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IFI, Ordonnances Travail, taxe d'habitation...  : Emmanuel Macron se méfie-t-il suffisamment du pouvoir de nuisance de Laurent Fabius et du Conseil constitutionnel ?
©CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / AFP

Patatras

Un vent de réformes a soufflé sur la France depuis l'élection du président Macron. Selon l'adage "qui trop embrasse mal étreint", la multiplication des textes pose la question de leur sûreté juridique, en clair de leur bonne et valable constitutionnalité.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Les mesures phares que sont les ordonnances travail ( 1 ), la réforme de l'ISF par création de l'IFI ( 2 ), l'exonération partielle de la taxe d'habitation ( 3 ) forment un trio dont le dédale des nombreux articles constitutifs peut fort bien contenir des scories juridiques que les Sages de la rue Montpensier ne seront pas enclins à accepter.

Chacun connaît la rigueur juridique du président Fabius et chacun peut mesurer que la composition du Conseil constitutionnel compte peu de personnalités versées dans l'idolâtrie frénétique du Chef de l'Etat. Pour ne pas dire plus.

Si le Gouvernement a choisi la voie de l'article 38 de la Constitution qui définit les modalités du recours à la procédure des ordonnances pour éviter de s'enliser dans un bourbier parlementaire interminable, il pourrait bien être obligé de revenir devant le Parlement suite à une censure partielle ( minimale ou conséquente ) pour défaut de constitutionnalité.

La loi d'habilitation a donc été votée début juillet et la loi de ratification ne devrait être votée que fin novembre.

L'expérience cuisante de la taxe Hollande sur les dividendes ( retoquée à Paris et à la CJCE ) qui laisse une ardoise ( de plus ! ) de 10 milliards est là pour rappeler l'importance de l'Autorité judiciaire pour reprendre le terme générique de la Constitution.

Les Sages sont habituellement très attentifs au fait que la loi d'habilitation ait bien pris le soin de préciser les " finalités des mesures " susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance.

Autrement dit, il ne faut pas que le texte des ordonnances présenté par le Premier ministre excède les finalités définies par la loi d'habilitation. Concernant la réforme du code du Travail, cette étape semble avoir été franchie avec succès.

Parallèlement, si les ordonnances entrent effectivement en vigueur dès leur publication au Journal officiel – on se souvient du caractère solennel et médiatique de leur signature par le président de la République -, elles demeurent des actes administratifs tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi.

Selon l'expression retenue par le Conseil constitutionnel, les ordonnances sont " des actes de forme réglementaire " et le demeurent " tant que la ratification législative n'est pas intervenue " et à la condition qu'elles aient " fait l'objet du dépôt du projet de loi de ratification prévu par l'article 38 de la Constitution ".

Si on imagine mal le gouvernement Philippe laissé passer la date butoir fixée par la loi d'habilitation ( ce qui entraînerait la caducité des ordonnances ), il n'en demeure pas moins que toute ordonnance non encore ratifiée peut faire l'objet d'un contentieux administratif : soit directement, soit par la voie d'un recours pour excès de pouvoir. Autant de possibilités ouvertes pour des forces contestataires de toute sorte : à commencer par la CGT qui a d'ores et déjà saisi le Conseil d'Etat.

Le Conseil d'État est effectivement compétent pour connaître des recours formés contre les ordonnances.

Le juge administratif vérifie alors que l'ordonnance dont il doit apprécier la légalité a bien été prise " dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France "

( Arrêt du Conseil d'État du 4 novembre 1996 ).

Or les principes généraux du Droit sont un vaste domaine qui peut venir étriller des textes aussi disruptifs que les ordonnances de 2017 réformant le Code du travail.

Les ordonnances prennent force de loi suite au vote favorable de la loi d'habilitation sous réserve que celle-ci ne soit pas déférée devant le Conseil constitutionnel et partiellement invalidée.

Dans ce cas, les articles dits " retoqués " reprennent simple force réglementaire mais sont généralement abandonnés car dépourvus de conformité juridique.

Face aux ordonnances Travail, il n'est pas interdit de penser que les textes de plusieurs centaines de pages comportent des zones potentiellement litigieuses.

Il faut en effet rappeler que le bloc de constitutionnalité auquel se réfère le Conseil constitutionnel inclut le Préambule de la Constitution de 1958 mais aussi celui plus interprétatif de la Constitution de 1946.

L'article 8 de ce dernier énonce : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. "

Ce texte du milieu du XXème siècle pourrait fort bien représenter une herse pour certaines dispositions des ordonnances.

Autant dire que si le Gouvernement a voulu aller vite par le recours à cette urgence parlementaire spécifique, les DRH et autres praticiens du monde de l'entreprise seraient bien inspirés d'attendre de voir la tournure des recours à venir qui ne dépendent que de 60 députés ou sénateurs ( article 54 ).

A moins que fort habilement, le président de la République ne décide, de lui-même, de saisir le Conseil avant la promulgation de la loi ( article 61 ) ce qui ne laisse, " en cas d'urgence " demandée que huit jours aux Sages pour statuer.

En l'état actuel des choses, le président Macron ne semble pas disposé à procéder ainsi et se croit donc autorisé à une politique audacieuse du "wait & see" qui est, in fine, peu respectueuse des prérogatives du président Fabius.

Si le feuilleton social et contestataire ( " la rue " chère à Jean-Luc Mélenchon ) est peut-être sur le point de s'essouffler comme le démontre la manifestation du jeudi 16 novembre, le feuilleton juridique et judiciaire me semble sincèrement devant nous. Il y a trop d'intérêts en présence pour que d'aucuns se contentent de rester inertes !

C'est évidemment d'autant plus vrai lorsque les questions d'argent s'en mêlent.

La constitutionnalité de l'IFI pose question comme l'a souligné l'ancien président de la section des Finances du Conseil d'Etat en déclarant : "Une réforme qui maintient l’imposition de la fortune sur un patrimoine immobilier d’un peu plus d’un million d’euros, mais qui exempte un patrimoine mobilier d’un milliard est synonyme de risque élevé de rupture caractérisée d’égalité devant l’impôt" ( source : L'Opinion ). Or cette égalité est un principe fort.

L'IFI est aussi critiquable lorsqu'il tente de définir des mécanismes bloquant les pratiques abusives en matière de passifs se rapportant à un ou des biens immobiliers. Chacun connaît l'inventivité et l'ingénierie pertinente qui accompagnent des acquisitions à crédit pour mesurer les risques de violations de principes à valeur constitutionnelle.

A ce stade, nul ne peut garantir que l'IFI passera le cap de sa relecture exégétique et analytique par le Conseil.

De même, la taxe d'habitation et le principe d'une vaste exonération ( 80% ) pose la question de la légitimité de ce dispositif au regard du principe d'égalité devant l'impôt. Tout autant qu'au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales ( articles 72 et suivants de la Constitution ).

D'ici à son discours des vœux à la Nation le 31 décembre, le président de la République pourrait bien voir ses perspectives de réforme remises sur le métier précisément par des gens de métier tels que Lionel Jospin, Michel Charasse et le sémillant président Laurent Fabius.

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