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Emmanuel Macron s'est exprimé mercredi soir sur la situation politique après les élections législatives.
Emmanuel Macron s'est exprimé mercredi soir sur la situation politique après les élections législatives.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Majorité relative

Emmanuel Macron a montré lors de son allocution de mercredi qu'il n’avait manifestement pas compris la nouvelle situation politique née de la perte de sa majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Dans une allocution d’une dizaine de minutes, anormalement mal construite, avec beaucoup de répétitions, et dans un style moins alléchant qu’à l’ordinaire, Emmanuel Macron nous a clairement montré qu’après le revers du 19 juin dernier, il n’avait manifestement pas compris (ou feint de ne pas comprendre) la nouvelle situation politique née de la perte de sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Adoptant le ton supérieur, professoral, dont il est coutumier, le président semble ici clairement avoir fait siennes les paroles du chanteur Guy Mardel : « N’avoue jamais, n’avoue jamais [ta défaite] ». Jouant subtilement sur l’alternance des « je/me/mon » (employés 29 fois), des « nous/notre/nos » (employés 26 fois) et des « vous/votre/vos » (employés 15 fois), alternance, soit dit en passant, que nous avions remarquée dans les précédents discours présidentiels (cf. notre livre Qu’ellle était belle ma révolution !, Ed. Amazon, 2021), le président a cherché, lundi soir, à noyer le poisson, à « nous » mêler à cette déconfiture qui est avant tout et surtout la sienne, non ? Lui, en tout cas, entend bien rester au-dessus de la mêlée (politicienne), rester maître du jeu (dont il fixe à nouveau autoritairement les règles) et des horloges (en décidant souverainement du délai de ré- flexion accordé aux forces politiques pour qu’elles lui fassent part de leurs souhaits, afin que soit évité ainsi un « blocage » institutionnel - dont M. Macron semble décliner d’ores et déjà la responsabilité).

Comme M. Poutine refaisant chaque jour l’histoire de la Russie (et de l’Ukraine), Emmanuel Macron refait l’histoire politique récente de notre pays - pour rester naturellement « à son avantage ». Tout ce qui arrive n’est en somme la faute que des « fractures » et des « divisions » entre Français - qu’il vilipande à coup sûr : décidément cet homme est in-corri-gi-ble ! Lui, si prompt à parler d’humilité, ne sait se montrer qu’arrogant, condescendant : c’est plus fort que lui !

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Mais reprenons l’allocution présidentielle. M. Macron commence par rappeler son élection du 24 avril « sur le fondement d’un projet clair » qui lui conférerait une « légtimité claire ». Ah !, d’abord y a-t-il eu projet ? Non assurément, ni projet d’ensemble, ni clarté. Tout juste relévera-t-on une ou deux idées-phare comme la retraite à 65 ans ou l’obligation de travail pour les titulaires du RSA. Quant à la « légitimité claire », avec un taux-record d’abstention de 28 %, des électeurs vo- tant massivement au 2ème tour, comme en 2017, non pour Emmanuel Macron, mais contre Marine Le Pen, l’on peut estimer que cette légitimité est incertaine, repose sur une confiance faible. Bref, si M. Macron a, depuis le 24 avril, la légalité pour lui, il n’a pas réellement la légitimité.

Poursuivant son allocution, le président rappelle une banalité, à savoir que les 12 et 19 juin, les Français ont élu leurs députés. Merci président ! Aucune allusion en revanche au revers subi par sa majorité qui n’obtient pas la majorité absolue, une première, hors-cohabitation, dans l’histoire de la Vème République. Abordant la question de l’abstention, Emmanuel Macron entreprend alors de « nous » mêler à ses affaires pour que nous partagions, tous ensemble, les responsabiltés de cette panne démocratique. Adoptant une posture bien connue d’ « observateur-sociologue », le président- élu nous invite à redonner du sens à « nos » actions collectives, regrettant le manque de visibilité de « nos » grands rendez-vous démocratiques. Mais aucune piste avancée pour revivivifier notre vie démocratique, en effet bien essoufflée. M. Macron fait ensuite une liaison étonnante entre les « frac- tures » et « divisions » sociales du pays et la composition multi-partisane de la nouvelle assemblée. Des fractures, note-t-il, qui « expriment des inquiétudes, le sentiment d’avoir des vies bloquées, pas de perspectives dans nombre de nos quartiers populaires, comme dans nos villages ». Juste constat que le président, faut-il le rappeler, faisait déjà en 2019 au moment de la révolte des Gilets jaunes, sans lui apporter de réponses significatives.

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C’est à nouveau le « déni de responsabilité » qui empêche M. Macron de voir que l’arrivée d’une forte opposition au Palais-Bourbon est avant tout le résultat de son impuissance à réduire les fractures et divisions évoquées, le « déni » qui l’empêche de voir le sens véritable du vote du 19 juin. Certes, à cet instant de son discours, ne plaçant pas l’argumentaire dans le bon ordre, M. Macron claironne que la majorité « Ensemble » reste « la première force politique de l’Assemblée nationale », reconnaissant ensuite que cette majorité est en effet relative (il eut mieux valu, pour la force du propos et selon l’usage de tout bon rhétoricien, commencer par ce constat de relativité, pour terminer par celui, jugé plus essentiel, de la première place conservée au Palais Bourbon, avec 245 élus contre 131 pour la NUPES et 89 pour le Rassemblement national).

La comparaison faite par le président entre la situation politique parlementaire française et les situations politiques italienne et allemande n’a pas grand sens car dans ces deux derniers pays les décisions publiques sont réellement co-construites entre toutes les parties après un processus sou- vent long il est vrai. Ayant tout de même pris acte de la relativité de sa majorité, M. Macron estime donc aujourd’hui que cette majorité doit « s’élargir » (comprenez : les groupes d’opposition doivent s’agréger à la majorité-pivot). Ce qui est proprement inacceptable pour les oppositions.

Puis le président présente son alternative aux oppositions : soit la signature d’une « contrat de coalition », soit la réalisation de majorités, texte par texte. A cet instant, M. Macron redégaîne subtilement le « nous » (mêlé au « vous »). « Pour agir dans « votre » intérêt, explique-t-il, « nous » devons apprendre à gouverner et à légiférer différemment ».

« Légiférer différemment », cela va de soi. Une majorité relative implique d’autres pratiques parlementaires, ouvrant de multiples droits aux oppositions, comme le vote d’une motion de censure, la vice-présidence de l’assemblée, la saisine du Conseil constitutionnel, etc.

« Gouverner différemment », mais c’est le voeu d’une majorité de Français qui souhaitent que le président ne gouverne plus seul. Soyons clair, le fait que M. Macron n’ait pas dit : « Je vais gouverner différemment » montre bien qu’il n’y a pas de nouveau Macron, de Macron II, qu’il n’y a pas une volonté manifeste de sa part de modifier la pratique présidentielle. Jupiter reste Jupiter.

Comme me confiait un ami journaliste sous forme questionnante : peut-on changer quand on a quarante ans ? La réponse est évidemment dans la question.

Quand notre président, « en même temps », annonce son départ pour deux jours - obligations internationales obligent ! et fixe un ultimatum de 48 heures aux groupes politiques parlementaires pour lui dire jusqu’où ils sont prêts à aller dans la méthode à venir pour les prises de décision, il dit en substance (une habitude chez lui) : « Moi je travaille, je n’ai pas de temps à perdre en discussions stériles, prenez vos responsabilités et agissez comme moi ». M. Macron se pose dans la statue du Commandeur. Ce qui, notons-le, lui a déjà valu deux réactions cinglantes et convergentes de Phillippe Ballard pour le RN et de Gilles Platret pour les LR. Pas question, ont-ils déclaré, de se sou- mettre au commandement du maître d’école exigeant de ses élèves qu’ils lui remettent, dans le délai fixé, les devoirs faits. Mais le président, comme un père protecteur [mot qu’il affectionne particulièrement] le ferait avec ses enfants, en appelle à la responsabilité (mot utilisé 6 fois), à la clarté et à la confiance (4 fois), à la transparence (2fois), à ne pas perdre de temps car il y a des mesures d’urgence à prendre. Autrement dit, il demande à ses interlocuteurs de ne pas mentir, de faire preuve de cohérence (2 fois), de coopérer - lui bien sûr possédant « naturellement » toutes ces qualités et ver- tus ! Comme au temps des Gilets jaunes, notre président se dit ouvert au dialogue, avec tout le monde : les forces politiques, les partenaires sociaux, les élus, les associations, les forces vives. Ce- la rappelle « le grand débat national » avec un président parlant longuement et des interlocuteurs écoutant patiemment. Mais l’on sait où a mené un tel débat : à trois fois rien ! Puisque le président a déjà choisi ce qui est bon pour « nous ». Il rappelle dans son allocution les grands thèmes de son projet (celui censé avoir été validé par les Français) : l’indépendance nationale, une Europe et une défense plus fortes, la recherche de l’excellence, le développement de l’agriculture et de l’industrie, le progrès social, la refondation de l’école et du système de santé, le progrès écologique et, pensant sans doute à son opposition de droite, l’amélioration de la sécurité et de la justice. Pour le reste, et à condition de n’augmenter ni les impôts ni la dette, tout est possible : « amendements », « enrichissements » (sur la base du projet existant), « compromis dans le dialogue, l’écoute, le respect » (on peut penser que M. Macron pense ici à de simples accommodements au projet présidentiel).

Tout ceci ne paraît guère politiquement « responsable », ne semble pas prendre en compte les formidables capacités de résistance et de détermination des oppositions nouvellement élues, et sur- tout de la volonté des Français de sortir de la présidence solitaire.

Alors, oui « Je vous ai compris », monsieur le président : vous n’avez pas changé. Vous préférez toujours la verticalité à l’horizontalité, la décision personnelle à la décision collective.

Non, vous n’avez pas changé : c’est pour cette raison que vous suscitez tant de haine autour de vous. « Révolution », écriviez-vous en 2016, méfiez-vous tout de même, les Français grognent, s’agitent, méfiez-vous tout de même des journées à venir.

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