Ils sont forts ces communistes : les Chinois ont-ils importé l’American Dream (à moins qu’ils ne l’aient inventé) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Chinois auraient beaucoup plus de similitudes avec les Américains qu'il n'y parait.
Les Chinois auraient beaucoup plus de similitudes avec les Américains qu'il n'y parait.
©Reuters

Chinese Dream

Les Chinois auraient beaucoup plus de similitudes avec les Américains qu'il n'y parait, à savoir certaines valeurs, telles que l'ambition, la réussite individuelle ou encore la quête de sens. C'est en tout cas ce qu'explique Evan Osnos, auteur américain, dans son dernier livre, "The Age of Ambition, chasing fortune, truth and faith in the new China" récemment publié aux États-Unis.

Jacques Gravereau

Jacques Gravereau

Jacques Gravereau, fondateur et directeur de l'Institut HEC Eurasia, professeur à HEC, est l'un des grands experts européens des développements de l'Asie et de la mondialisation, auteur entre autres du Japon au XXe siècle et de L'Asie majeure.

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Atlantico : Evan Osnos, auteur américain de "The Age of Ambition, chasing fortune, truth and faith in the new China" récemment publié aux Etats-Unis, révèle dans son ouvrage un visage peu connu, ou plutôt peu observé, de la Chine contemporaine. Comment le peuple chinois s'est-il adapté à l'explosion économique de la Chine ?

Jacques Gravereau : Il y a 25 ans, le peuple chinois était encore massivement et inégalitairement pauvre. Depuis, une diversification considérable s’est faite à mesure que l’économie chinoise s’est développée. La classe moyenne compte aujourd’hui 400 millions de personne, dont 90 millions de personnes que l’on pourrait qualifier de raisonnablement riches et qui se situent principalement dans les grandes villes chinoises. Les masses chinoises sont dès lors devenues consommatrices.

Cette modification du paysage économique chinois s’est faite notamment par l’accès pour de nombreux Chinois à de bons emplois au sein des entreprises publiques comme privées. Par conséquent, cela a considérablement augmenté leurs salaires et donc leur niveau de vie. De plus, la création d’entreprise est devenue un véritable sport national. C’est-à-dire que toute une classe s’est mise à créer des entreprises et à investir, soit grâce à un certain talent, soit grâce à des connexions administratives et politiques. On constate donc une certaine individualisation de la société chinoise.

Tout ce changement s’est opéré dans un pays qui est rude, dans lequel il faut se battre pour survivre. Aujourd’hui, ce pays est toujours rude car rien n’est jamais garanti : la sécurité sociale est pratiquement inexistante, l’accès à une éducation convenable nécessite un minimum de moyen, les systèmes de retraite sont insuffisants, etc. Il s’agit donc d’un pays dans lequel il faut d’abord se battre pour avoir des moyens de survie dans ces différents domaines. La zone de précarité y est infiniment plus grande que dans certains pays développés. Par conséquent, étant donné ce contexte, on peut véritablement parler d’une ambition à la chinoise, c’est-à-dire que le peuple chinois a une véritable âpreté, une urgence à gagner de l’argent peut-être plus marquée que dans certains pays plus confortables.

Ces traits sont-ils fondamentalement nouveaux ou sont-ils en réalité ancrés depuis longtemps dans la culture chinoise ?

Il y a toujours eu dans la culture chinoise cette capacité à faire du commerce intelligemment, à développer un réseau et à créer des entreprises. De ce point de vue, le patrimoine génétique chinois est très important. Aujourd’hui, et depuis les réformes des années 1980, lors desquelles on a en quelque sorte libérée la soupape capitaliste, ces qualités ont été à nouveau mises à jour après la longue glaciation de l’époque maoïste. Et le tout, dans un environnement qui reste encore difficile aujourd’hui et dans lequel la volonté de se battre pour arriver à saisir les opportunités reste encore très affutée.

Développement de la classe moyenne, notion de réussite individuelle, société de consommation... Ces termes que l'on attribuerait aux Américains sont dans cet ouvrage attribués aux Chinois. Peut-on parler de similitudes entre les Américains et les Chinois, deux peuples que tout semble pourtant opposer ?

A partir du moment où, autant en Chine qu’aux Etats-Unis, l’économie devient le principal sujet, où tout le monde devient matérialiste et consommateur, où l’accès à Internet, aux voitures, à différentes marques est possible, alors oui, il y a forcément des similitudes, à savoir une société matérielle et matérialiste.

S’y ajoute chez les Chinois le fait qu’ils viennent d’un vide idéologique, religieux et politique instauré sous Mao. Par conséquent, ce vide est d’autant plus compensé par le soucis de l’argent et de la réussite rapide. Et une fois encore, cela se passe dans un contexte difficile : les Chinois n’ont pas tellement de filet de sécurité. Ce qui les sauve est justement cette âpreté à se battre dans un monde économique rude. Et cette âpreté à se battre se retrouve chez les Américains mais est encore plus vive et plus rugueuse chez les Chinois.

Selon l'auteur, les Chinois sont en perpétuelle recherche de justice, de liberté et de sens, notamment par la religion. Ici aussi on retrouve des similitudes avec les Américains. Comment cette quête de sens se manifeste-t-elle dans les deux pays ? Peut-on parler d'un réel point commun ?

Il faut faire bien attention à ne pas trop chercher de ressemblances entre les Etats-Unis et la Chine. Certes il y en a, mais les deux pays restent malgré tout radicalement différents. Les Chinois recherchent effectivement de la justice, car la leur n’est pas indépendante ; ils recherchent la liberté, car la leur est limitée ; ils recherchent du sens pour toutes les raisons précédentes. Mais la différence entre les Etats-Unis et la Chine est que les Etats-Unis sont un Etat de droit avec des règles et une démocratie qui fonctionne. Et cela constitue en soi une différence non négligeable avec la Chine.

La vivacité intellectuelle chinoise est au moins aussi forte qu’ailleurs. Seulement, celle-ci est sous le manteau car elle ne peut se permettre d’être aussi libre qu’aux Etats-Unis. Le softpower américain et sa capacité à créer, à penser, à trouver des solutions sont très loin de ce qu’il peut se passer en Chine, et ce, pour des raisons politiques.

Concernant la religion en revanche, il y a un véritable renouveau de la quête de sens et du confucianisme chez les Chinois les plus lucides. Chaque année d’ailleurs, des centaines d’entrepreneurs chinois cherchent à retrouver un sens de l’éthique à travers Confucius, tandis que des églises protestantes commencent à renaître. Cependant, ce mouvement demeure encore limité car la religion dans la tradition chinoise s’est toujours trouvée au second plan ou utilisée pour des raisons politiques.

Comment expliquer que deux idéologies radicalement différentes soient parvenues à des résultats culturels similaires sur leur peuple ?

On ne peut pas vraiment parler de résultats culturels similaires mais de progrès matériels économiques qui a permis un certain confort de vie par la consommation. Il est effectivement plus agréable de vivre en consommant que de vivre dans la précarité. Les progrès techniques et médicaux ont fait que l’espérance de vie a presque doublé chez nous, comme chez eux. Donc finalement il s’agit vraiment de progrès matériels. Mais sur le plan du fonctionnement mental, la Chine reste encore très éloignée des sociétés occidentales. 

Si ce rapprochement identitaire en termes de progrès matériels venait à s'accentuer, à quels résultats pourrions-nous nous attendre ?

Les résultats se constatent déjà aujourd’hui. Il y a encore 20 ans, la Chine était repliée sur elle-même. Aujourd’hui elle s’est considérablement ouverte, notamment car elle a besoin de matières premières. De plus, les Chinois ont envie de voir le monde : 83 millions d’entre eux sont sortis de chez eux en 2013, dont 2 millions sont venus en France. Je ne parle pas non plus des nombreux étudiants qui voyagent chaque année aux quatre coins du monde. La Chine sort donc de ses frontières autant physiquement, qu’économiquement, que virtuellement, grâce à Internet – 600 millions de Chinois se connectent chaque jour, c’est-à-dire plus que n’importe quel autre continent. Et tout cela est encore très nouveau pour elle.

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