Le foie gras interdit en Californie : l'arbre qui cache la forêt des produits agricoles français menacés<!-- --> | Atlantico.fr
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Le foie gras français est-il menacé ?
Le foie gras français est-il menacé ?
©DR

Intox alimentaire

Le foie gras français a trouvé un VRP de luxe en la personne de François Hollande. Lors d'un déplacement dans le Gers, le président de la République a tenu à défendre cet aliment interdit à la production et à la consommation en Californie au nom du bien être animal.

Périco Légasse

Périco Légasse

Périco Légasse est journaliste et critique gastronomique. Il est aujourd'hui rédacteur en chef de la rubrique "art de vivre" à l'hebdomadaire Marianne.

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Atlantico : François Hollande a défendu samedi 28 juillet lors d'un déplacement dans le Gers le foie gras français, victime de la guerre engagée dans le monde anglo-saxon par les lobbys anti-gavage au nom du bien-être animal.  "Ils ne peuvent pas défendre le libre échange et empêcher la venue d'un bon produit comme le foie gras  ", a déclaré le président de la République en référence aux mesures protectionnistes adoptées en Californie. Le foie gras français est-il menacé ?

Périco Légasse : Le foie gras français n'est absolument pas menacé en tant que tel mais la France n'est plus le seul pays à en produire. Aux Etats-Unis, les sanctions contre le foie gras n'ont rien avoir avec le protectionnisme. Il s'agit de sanctions culturelles et morales au nom du bien être animal. Mais la production française se porte très bien et il y aura toujours du foie gras. Et si elle doit faire face à une concurrence extérieure, tant mieux, cela préservera la qualité de nos produits. C'est un faux débat, une fausse alerte !
François Hollande défend un secteur qui n'est pas en danger pour éviter de prendre des positions polémiques sur des secteurs autrement menacés. Il y a un vrai enjeu pour préserver le patrimoine industriel et artisanal de la France : les méfaits de la grande distribution, la mondialisation et la concurrence déloyale des pays asiatiques font un mal considérable à notre pays. Pour notre agriculture, c'est encore pire. Il y a bien un danger qui menace notre patrimoine alimentaire et gastronomique, mais pas sur le foie gras.  
En revanche, il y a des produits alimentaires français qui mériteraient des mesures protectionnistes. 72% des produits "bio" que nous consommons en France sont importés de l'étranger. Non seulement, nous devrions être en mesure de fournir 100% de la demande française, mais nous devrions aussi être en mesure d'exporter des produits "bio" vers les autres pays européens. Or, nous allons chercher des produits en Italie, en Espagne et au Maroc, où la certification "bio" est assez aléatoire, pour satisfaire la demande française !

Notre patrimoine agricole fait-il partie de notre identité nationale ?

La première activité économique française sur laquelle il faudrait appliquer le "made in France", c'est l'alimentaire. Sans être souverainiste, xénophobe, protectionniste ou anti-européen, il est normal d'affirmer que l'alimentation est le premier élément qu'un pays peut fournir à sa population. La France n'est pas la Finlande ou le Paraguay, pays qui dépendent de leurs importations car leur géographie est contraignante, c'est une puissance agricole historique. Comment peut-on aller chercher à manger ailleurs que chez nous ? Vous imaginez sérieusement des Écossais importer du Whisky ou les habitants de Francfort importer leurs saucisses ?
Notre agriculture relève aussi de notre patrimoine culturel, c'est un art de vivre, des traditions, des paysages... Certaines merveilles n'existent qu'en France et si elles disparaissent, c'est l'humanité qui les perdra, pas simplement la France. Si 85 millions de touristes étrangers viennent chaque année en France, c'est parce que la France est un beau pays où il fait bon vivre. Et si la France est un beau pays où il fait bon vivre, c'est aussi parce qu'il y a des paysans qui se démènent pour préserver le territoire et générer des produits agricoles qui mettent la France en valeur. J'attends du président de la République qu'il mette en place une politique pour préserver ces acquis qui appartiennent au patrimoine mondiale de l'humanité. Mais François Hollande préfère nous parler du foie gras. C'est une pantalonnade sans nom !

Quels sont alors les produits français réellement menacés ?

Le vin, notamment les vins de consommation courante, les petites appellations. On arrache des vignes tous les jours en France. L'Union Européenne aurait pu faire jouer la préférence communautaire pour obliger les négociants à se fournir en Europe. Mais la grande distribution est saturée de vin de cépage qui viennent d'Australie, du Chili, d'Afrique du Sud, de Nouvelle Zélande. Ces vins sont bons, mais avant d'aller chercher des marchés dans ces pays là, on pourrait s'assurer de savoir si en Europe, des viticulteurs pourraient fournir pour le même prix des produits de qualité semblable. Des paysages entier sont en train de disparaître en France et en Europe, parce que l'on préfère importer des vins industriels néo-zélandais et australiens vendus à bas prix en grande surface. 
Les fruits sont également menacés. Dans le sud-est, des producteurs sont au bord du suicide parce que la grande distribution n'honore pas ses commandes.Une grande enseigne s'engage sur 200 tonnes de pèches et laisser tomber sa commande parce qu'elle trouve un peu moins chère au Maroc. De même, on importe des fraises empoisonnées du sud de l'Espagne. Elles sont traités avec des pesticides redoutables et on les déverse par milliers de tonnes sur les étals de la grande distribution. Ce sont les pauvres que l'on empoisonne : la merde, c'est toujours pour eux ! Les classes aisées peuvent aller se fournir chez les bons producteurs et les artisans maraîchers, pas les autres non. Pourtant, il y a des producteurs de fraises en France, qui pour le même prix, à quelque centimes près, pourraient fournir des produits de qualités.
Là encore, au nom de l'urgence nationale, le gouvernement pourrait prendre des mesures de préservation. On préfère laisser les paysans crever. La droite et la gauche s'en foutent, elles laissent la Fnsea, l'industrie agroalimentaire et la grande distribution fixer la politique agricole française. Une entreprise agricole dépose le bilan toutes les deux heures en France. Les agriculteurs représentaient 45% de la population en 1950. Ils ne sont plus que 2,3 %. Comme si les Français ne mangeaient plus et que l'on n'avait plus besoin d'agriculture. On importe nos fruits, nos céréales, notre lait ! Les yaourts de grandes marques sont fabriqués avec du lait en poudre produit en Nouvelle-Zélande. Avec notre cheptel bovin, nous avons pourtant au moins de quoi fournir du lait à toute la population française et à l'agro alimentaire. Aujourd'hui, les camemberts dits "fabriqués en Normandie" le sont avec des laits à 10 centimes d'euros produits en Roumanie et en Bulgarie.

Monsieur Montebourg est chargé du redressement productif de l'industrie, mais j'attends de François Hollande et Jean-Marc Ayrault qu'ils s'occupent aussi du redressement de notre agriculture. Lorsque nos derniers paysans auront disparu, nous serons totalement tributaires des marchés étrangers. Nous pourrons avoir les meilleurs cuisiniers, s'ils n'ont plus rien à mettre dans l'assiette que des produits de synthèse industriels, la belle affaire ! Aller faire nos courses ailleurs que chez nous, cela fait mal au bide !

La mondialisation aura-t-elle la peau des spécificités locales de la gastronomie française ?

Il y a deux échelles. Des produits comme le foie gras, les grands crus, certains fromages d'appellation, qui ont une image et une réputation, se portent encore assez bien. Mais l'agriculture intermédiaire, qui devrait être florissante et générer des emplois, repeupler des campagnes et redonner vie aux territoires ruraux, est en train de mourir parce que l'industrie agro alimentaire, la grande distribution et le système du commerce mondialisé font que l'on va chercher des produits de bien moins bonne qualité dans d'autres pays où l'on pratique parfois une forme d'esclavage agricole. 
Mais nous disposons aussi d'immenses ressources qu'il s'agit de protéger au plus vite. Il ne faut pas avoir peur du monde, au contraire, mais jouer à armes égales. La cuisine français doit aussi une partie de son succès à la mondialisation. Le patrimoine alimentaire français s'est aussi construit par les rencontres avec d'autres civilisations, d'autres sociétés d'autres cultures. N'ayons pas peur de la diversité et de l'échange, c'est ce qui a permis de faire de nous un grand pays gastronomique. Nous avons intégré, assimilé, et fait nôtre des traditions venues d'ailleurs qui ont enrichi notre culture alimentaire. Ce trésor appartient à tous.

En revanche, la bouffe mondialisée au mains des banquiers de l'industrie et de la grande distribution, c'est la mort de la France. La phrase de la plus symbolique est celle de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, lorsqu'il a dit que son métier consistait à mettre le temps de cerveau disponible des téléspectateurs au service d'une marque. Effectivement, nous mangeons, aujourd'hui, des produits fabriqués par des marques mondialisées sans savoir ce qu'ils contiennent. Lorsque vous regardez derrière un pot de yaourt, vous vous apercevez que celui-ci est fabriqué dans le monde entier au détriment de nos agriculteurs. Cette mondialisation au service du marché néolibéral pour faire du profit financier finira par faire la peau du patrimoine alimentaire français. 
Il y aura toujours une petite frange de la population française, entre 2 et 5%, qui continuera à se nourrir correctement.Mais aujourd'hui 85% des habitants de notre pays se nourrissent sur le schéma suivant : l'agro-alimentaire produit la malbouffe en industrialisant les campagnes, après quoi la publicité en fait la propagande à la télé, avant que la grande distribution ne mette le tout à disposition du consommateur conditionné. Ce système est un fléau social et la source de bien des problèmes actuels. Dès 6h30 du matin, à l'heure des dessins animés, les enfants sont déjà bombardés de pubs pour les barres chocolatées !


Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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