Jean Castex : un bon discours d’intention, mais combien de divisions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex discours de politique générale assemblée nationale
Jean Castex discours de politique générale assemblée nationale
©MARTIN BUREAU / AFP

Nouveau visage du macronisme

Jean Castex a prononcé son discours de politique générale à l'Assemblée nationale ce mercredi. Le Premier ministre a donné une nouvelle couleur au macronisme avec plus de social et plus de local notamment. Le nouveau Premier ministre aura-t-il les moyens politiques de ses ambitions ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico.fr : Dans son discours de politique générale, Jean Castex a donné une nouvelle couleur au macronisme : plus de social, moins d’équilibre budgétaire, plus de local, moins de techno, plus d’autorité, moins « d’emmerdement des braves gens »... Un discours très républicain traditionnel en quelque sorte. Si on peut imaginer -qu’impressionné per les audiences réalisées par les films de Louis de Funès pendant le confinement comme l’a fait savoir l’Elysée- le président a choisi Jean Castex pour s’acheter des racines, le nouveau Premier ministre aura-t-il les moyens politiques de ses ambitions ?

Edouard Husson : Le président devrait se souvenir d’une réplique culte, au début de la « Folie des Grandeurs », où l’on fait dire à Don Salluste: « Les riches, c’est fait pour être très riche et les pauvres très pauvre ! ». La scène, réelle, du Jardin des Tuileries, le 14 juillet dernier, où le président a été abordé par des opposants a un curieux relent du début du film dont nous parlons, lorsque les villageois se mettent à courir après le carrosse de Don Salluste. Louis de Funès plaisait aux Français, aussi, par sa capacité à faire ressortir l’autoritarisme inefficace du petit chef français qui est aussi un « bourgeois gentilhomme ». Comme nous avons eu, durant tout le confinement, un retour des médecins de Molière, avenue de Ségur et sur les plateaux télévisés, on ne peut en effet que conseiller au président de se replonger dans le répertoire comique français, mais pour y voir une série d’avertissements. De ce point de vue, il n’est pas sûr que le choix de Jean Castex aille au-delà des apparences. Qui a rappelé que Jean Castex avait été, tout simplement, le maître de stage d’Alexis Kohler, actuel secrétaire général de l’Elysée,quand il était à l’ENA? On reste dans l’entre-soi d’une haute fonction publique qui continue à faire penser, irrésistiblement, à la mentalité des hommes qui entouraient Gorbatchev et voulaient sauver l’URSS: on a les mots dont on pense qu’ils ne correspondent aux préoccupations de la population. Mais la glasnost n’a pas pu faire office de démocratie ni la perestroïka de réforme en profondeur. Le discours de Jean Castex ramène des policiers de proximité, des juges de proximité, des fonctionnaires de proximité, selon un mouvement de balancier qui affecte tous les gouvernements depuis au moins vingt ans. Il prétend résoudre le défi du chômage des jeunes en recréant les « emplois aidés » qui existaient sous Hollande et qu’Edouard Philippe avait supprimés. Il entend lutter contre l’islamisme. Mais qui ne l’a dit avant lui? Jean Castex, est-ce autre chose qu’Edouard Philippe, l’accent méridional en plus?

Charles Reviens : La question posée suppose une analyse à la fois « radio Nostalgie » et quelque peu « hors sol » du discours de politique générale prononcé hier par le nouveau Premier ministre à l’Assemblée nationale. Dans ce cadre, il faut prendre en compte de la tendance française en matière d’activité politique, à savoir l’importance devenue prépondérante de sa dimension de communication, tendance dont il n’est pas d’ailleurs certain qu’on puisse s’en féliciter.

Le discours renvoie donc d’abord au style du Premier ministre (apparence, diction, profil de communication, parcours administratif et politique) qui est clairement différent de son prédécesseur qui, quoique normand et maire d’une très grande ville normande, renvoyait une image nettement plus parisienne que le nouveau titulaire de la fonction.

Par ailleurs il est probable que le nouveau Premier ministre veut dès sa déclaration de politique générale se décaler par rapport à son prédécesseur. Le satisfecit donné à Edouard Philippe dans le discours n’empêche pas de rappeler certaines de ses orientations ou postures qui n’ont pas été sans dégâts sur la majorité et la sérénité de l’action gouvernementale : la limitation de la vitesse à 80 kilomètres heure décidée dès la prise et fonction et qui a constitué une mèche lente du mouvement des gilets jaunes, la fermeté sur l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qu’il a fallu saborder début décembre 2018 au cœur du mouvement, enfin les tensions sur l’âge pivot d’une réforme des retraites dont il est apparu qu’elle était insuffisamment préparée et qui a été arrêté au cœur de la crise covid-19.

Mais ce discours de politique générale s’inscrit surtout dans le contexte inédit de la crise sanitaire et économique, sachant que la France, comme la quasi-totalité de ses voisins (hors Allemagne), n’a véritablement brillé ni dans sa performance sanitaire ni dans la sauvegarde de son potentiel économique. C’est dans ce cadre - 36 occurrences du mot crise dans le discours - que va s’inscrire l’action du nouveau gouvernement d’ailleurs pour une période relativement courte de 18 mois qui va nécessairement rapidement basculer dans une configuration préélectorale… si ce n’est déjà fait.

Le temps long est peu présent et, à côté de l’exercice de communication, l’enjeu de la lutte contre une hausse brutale du chômage constitue la principale priorité de court terme de l’action du gouvernement

Au-delà de la marge de manoeuvre politique que lui donneront ou non le Président et les Français, Jean Castex a -comme le président de la Republique lors de son interview du 14 juillet- esquivé les questions qui fâchent telles que les contraintes européennes et plus largement géopolitiques qui s’imposent à la France. Un Premier ministre français, quelle que soit sa couleur politique, a-t-il les moyens de faire une vraie différence au regard de ce que la mondialisation ou le droit européen imposent sur nombre de sujets ?

Edouard Husson : Nous aurions une marge de manoeuvre au sein de l’UE et dans la mondialisation à condition de le vouloir. Mais Emmanuel Macron continue à miser sur les mauvais chevaux, sur les chevaux de retour. S’obstiner, comme le fait la France, à penser que la solution pour la France passe par l’Allemagne au sein de l’UE va nous coûter de plus en plus cher. Regardez comme la candidate espagnole soutenue par la France et l’Allemagne pour prendre la tête de l’eurogroupe a été défaite au profit d’un candidat irlandais ! L’Irlande semble être devenue le symbole de ces petits pays qui ne veulent pas se voir dicter leur loi par la France et l’Allemagne: en donnant raison à l’Irlande contre la Commission dans la question des réductions d’impôt d’Apple, la Cour de justice met fin à tout espoir franco-allemand d’une forme d’harmonisation fiscale (vers le haut). Tout ce que Monsieur Castex a promis hier, c’est de l’argent public rendu possible par un quantitative easing européen. Mais il se peut que Madame Merkel, en fonction du rapport de forces, fasse la part belle aux « frugaux », aux « cigales » lors du sommet européen de vendredi 17 et samedi 18. La France aura de l’argent à disposition mais contre un contrôle renforcé de l’UE....C’est une dimension complètement occultée de la politique proposée par le nouveau Premier ministre.

Charles Reviens : La France, intégrée à la fois dans l’Union européenne et la zone euro, a délégué sa souveraineté monétaire ainsi qu’une partie importante de sa souveraineté juridique et juridictionnelle. La décision de la cour européenne annulant la lourde amende d’Apple sur la localisation de ses profits en Irlande rappelle le jour même le contexte de la concurrence fiscale mis en place dans l’Union européenne depuis l’Acte unique de 1986. La construction européenne actuelle repose sur un équilibre germano-britannique plus ou moins stable établi au tournant des années 1990 : dévolution de la politique monétaire et surveillance budgétaire dans un cadre ordo-libéral, mais en même temps concurrence fiscale et sociale.

Le thème de l’Europe est faiblement présent dans le discours du nouveau Premier ministre (7 occurrences) alors que la France vient au moins sur le papier d’obtenir un succès avec le changement de posture allemande sur la mutualisation européenne de certaines dettes publiques.

Par ailleurs l’importance des délégations de la France à l’Europe ne signifie pas que d’immenses champs de politiques publiques demeurent dans le champ national : la justice (évoqué en lien avec la proximité et l’efficience) et tout le champ régalien, la santé que connaît normalement bien le nouveau Premier ministre, ou l’éducation faiblement évoqué dans ses propos.

Le Premier ministre a énormément insisté sur les territoires et semble en faire un atout majeur de son identité politique. Que la capacité au dialogue social et à la concertation soient des gages d’efficacité au quotidien est une chose mais cette mise en avant du bon sens local ne peut-il pas être aussi perçu comme le faux-nez d’une sorte de renoncement à la puissance face aux défis planétaires qui sont aussi ceux auxquels sont confrontés les Français ?

Edouard Husson : Que vaut une politique des territoires octroyée par Paris? Jean Castex est un des concepteurs du système des ARS. A-t-on entendu parler hier de leur suppression? A quoi va servir l’argent public déversé sur l’hôpital public alors que le fiasco de la gestion de la pandémie a été la mauvaise allocation des ressources, la mauvaise coordination entre les services de l’Etat? On a gaspillé l’argent des Français en mettant en place des TGV pour transporter les malades alors qu’il y avait à quelques kilomètres des hôpitaux publics engorgés des hôpitaux privés et qu’on pouvait aussi solliciter beaucoup plus l’armée pour installer des hôpitaux de campagne. Les « territoires », c’est la « perestroïka » de Monsieur Castex. Et comme dans le cas de l’ancienne URSS, le déploiement laborieux d’une refonte politique octroyée s’accompagne d’un déclin géopolitique, en effet. Le pays est tellement endetté qu’il est devenu incapable de de faire respecter sur la scène européenne ou internationale. La dimension « internationale » du discours, c’est l’annonce d’une politique verte. Mais là encore la France fait les mauvais choix. La révolution énergétique qui a permis la troisième révolution industrielle, c’est le nucléaire, avant d’être les énergies renouvelables. or la France continue à renoncer à un de ses gros atouts ! Evidemment, le nuclaiare, à première vue, ça ne fait pas très « territoires ».

Charles Reviens : Le discours a une orientation très hexagonale, ce qui est logique car la crise a rappelé de façon criante l’importance des solidarités nationales, locales et familiales et que le pays est toujours plongé dedans. Concernant les territoires et leur organisation, le discours évoque « une nouvelle étape de la décentralisation », comme d’ailleurs celui d’Edouard Philippe alors que rien n’a à date été fait dans ce domaine et qu’il ne reste que 18 mois d’action publique.

En matière de communication politique, cela ne peut pas faire de mal de rappeler l’importance du dialogue social et de la concertation dont on parle avec abondance en France alors même que l’organisation institutionnelle du pays, du fait de sa culture mais aussi de multiples modifications constitutionnelles, aboutit à une concentration (verticalité ?) des pouvoirs qui n’a aucun équivalent dans les autres pays démocratiques.

Jean-François Revel indiquait de façon grinçante et prémonitoire que cette concentration était tout sauf une garantie de gouvernement efficace dans son essai « l’absolutisme inefficace » de 1992.

Enfin ce n’était apparemment ni le lieu ni l’heure d’évoquer les enjeux de puissance et les défis planétaires dans ce discours au regard des enjeux de court terme liés à une situation sanitaire incertaine et une situation économique qui peut rapidement devenir dramatique. On peut toutefois noter que le sujet de la souveraineté n’est évoqué que de façon rapide et en lien avec l’Europe, alors même que la crise covid-19 a fait apparaître des lacunes importantes en la matière.

Après ce discours de politique générale à hauteur d’homme, à la fois plus rond, plus ferme et moins techno, que reste-t-il aux LR, à part le libéralisme et le conservatisme auxquels ils ont de toute façon renoncé malgré les efforts d’un Bruno Retailleau ?

Edouard Husson : Je dirais plutôt que le techno rond succède au techno raide. Il y a une composante républicaine plus affirmée. Mais ce n’est pas un compliment: la République tend naturellement au « radical-socialisme », autre nom du centrisme. Elle le fait, depuis le XIXè siècle, en organisant l’exclusion d’une partie du débat franco-français de la discussion entre membres de l’élite dirigeante. Dans les années 1870, Adolphe Thiers a exclu la question monarchique des débats entre gens raisonnables puis les radicaux ont voulu bannir le catholicisme. Depuis les années 1980, c’est le Front National qui joue le rôle de bouc émissaire des élites républicaines; la question de la souveraineté, celle de l’immigration, celle des frontières sont taboues. LR est complice de ce comportement. Nicolas Sarkozy avait un peu fait bouger les lignes pour être élu en 2007 mais son parti a aussi tôt fait en sorte que les slogans de campagne restent des slogans. Une des caractéristiques de ce comportement « républicain », c’est effectivement le cercle de la raison: en 1914, l’armée purgée de ses officiers catholiques, a failli succomber à une stratégie définie a priori, avec peu de capacité d’adaptation à ce qui allait se passer sur le terrain. Un siècle plus tard, le radical-socialisme d’un Castex est une sorte de « technocratie à visage humain ». La République  s’est éloignée  de plus en plus de l’alternative gaullienne et postgaullienne (la possibilité d’alternance entre une vraie gauche et une vraie droite). Non seulement Jean Castex a beaucoup de chances d’échouer mais ses opposants LR ont peu de chances de récupérer la mise.

Charles Reviens : LR ou son prédécesseur l’UMP ont exercé le pouvoir de 2002 à 2012 et les difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui ne sont pas sans lien avec les déceptions de leur exercice du pouvoir à l’instar du PS : immobilisme du second mandat de Jacques Chirac, écart non négligeable entre les thématiques du candidat Nicolas Sarkozy et l’exercice du pouvoir par le Président tant dans le domaine régalien que dans celui des réformes.

Sur la thématique économique, il n’y a en outre plus beaucoup d’écart entre la réalité de la gestion UMP/LR et celle de LREM mais un écart important demeure dans le champ de l’activisme sociétal et des libertés publiques, mais sans que LR soit en mesure de se différencier en la matière en affirmant une ligne claire et unie. Cela se traduit d’ailleurs pour le moment par un transfert important des électeurs ex LR vers LREM dans les scrutins et les sondages nationaux depuis 2017.

Se pose par ailleurs pour LR la question de l’incarnation. Après Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, le seul moment d’unité a été le fugace moment François Fillon fin 2016 au service d’un programme libéral et conservateur assumé mais qui rapidement a subi les affres de déboires médiatico-judicaires majeurs et de divisions internes. Cette question de l’incarnation est pour LR tout sauf réglée après les déboires successifs des élections présidentielles, législatives et européennes.

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