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Impôt sur les successions : la baisse de l’abattement ne touchera que les très hauts revenus
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Sus aux riches

Les députés ont approuvé jeudi une baisse de l'abattement applicable aux successions et aux donations en ligne directe. Cet abattement passe de 159 000 à 100 000 euros par enfant. Une mesure qui ne devrait pas toucher la majorité des Français, dont le patrimoine n'est pas suffisant pour multiplier les donations.

Antoine Bozio

Antoine Bozio

Antoine Bozio est directeur scientifique de l'Institut des politiques publiques. Il a participé à la rédaction du rapport "Fiscalité et redistribution en France, 1997-2012".

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Atlantico :  Qui est concerné par la baisse du seuil d'abattement fiscal de 159 000 à 100 000 euros voté par l'Assemblée nationale dans le cadre du budget rectificatif 2012 ? De que type d'actifs est composé leur patrimoine ?

Antoine Bozio : Nous ne disposons pas de données sur la nature des donations. Seule l’administration fiscale pourrait répondre à cette question. Mais on sait que lorsque le revenu augmente, il s’agit tout d’abord d'un patrimoine de précaution,  c'est-à-dire d’épargne type livret A, un patrimoine liquide. L'immobilier vient ensuite. Quant au patrimoine de type financier, comme les actions, il existe surtout pour les hauts revenus.

On sait également que ce sont surtout les plus hauts revenus qui font des donations de patrimoine. Le seuil d’abattement des droits de succession à 159 000 euros par enfant impliquait donc que la grande majorité des Français qui faisaient des donations était de fait exonérée de droits de succession. Il faut savoir que cet abattement était renouvelable tous les 10 ans. Dans le projet de loi rectificative en cours de discussion, il s’agit non seulement de réduire le seuil de l’abattement des droits de succession à 100 000 euros par enfant, mais aussi d’allonger le délai de renouvellement de cet abattement.

Pour pouvoir déterminer qui sera touché par cette mesure, il faut donc comparer les types de patrimoines et les types de donations possibles, par rapport aux possibilités d’abattement. Un abattement tous les 10 ans de 159 000 euros par enfant permettait de transmettre sur une trentaine ou quarantaine d’années un patrimoine qui est dix fois le patrimoine médian des Français.

Cette mesure ne touche donc que 5% des patrimoines les plus aisés, qui peuvent bénéficier de ces abattements à répétition, auxquels il faut ajouter les possibilités de donation par les grands-parents aux petits-enfants et d’autres types de donations, qui s’ajoutent à ces abattements généraux. Les personnes touchées ont donc des forts patrimoines et sont à classer parmi les hauts revenus.

La plupart des Français n’est pas touchée par ces modifications d’abattement. Leurs donations sont en général exonérées d’impôts.

Les « classes moyennes » sont-elles touchées par cette mesure ?

La définition des classes moyennes diffère : les sociologues ont tendance à les définir d’un point de vue professionnel, en tant que professions intermédiaires… donc ni les cadres, ni les ouvriers ou employés peu qualifiés. Si on prend en compte cette définition, les classes moyennes sont celles dont le revenu est proche du revenu médian et qui ne sont pas du tout touchées par la mesure.

Une définition plus large inclut toutes les catégories sociales et professionnelles, en se focalisant sur les niveaux de revenus. Ce sont alors les personnes qui sont dans la moitié supérieure des revenus, mais pas dans les 10% les plus riches. Si on se réfère à cette définition, les dites « classes moyennes » ne sont pas non plus concernées par l’abattement. Même si l’on prend en compte les classes moyennes supérieures, soit les 5% qui se trouvent dans le bas des 10% les plus riches, on arrive à des niveaux de revenus de l’ordre de 4 000 à 6 000 euros par mois, et le patrimoine de l’essentiel de ces personnes est inférieur à celui qui permet de bénéficier de l’abattement.

Existe-t-il une classe de rentiers en France ?

Le terme de « classe » fait un peu trop penser à un groupe identifié coiffés de haut-de-forme. Un rentier est quelqu’un qui vit essentiellement du revenu du patrimoine sans avoir besoin de travailler. Ces derniers étaient nombreux au début du XXe siècle et ont disparu suite aux grands chocs macroéconomiques,  la crise économique et les deux guerres mondiales. Récemment néanmoins, le ratio niveau de patrimoine/niveau de revenu a fortement augmenté. Mais il est difficile de dire ce qui est réel et ce qui est dû à des phénomènes de bulle. Le patrimoine immobilier a en moyenne pratiquement doublé sur les dix dernières années. Les gens qui en possèdent ont donc vu les revenus de ce patrimoine augmenter bien plus vite que celui issu de leur travail.

Est-ce que ça veut dire qu'on a une classe de rentier ? Mon impression personnelle, c'est qu'on revient vers une situation où le poids du patrimoine augmente. Aujourd'hui, la capacité d'achat d'un appartement à Paris dépend en grande partie de l'héritage que vous pouvez recevoir de vos parents, beaucoup plus que de vos revenus issus du travail.

Cette tendance récente à l'augmentation du patrimoine et des inégalités est plutôt moins forte en France que dans d'autres pays, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Une des possibles explications est que les réformes fiscales de ces pays avaient fortement baissé les taux de fiscalité sur les très hauts revenus.

Les mesures prises par Nicolas Sarkozy ont-elles favorisé les très hauts revenus ?

Notre rapport revient sur l'évolution de la fiscalité entre 1997 et 2012. Sous Nicolas Sarkozy, contrairement à ce qui a été dit sur "le président des riches", les réformes fiscales n'ont pas modifié considérablement la redistribution globale  des impôts.

Par contre, ce qui est net, c'est que les réformes de la fin du quinquennat qui  visaient à augmenter les impôts des hauts revenus  - pour financer la baisse de l'ISF – n'a pas touché tout le monde de la même façon. Les personnes qui avaient un revenu issu du patrimoine étaient plus avantagées (par la baisse de l'ISF) que celles dont le revenu venait du travail (pénalisées par la hausse de l'impôt sur le revenu).

La réduction de cet abattement peut-elle avoir une conséquence sur les rentiers, qui pourraient être tentés par l'évasion fiscale?

Une des réactions des contribuables a été de faire des donations anticipées, puisque la mesure était dans le programme de François Hollande. Sur ces derniers mois, il y a eu un surplus de donations, ce qui veut dire qu'il y en aura un peu moins après le passage de cette loi.

Est-ce que ce genre de mesure implique une modification en terme d'exil fiscal, c'est difficile à dire, car la fiscalité sur les donations et les successions a un effet seulement sur le long terme : les gens ont en général 20 ou 30 ans d'anticipation avant de transmettre leur patrimoine. Ce n'est pas probablement le point où les personnes sont les plus réactives en termes de mobilité.

Quant aux très très hauts patrimoines, cette modification du barème d'abattement ne modifie pas forcément grand-chose : quand vous avez à transmettre 10 ou 100 millions d'euros, cet abattement est négligeable.

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