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Interdiction du soda XXL à New York : quand l'Etat va trop loin pour garantir la santé publique
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Trans-Amérique Express

Michael Bloomberg, le maire de New York a annoncé vouloir interdire les sodas « extra-large ». Au pays du « bigger is better » (« plus grand, c’est meilleur ») l’idée est révolutionnaire, mais peu populaire auprès des Américains.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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La Big Apple est en pleine agitation. Michael Bloomberg, maire de New York depuis 2002, vient de déclencher une mini tempête. Le 31 mai, assis devant un étalage de boissons gazeuses, avec l’équivalent en sucre contenu dans chaque (huit morceaux pour une cannette de coca cola, par exemple) il a proposé de limiter la vente de ces boissons à des verres de 16 onces (48cl), dans les restaurants et débits de boisson de la ville ainsi que dans les stades (tant il est vrai aux États-Unis que quand les dieux du stade se dépensent, les spectateurs, en tribune, se remplissent la panse).

Sachant que la Grosse Pomme a inventé le « Big Gulp », verre gigantesque de 64 onces (1,92 l) on mesure l’ambition d’une telle proposition…

Son objectif, a dit Monsieur le Maire, sera de lutter contre « l’obésité, le diabète, et les déséquilibres métaboliques liés à une consommation excessive de sucre ».

Suivie par une série d’interviews télévisées, cette proposition a fait l’unanimité… contre elle : 83% des Américains jugeant qu’elle n’aurait « aucun effet ». Jon Stewart, journaliste satirique vedette, un verre en plastique géant à la main, a ironisé sur « un gouvernement qui en fait trop avec des mesures dont on sait à l’avance qu’elle n’auront aucun effet ». Les éditorialistes ont dénoncé un « paternalisme déplacé » et évoqué un écart de plus de cet « Etat nounou » qui décide pour les citoyens de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas… Loin d’une Amérique bâtie sur l’idée de la liberté de choisir, le fameux « free choice ».

De fait la proposition peut faire rire. Rien n’empêchera le consommateur de boire deux « petits » verres, à la place d’un « grand », s’il le souhaite. Mais elle touche à deux problèmes sérieux : le premier concerne la santé, en particulier l’obésité, qui atteint aux États-Unis des proportions catastrophiques ; le second concerne le rôle du gouvernement, à savoir : doit-il réglementer le tour des tailles des citoyens ? A y regarder de plus près la proposition Bloomberg est symptomatique du « totalitarisme mou » dans lequel nous, Américains et Européens, vivons désormais.

En un demi-siècle, l’obésité est devenue un problème de santé « énorme » aux États-Unis. Les chiffres sont éloquents : 60% des Américains sont en « surcharge pondérale », euphémisme signifiant qu’ils sont « gros ». 35%, soit plus de un sur trois, sont « obèses », les femmes devançant les hommes de quelques points. Dans ce groupe, le surpoids n’est plus seulement un problème d’alimentation mais de déséquilibre métabolique. Les enfants sont de plus en plus touchés. A onze ans, un sur cinq est déjà obèse. Trois fois plus qu’il y a vingt ans. Chaque année l’obésité coute près de cent-cinquante milliards de dollars en frais médicaux et coûts indirects à l’économie américaine.

Face à ce mal moderne de la société de consommation Bloomberg est parti en croisade en pointant du doigt les boissons gazeuses et leurs fabricants. En 2010, il avait proposé de les taxer pour financer les dépenses de santé liées à l’obésité. L’an passé il a suggéré de retirer les sodas de la liste des produits payables en coupons alimentaires, les fameux « food stamps ». Parce que ces boissons n’ont pas d’apports nutritifs. Dans les deux cas ses propositions n’avaient pas abouti.

Soucieux de santé publique, Bloomberg est aussi l’homme qui a désenfumé New York en interdisant la cigarette dans les restaurants, les espaces et les parcs publics. Il a aussi interdit dit l’usage de certaines huiles grasses dans les cuisines des restaurants.

A noter que ces mesures, n’ont pas été soumises au vote des citoyens ni d’aucune assemblée… Pas plus que ne le sera sa dernière proposition. Bloomberg procède par modification du code santé de la ville. Il lui suffit pour cela d’obtenir l’avis favorable de la commission santé, dont il a lui-même nommé les membres…

Un comble pour la démocratie. Bloomberg qui a dépensé plus de cent millions de dollars de sa propre fortune pour obtenir un troisième mandat de maire, en contournant la limite constitutionnelle de deux mandats, se retrouve à gouverner par décret. Parce que c’est le seul moyen d’obtenir des résultats…

Quels résultats justement ? La mesure qu’il propose est aussi spectaculaire que vaine. L’obésité chez les Américains ne provient pas uniquement d’une consommation excessive de boissons gazeuses, mais d’une mauvaise hygiène de vie, et d’une consommation excessive de « mal bouffe ». Ce que les Américains appellent « junk food ». Avec derrière elle, la puissance de l’industrie agro-alimentaire pour promouvoir cette mal bouffe. Par la publicité, notamment auprès des enfants à la télévision. Il n’y a pas non plus que les sodas qui sont « extra large » à New York. Les tranches de pizza et les hot-dogs le sont tout autant. D’ailleurs le lendemain même de cette annonce, New York célébrait le « national donut day » ! Les « donuts » étant ces beignets gras et sucrés servis au petit déjeuner…  

La proposition de M. Bloomberg est néanmoins un « signe des temps ». Elle est symptomatique de notre époque, parce qu’elle illustre le bouleversement qui s’est opéré dans les mentalités vis-à-vis du rôle de l’Etat. L’Etat n’est plus là seulement pour assurer notre sécurité, intérieure et extérieure, et exercer la justice. Désormais l’Etat à la charge de notre bonheur !

Jusqu’à présent « la poursuite du bonheur », ce droit inhérent à la condition humaine, était l’affaire de chacun de nous, chacun à notre façon. Aujourd’hui, il appartient au gouvernement d’assurer le bonheur de ses citoyens. Un même bonheur pour tous. Aseptisé, sans tabac, sans alcool, sans colorant, sans risque, sans saveur et sans… dieu. Un bonheur vide. Au besoin en allant à l’encontre de leurs désirs. « Les gens ont besoin de temps pour comprendre » a dit Michael Bloomberg pour souligner le bien fondé de sa proposition. En clair, il sait mieux que nous ce qui est bon pour nous ! En démocratie, une telle attitude pose problème. Car vouloir faire le bonheur des gens, contre eux, cela s’appelle du totalitarisme.

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