projet politique, qui veulent utiliser ce ressort pour imposer leur identité à la France. C’est cela qu’il faut combattre. Mais le point d'origine est bien l’absence de mobilité sociale dont je rappelle qu'elle est la première promesse républicaine. 

Cela n'excuse aucune dérive, mais je pense qu'il est indispensable de bien comprendre un phénomène pour mieux le combattre.

Qu'aurait-il fallu faire qui n'a pas encore été fait ?

Tout d'abord il faut réussir à déconcentrer la pauvreté sur le territoire. Deuxième chose, il faut que l’Éducation nationale procède à trois grands changements : mettre plus de moyens sur l'école maternelle et primaire, car ce sont les périodes les plus déterminantes dans la scolarité. Deuxième chose, nous devons donner plus d'autonomie aux enseignants. Nous formons et payons des enseignants : donnons-leur les responsabilités et l’autonomie qui devraient leur incomber. Troisième chose, il faut qu'on individualise beaucoup plus nos enseignements, à la fois pour les 5% d’élèves qui sont très doués, et qui sont aujourd'hui délaissés par l’Éducation nationale, et pour les 15% qui sont en difficulté.

Où en sont les négociations entre vous et les LR en vue de la primaire ? Hervé Morin dit qu'un accord est encore possible. Partagez-vous cette appréciation ?

Il n'y a pas de négociations en cours car nous avons décidé de ne pas participer à la primaire des Républicains. Cela n'a pas été possible parce que les différents responsables des Républicains n'étaient pas d'accord entre eux sur la façon de construire une coalition. Il faut donc attendre que la droite se désigne un leader, et si celui-ci ou celle-ci souhaite construire une coalition, ce qui est notre souhait, nous le ferons. Mais je ne vois pas comment nous pourrions signer des accords avant les résultats de la primaire.

Le parti est tout de même dirigé par Nicolas Sarkozy...

S'il ne l'a pas signé, c'est qu'il ne l'a pas pu... Ne serait-ce que parce que d'autres candidats ont déclaré qu'ils n'étaient pas d'accord. Nous devons donc attendre que les Républicains aient un leader avant de signer quoi que ce soit.

Dans un sondage BVA pour La Dépêche publié vendredi 20 mai, François Bayrou enregistre une impressionnante progression dans les sondages. Bien que n'ayant pas encore déclaré sa candidature, le président du Modem ferait 13.5% au premier tour de la présidentielle face à Nicolas Sarkozy, et serait à égalité avec François Hollande dans l'hypothèse où la droite serait représentée par François Fillon ou Bruno Le Maire. N'y a-t-il pas une chance aujourd'hui pour le centre de percer ? Qu'est-ce qu'une progression durable de François Bayrou pourrait changer pour le centre ?

Je pense que François Fillon a raison de dire que tout sondage qui se situe à plus de 6 mois du scrutin n'a pas beaucoup de sens dans la mesure où les électeurs ne sont pas fixés sur les candidats et leurs programmes.

Manuel Valls réfléchit à un accord législatif pour permettre, quel que soit le président élu, de droite ou de gauche, de gouverner ensemble alors que le FN sera présent en nombre dans l'hémicycle. Y êtes-vous favorable ?

Tout d'abord, je regrette que François Hollande ait trahi sa promesse qui était l'instauration de la proportionnelle aux élections législatives. Car c'était un moyen pour que chacun défende ses idées, et permettre de construire des coalitions alternatives. François Hollande y a renoncé pour des raisons d’intérêt personnel liées à sa candidature, et cela rentre en contradiction avec l'idée de majorités alternatives. Le mode d'élection qu'il a souhaité maintenir est un mode d'élection binaire, et je le regrette.

Car je pense que pour gouverner et réformer le pays, il faut construire des coalitions différentes et plus larges qu’aujourd’hui. Si comme on nous l'annonce, le futur président de la République est élu face à l'extrême-droite au second tour, sa responsabilité sera de prendre en compte la pluralité des voix qui l'auront mis au pouvoir pour bâtir des équipes nouvelles.

Vous avez refusé de signer l'appel des 40 au CAC 40. Pourquoi n'a-t-on pas besoin de moraliser la vie économique ? N'est-ce pas ça que les Français attendent aujourd'hui ?

Je ne l'ai pas signé car je ne pense pas que l'on doive limiter par la loi les rémunérations de qui que ce soit. Une entreprise appartient à ses propriétaires qui sont les actionnaires. Ces derniers, par le biais de l'entreprise, créent de la richesse, et c'est donc aux actionnaires de décider comment la répartir. En revanche ce qui est choquant dans le cas de Renault, c'est que le vote des actionnaires n’a pas été respecté par le Conseil d'administration, qui n’en n’a pas la légitimité. Ce qu'il convient donc de faire, c'est de rendre l'avis de l'Assemblée générale contraignant et non plus consultatif. La loi doit donc intervenir pour cela.

Par ailleurs, l'appel des 40 souhaite un écart de 1 à 100 entre le salaire le plus bas et le plus haut. Pourquoi ce chiffre et pas 120 ou 80 ? 100 fois le Smic par mois amène des rémunérations certes importantes, mais comparées aux patrons en Europe et dans le monde, elles seraient insuffisantes et nous feraient perdre les meilleurs chefs d’entreprises mondiaux.

Je préfère un patron compétent qui redresse ou développe une entreprise, qu'un patron qui aura un salaire plus raisonnable et qui ne créera pas d'emploi.

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