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A la libéralisation du marché du travail, on préfère l’immigration
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Propos de Claude Guéant

Les dernières déclarations de Claude Guéant sur l'immigration et le marché du travail ont fait grand bruit. L'économiste Gilles Saint-Paul, auteur d'un rapport en 2009 sur le sujet, analyse sans détour la réalité des affirmations du ministre de l’Intérieur.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Claude Guéant a déclaré lundi : il est « inexact que nous ayons besoin de talents, de compétences » issus de l’immigration. Il  a ajouté : « le quart des étrangers qui ne sont pas d’origine européenne sont au chômage, les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés». Qu’en pensez-vous ?

Gilles Saint-Paul : Sur le plan économique l’immigration n’est ni uniformément bonne ni uniformément mauvaise. Il y a des gagnants et des perdants. Par exemple, réduire l’immigration est couteux : renvoyer les gens en situation illégal coûte de l’argent. Il s’agit donc d’un choix politique.

Pour revenir à ce qu’a dit Claude Guéant, cela correspond un peu à ce que j’ai écrit dans mon rapport Immigration, qualifications et marché du travail publié en 2009. La situation varie selon le pays d’origine. Le taux de chômage s’élève ainsi pour les immigrés venus d’Europe de l’Ouest à 9,1 % et pour l’Europe du Sud à 7,4 %. Leur taux de chômage se situe donc sous la moyenne française. Les immigrés d’Asie du Sud ont un taux de chômage de 12,2 %, soit à peu prêt équivalent au taux français. Les immigrés venus d’autres régions du monde le dépassent comme l’Afrique subsaharienne (23,3 %) ou l’Afrique du Nord (25,2%).

Il existe plein de tabous dans le débat français sur l’immigration. L’idée que lorsqu’on fait venir des gens sur le marché du travail, il faut que le marché du travail s’ajuste pour les absorber se vérifie d’une façon générale. Cela ne s’applique pas qu’à l’immigration, mais aussi aux femmes ou aux personnes âgées. Certains pensent que les immigrés prennent le travail des Français, d’autres que les vieux prennent le travail des jeunes, mais ce ne serait pas les mêmes… c’est paradoxal.

Une économie qui fonctionne bien à la capacité de créer le nombre d’emplois qu’il faut, en fonction de l’offre de travail. Par exemple, les Etats-Unis ont absorbé 15 millions d’immigrés mexicains et ils ont créé le nombre d’emplois qui correspondait. Le mécanisme par lequel ces emplois se créent c’est l’ajustement des salaires : si les immigrés sont peu qualifiés, l’offre d’employés peu qualifiés augmente et donc les salaires des employés non-qualifiés diminuent. Si ce n’est pas le cas, le marché du travail ne va pas absorber ces immigrés supplémentaires.

Il peut alors se passer deux choses :

  • Les immigrés peuvent effectivement prendre le travail des Français, mais attention, ils ne viennent pas dans cette intention, c’est le résultat d’un ajustement économique.
  • Les immigrés ne prennent pas le travail des Français, mais à ce moment là, ce sont eux qui ne vont pas trouver de travail.


C’est une sorte de loi d’offre et de demande. Bien-sûr certaines personnes ne croient pas à cette loi, mais moi en tant qu’économiste, c’est mon métier d’y croire…

A vous écouter, le fait que les salaires n’augmentent pas en France serait la faute de l’immigration ?

Aux Etats-Unis, j’aurais tendance à vous dire que c’est bien le cas. En France, pas tout à fait : on essaye quand même de restreindre l’immigration de travail depuis plusieurs années.

Ce qui est certain c’est que si on s’installe dans la logique qu’on avait dans les années 1960 qui consiste à dire « il y a des pénuries de main d’œuvre, il faut faire venir des immigrés », alors on détruit un mécanisme important de transmission des gains de productivité vers les salaires : dans une économie fermée, quand les entreprises sont plus productives, à salaires donnés elles vont gagner plus d’argent et vont donc avoir intérêt à embaucher. Par conséquent, la concurrence entre elles sur le marché du travail va faire augmenter les salaires. Mais si en parallèle l’immigration augmente, ce ne sont pas les salaires qui progressent mais la population. 

Et quand Claude Guéant ajoute « on n’a pas besoin de maçons, de serveurs de restaurants. Il y a en France de la ressource parmi les Français »…

Il y a une marge pour que les serveurs de restaurant disponibles deviennent effectivement des serveurs ! Le système français est assez rigide : un serveur ne gagne pas grand-chose, il peut préférer toucher les minimas sociaux ou vivre chez ses parents plutôt que de devoir travailler. Et puis il existe des rigidités qui empêchent la mobilité de la main d’œuvre entre régions ou entre secteurs, comme le logement social. Plutôt que de libéraliser le marché du travail, on préfère gérer ça à la marge en faisant intervenir l’immigration. C’est notamment le cas dans la médecine : plutôt que d’assouplir le numerus clausus, on préfère faire venir des médecins marocains, etc.

Dans d’autres pays comme l’Italie c’est encore plus évident : c’est plus cher pour un employeur d’embaucher un italien qu’un immigré clandestin. En France, indépendamment de l’aspect clandestin, dans la mesure où un immigré qui arrive sur le sol français a moins accès aux minimas sociaux qu’un Français, il est prêt à accepter des salaires plus faibles. Evidemment, c’est plus intéressant pour les employeurs. On bute là sur les contradictions de l’Etat-providence et du modèle social français.



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