Immigration : nos capacités d’accueil à l’épreuve des flux migratoires sont-elles si éloignées de nos voisins européens ? <!-- --> | Atlantico.fr
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©Reuters

Bonnes feuilles

Didier Leschi publie "Ce grand dérangement : L’immigration en face" chez Gallimard dans la collection Tracts. La question du sort réservé aux migrants est cruciale. De nombreux observateurs considèrent que la France devient une passoire exposée à l'invasion d'étrangers indésirables, d'autres veulent "suspendre l'immigration". Extrait 2/2.

Didier  Leschi

Didier Leschi

Didier Leschi est préfet et directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

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Pendant la première décennie du siècle, jusqu’à la poussée migratoire de 2015 et l’arrivée des Syriens, nous avons été le pays de l’Union vers lequel chaque année se dirigeait la plus grande proportion de demandeurs d’asile, 20 % de ceux qui rentraient en Europe choisissaient la France. Dans une Europe où la demande d’asile est revenue à son étiage, entre 500000 et 600000 demandes par an, nous sommes redevenus un des tout premiers pays de l’asile, 150000 en 2019, le deuxième après l’Allemagne. Ce pays qui fait figure de Samaritain de l’Europe a refusé d’accorder l’asile à plus de 650000 sur les 2,5 millions de demandes qui lui ont été soumises en quatre ans. Et il n’a pas fini de traiter toutes les demandes, près de 400000 restaient en instance en 2019. Si la Suède a vu, entre 2015 et 2018, 400000 personnes passer sa frontière, elle a signifié à 100000 de ces arrivants qu’il fallait repartir. Nous faisons pareil bien sûr. Mais nous sommes moins sévères dans l’examen des situations. C’est ce qui explique que progressivement beaucoup de ces déçus de l’asile européen, plutôt que de stagner sans protection juridique dans les pays qui les ont rejetés, considèrent que nous sommes leur dernier recours. Ils n’ont pas tort. Viennent à nous les perdants du système européen de l’asile, ceux qui ont été rejetés des pays où ils espéraient s’établir, ceux qui n’ont pas souhaité rester en Espagne ou en Italie. Ils obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu’Outre-Rhin, qu’en Suède, qu’en Norvège, qu’en Autriche, qu’au Danemark. C’est ce qu’on appelle le taux de protection par nationalité, c’est-à-dire le pourcentage de personnes qui acquièrent le statut de réfugié rapporté au nombre de ceux qui le demandent. Plus que le nombre d’entrées, c’est la comparaison la plus parlante. Alors qu’en 2019, les premières nationalités à avoir demandé l’asile en Europe étaient des Syriens, des Afghans, des Vénézuéliens, ceux qui la sollicitent chez nous venaient quatre fois plus de l’Afrique de l’Ouest que de Syrie. Ils étaient Guinéens, Ivoiriens ou encore Maliens. Ils venaient trois fois plus d’Algérie que d’Irak, cinq fois plus de Géorgie que du Soudan. Ils étaient autant Chinois que Pakistanais. Et ils étaient d’abord Albanais, Afghans et Géorgiens. La crise sanitaire que nous traversons, si elle a entraîné une baisse de la demande d’asile en 2020 de 30 à 40 %, n’a que peu fait varier ces réalités. Ni le Royaume-Uni, ni l’Allemagne, ni la Suède ne comptent des pays africains parmi les dix premières nationalités qui leur demandent l’asile. En Espagne, la demande d’asile est à 70 % latino-américaine, dominée par les Vénézuéliens. Chaque ancien colonisateur assume ainsi son héritage historique. 

À situation comparable, les demandeurs d’asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d’Europe. Quand ils en reçoivent une. En Allemagne, une personne hébergée par l’État reçoit 135 euros, en France 204 euros. En Espagne, cette allocation est de 50 euros mensuelle, les six premiers mois d’instruction de la demande. En France, le montant de l’allocation versée est immédiatement à son maximum. En Italie, une personne non hébergée par l’État ne reçoit aucune allocation. En France, elle touche 426 euros par mois. En Suède, ce n’est qu’une fois que l’on s’est assuré que le demandeur d’asile n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins que l’État le prendra en charge dans un hébergement. S’il a les moyens, il devra le payer. Ce type de vérification n’existe pas en France. En France, le demandeur d’asile est couvert par la protection universelle maladie, dont il bénéficiera pendant six mois après avoir été débouté. Au Danemark, les biens, en particulier les bijoux que posséderait le demandeur d’asile, peuvent être saisis pour payer les frais de prise en charge. 

2 . HÉBERGER ? 

Notre système d’hébergement est critiqué. Nous ne serions pas à la hauteur de l’accueil, même si le parc consacré aux demandeurs d’asile a plus que doublé en cinq ans pour atteindre 110000 places. Il est vrai que nous n’hébergeons dans les lieux spécialement prévus pour eux qu’un peu plus d’un demandeur d’asile sur deux. Les arrivées vont plus vite que les ouvertures de places, c’est exact. Et c’est indéniablement une faiblesse. L’État fait ce qu’il peut, et ne peut que rarement s’appuyer sur des collectivités locales qui rechignent à mettre à disposition des équipements publics. Réquisitionner un gymnase à Paris ou d’autres grandes villes pour y abriter en urgence des personnes est à chaque fois vécu comme un drame : « on va priver les enfants de sports…». Cependant, en plus des places qui leur sont réservées, les demandeurs d’asile accèdent aux hébergements d’urgence que notre législation permet d’ouvrir plus rapidement que ceux, très normés, des centres d’accueil. À l’inverse de ce qui se pratique en Italie, en Grande-Bretagne, en Finlande ou encore au Danemark, nous mettons à l’abri sans condition. Nous appelons cela « l’hébergement inconditionnel ». C’est une notion que nous sommes le seul pays à avoir inscrite par la loi comme un droit imprescriptible. C’est un hébergement gratuit sans limite de durée. Il peut concerner tout autant des demandeurs d’asile, des sans-papiers ou des résidents en difficulté sociale. Il n’est pas rare que des sans-papiers y soient hébergés pendant des années. En octobre 2020, tous les soirs, l’État mettait ainsi à l’abri plus de 176000 personnes. Un chiffre sans cesse en augmentation qui mesure autant la détresse que l’effort de prise en charge. Pour cette mise à l’abri, l’État utilise de nombreux hôtels ou d’anciennes pensions ouvrières réquisitionnées à l’année dans des zones où les touristes s’aventurent rarement. Pour les hôteliers, une manne. En 2020, l’État consacre trois milliards d’euros pour l’abri d’urgence. C’était 500 millions au début du siècle, un milliard en 2006. Afin de mieux prendre en charge ceux qui se retrouvent à la rue, grâce à des crédits publics, il existe à Paris un Samu social. Ses salariés, travailleurs sociaux, médecins, infirmiers maraudent dès la tombée de la nuit pour prendre en charge, soigner, orienter ceux qui dorment dehors. Un dispositif exemplaire que nous avons exporté sur presque tous les continents.

A lire aussi : Immigration : au coeur du choix des pays de destination pour les réfugiés

Notre interview de Didier Leschi : Mais pourquoi les migrants parlent-ils allemand dans les camps de réfugiés en France ?

c. Editions Gallimard, 2020.

Extrait du livre de Didier Leschi, "Ce grand dérangement : L’immigration en face", publié chez Gallimard dans la collection Tracts

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