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L’immolation, ce mode de protestation que le printemps arabe a relancé
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Immolation

Il y un an jour pour jour, Mohamed Bouazizi s'immolait par le feu devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Sa tentative de suicide a entraîné une vague de protestations qui déclenchèrent la révolution de Jasmin en Tunisie. L'immolation reste cependant une forme de contestation sensationnelle qui invective nos sociétés modernes.

Michel Vovelle

Michel Vovelle

Michel Vovelle  est un historien moderniste français, spécialiste de la Révolution française. Ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud. Il a réalisé des travaux d'histoire sociale et religieuse sur la mort.

 

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Atlantico : Il y a un an jour pour jour, Mohamed Bouazizi s'immolait par le feu. Ce vendeur tunisien est devenu le symbole de la révolution tunisienne. Comment expliquer cet acte de désespoir? Pourquoi s’immoler par le feu ? Cette pratique a-t-elle une signification particulière ?

Michel Vovelle : Cette pratique est un mode de contestation. Elle est peu répandue, et renvoie au temps où les héros morts étaient brûlés. Il faudrait la comparer au suicide héroïque. Par exemple, sous la Révolution, lorsque les derniers montagnards de l’assemblée vont être référés devant le tribunal, ils se suicident et se passent le couteau l’un à l’autre. Ce suicide héroïque est une façon de s’exprimer, de témoigner que l’on reste maître de sa vie et de son corps.

C’est un témoignage exceptionnel du sacrifice de sa vie. La forme la plus banale est la grève de la faim. L'immolation, elle, sollicite davantage l'honneur, l'idée de la belle mort.

De nos jours, c’est une manière de montrer que notre société n'est pas à l'écoute. L'individualisation a renfermé les individus sur eux-mêmes, avec pour seule manière de communiquer son mal-être efficacement : le sensationnel.

Cela présume aussi une évolution de notre rapport au corps. Dans nos sociétés qui refusent le don d'organe, où le corps est roi, parfait et sublimé, la détérioration par le feu est perçue comme la plus grande transgression. C'est une attaque à l'intégrité du corps. C’est une mort infamante, on détruit la matérialité du corps.

D’où vient cette pratique de l’Immolation ?

Ce n’est pas une pratique occidentale. Il existe une typologie de la mort, du suicide qui correspond à des traditions, des héritages culturels qui diffèrent selon les pays. Une différence de comportement en fonction des époques, de l’appartenance culturelle et des sexes s’observe.

La mort par le feu est une tradition ancienne. L’immolation par le feu, dans l’imaginaire collectif c’est les bûcher de l’inquisition, c’est une mort infâme et infamante, c’est aussi Jeanne d’Arc. Cessant d’être une pratique punitive, elle a recouvré une normalité avec l’Église. Elle est devenue une pratique fréquente à l’époque moderne à la suite d’un certain nombre de comportements exemplaires.

Ce qui va profondément changer la donne, ce sont les grandes explorations et toutes ces légendes rapportées par les voyageurs et les anthropologues. Mystères, exotisme... À travers de nombreux ouvrages, ils expliquent par exemple la signification du sacrifice de la satî. Les veuves indiennes se jettent dans le feu pour accompagner leurs maris dans la mort. Elles ne le font pas volontairement, c’est tout simplement pour ne pas finir entre les mains de l'ennemi. Leur mort est autrement plus noble, elle prend une dimension héroïque.

La mort par le feu est connotée pour nos générations par le four crématoire. Nous ne sommes pas préparés culturellement à accueillir l’immolation par le feu comme un témoignage noble. Dans notre ère, au sens spatial du terme, cela reste une exception.

Pourquoi assistons-nous à une redécouverte de cette pratique ? Pourquoi observons-nous une contagion à nos sociétés occidentales ?

Ce n’est pas un phénomène tendanciel, il reste au niveau du spectaculaire, de l’exceptionnel.

Les moyens de témoigner son indignation dans le cadre de nos sociétés du XIXe siècle à nos jours, sont la grève et la manifestation. Cependant, les manifestations de la lutte des classes, la violence revendicative, sont des formes de témoignages collectives et organisées. L’immolation prend sa valeur particulière dans le sens où elle reste un geste individuel.

La redécouverte de cette pratique s’est effectuée très récemment, en prenant exemple sur les sociétés orientales, dont le suicide était le moyen ultime de se faire entendre. Tel est le cas de Mohamed Bouazizi, qui a désormais le statut de martyr de cette révolution du printemps arabe. Aujourd'hui, le phénomène est en nette recrudescence.

En France, plusieurs personnes se sont immolées en l’espace de quelques mois. Les individus utilisent ce mode de contestation car les formes organisées, qu’elles soient sociales ou politiques, ont aujourd’hui du mal à s’exprimer, à s'affirmer. L’immolation c’est un geste à la fois très individuel et en même temps une manifestation à caractère exemplaire personnel, comme la forme ultime  affirmée pour réveiller les gens. C’est un scandale. Cependant ce mode de contestation est-il efficace ? 

Propos recueillis par Caroline Long

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