L'identité nationale, même François Hollande s'y met : quel visage pour la présidentielle 2017 si gauche et droite investissent le sujet ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A quoi pourrait ressembler une campagne présidentielle axée sur l'identité nationale ?
A quoi pourrait ressembler une campagne présidentielle axée sur l'identité nationale ?
©Reuters

Tous en choeur !

Dans son interview accordée à l'occasion du 14 juillet, François Hollande a été remarqué pour l'évocation de thèmes jusque-là tabous à gauche. Identité nationale, civilisation, patriotisme... Une évolution qui présage des débats potentiellement constructifs en vue des élections présidentielles de 2017.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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François Kalfon

François Kalfon

Francois KALFON est conseiller régional d'Ile-de-France et membre de la direction collégiale du PS

Il a publié avec Laurent Baumel un Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs, Editions Le Bord de l'eau (novembre 2011).

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Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Dans l'interview qu'il a accordée pour le 14 juillet, François Hollande a beaucoup insisté sur les thèmes de l'immigration, de l'identité nationale. Déjà après les attentats, le Premier ministre déclarait : "Nous avons trop laissé au cours de ces dernières années ces thèmes à la droite extrême". Dans quelle mesure le fait que la gauche s'attaque au sujet constitue-t-il une évolution positive ?

Eric Deschavanne : Il n'est pas certain qu'elle soit disposée à s'y attaquer vraiment. Le propos de François Hollande  reste d'ailleurs équivoque (c'est une seconde nature chez lui): s'agit-il d'une promesse d'engager le fer sur ces sujets ou bien de reconnaître une part de vérité au discours qui voit dans l'immigration une source d'insécurité culturelle ? La posture électorale de la gauche, on le sait depuis que que le think tank Terra Nova en a fait pour ainsi dire l'aveu, est inconfortable : pour le dire de manière un peu caricaturale, il existe pour la gauche une contradiction difficile à surmonter entre le désir de plaire à l'électorat bobo des grandes métropoles et la volonté de reconquérir la fraction de l'électorat populaire qui l'a abandonnée pour se tourner vers le Front National.

Yves Roucaute : François Hollande a eu raison, car il y a là un point sur lequel les élites de droite, de gauche et du centre, doivent reprendre pied. Il paye néanmoins le prix d’une ignorance des enjeux comme le montre sa totale incompréhension de ce qu’est une civilisation. La confusion à ce niveau de l’Etat est confondante. Il confond même civilisation avec une religion. Il y a là le signe d’une médiocrité affligeante qui n’est pas sans rappeler celle du fameux député martiniquais qui dénonça en ignare absolu le discours que j’avais écrit pour mon ami Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, sur l’inégale valeur des civilisations. Il crut voir du nazisme dans cette affirmation que les civilisations qui ne respectent pas les droits de l’homme ou la dignité de la femme valent moins que celles qui les respectent. Au lieu de saisir que les civilisations de la Corne d’Afrique qui infibulent des millions de femmes ou que les civilisations incas ou romaines qui sacrifiaient des humains, ou que le projet de civilisation fasciste ou national-socialiste nés dans la gauche socialiste peuvent ainsi être combattus, on a vu une armada d’ignorants relativistes, de gauche surtout mais aussi de droite, prétendre que toutes les civilisations se valent et que parler même de civilisation était la marque du nazisme. On faillit avoir une déclaration  de guerre de ces ignares contre toutes les universités du monde puisque, évidemment, on y trouve partout des cours de civilisation, chinois, japonaise, etc…

Il est quand même surprenant que durant un temps, fut-il court, disons depuis la fin des années 70, environ jusque vers 2005 environ pour la droite, et jusqu’à aujourd’hui pour une partie de la gauche réformiste, le Front national se soit trouvé quasiment seul à mettre en avant le drapeau bleu blanc rouge ou à faire l’éloge de Jeanne d’Arc. Si l’on excepte des courants représentés par Jean-Pierre Chevènement à gauche, ou par Charles Pasqua à droite, voire quelques nostalgiques de la monarchie, la déroute idéologique a été rude au point de détricoter la culture française en brisant le socle culturel, jusque dans les livres d’histoire. Par exemple, « nos ancêtres les Gaulois » était certes en partie fantasmatique mais cela permettait d’assimiler tous les enfants de la République autour d’une culture commune, cela permettait de souder la nation civique. En quelque sorte, fils d’Arménien ou de Portugais, d’Espagnol, le fils de Vietnamien ou de Côte d’Ivoire, en devenant français devenaient porteurs de cette histoire commune au même titre que les enfants d’Auvergnats ou de Bretons. Et leurs ancêtres étaient bien alors les Gaulois parce que ce qui importe n’est pas la couleur de la peau ou l’origine ethnique mais les valeurs que l’on porte. Ce qui fait qu’un Barack Obama est Américain, descendant des pères Pèlerins qui accostèrent au Cap Cod, au même titre qu’est Français et descendant des Gaulois Nicolas Sarkozy dont le père arriva de Hongrie en France.

On doit aux soixante-huitards d’avoir affaibli la nation civique. Ces "demi-habiles", comme aurait dit Pascal, ont crut malin de constater que les enfants de l’immigration n’étaient pas des fils de Gaulois. Sans le savoir, ils ont ainsi défendu une conception ethnique de la nation, celle qui avait précisément les faveurs des néofacistes et des nationalistes. A cause d’eux, il n’y a pas si longtemps, se dire patriote, était mal vu et confondu avec le nationalisme. Cela faisait « ringard » et surtout « réactionnaire ». Alors que le patriotisme est une valeur d’avant garde, car il signifie précisément un attachement non au sang mais à des valeurs, à un mode de vie. Et lorsque quelques néoconservateurs rappelèrent que l’on pouvait conjuguer droits universels, patriotisme et puissance de leur pays, ils furent bien reçus aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, aussi bien à droite qu’à gauche, mais en France la débandade idéologique était telle qu’ils furent accusés de tous les maux. Pourtant, il n’est pas un seul pays démocratique où les partis de gouvernement ne saluent leur drapeau et ne chantent leur hymne national, pas un seul pays où le patriotisme ne soit considéré comme l’élément décisif de la puissance, parce qu’il est la clef de la force morale d’une nation.

La gauche, parce que les soixante-huitards étaient surtout puissants chez elle, a subi plus que la droite cette débandade, protégée par le gaullisme et le « pompidolisme », eux-mêmes inspirés par le thomisme.

A gauche ce fut la déroute. Alors que la gauche réformiste durant le XIXème siècle était patriote, songeons à Millerand, au point d’oublier les valeurs universelles en lançant une politique colonialiste sans précédent avec Jules Ferry notamment, ce qui n’était pas sans évoquer leur grand ancêtre Danton. Elle succomba sous le coup des sirènes gauchistes. Jaurès fut transformé en pacifiste bêlant, ce qu’il ne fût pourtant jamais, Léon Blum devint un européen oublieux de la puissance française, ce qui est pourtant faux. Le mitterrandisme, dont la gauche n’a jamais voulu faire l’inventaire, ouvrit les vannes de l’abandon du patriotisme, et du relativisme, même si l’on vit un sursaut lors de l’affaire des SS20. La suite, avec la montée en puissance d’une élite socialiste issue de l’ENA, où les humanités sont réduites à quelques références pour « briller » en début de plan en deux fois deux parties, fut catastrophique. Faute de vraie culture politique, les énarques Lionel Jospin, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande firent le grand plongeon dans la confusion idéologique et le relativisme, aidés par une vision de l’Europe qui correspondait à leur culture :  technocratique et acculturelle.

Notons, en passant, que ce processus fut aussi celui de la gauche jacobine, surtout incarnée à partir de 1934 par le Parti communiste. Certes, la direction de celui-ci fut prise dans les rêts du soutien à l’URSS mais il existait, jusq’aux sommets du PCF, un patriotisme réel, profond dans la base communiste ouvrière et agricole, dont la résistance fut l’un des symptômes tout autant que l’épisode Waldeck Rochet. La mise à lécart de Georges Marchais sonna le glas du patriotisme communiste devenu alors une organisation gauchiste d’employés communaux et d’élus locaux.

Bref, François Hollande commence à comprendre la nécessité de cesser les attaques contre la droite qui a décidé de ne pas laisser le terrain du patriotisme à un Front national qui est précisément nationaliste, et c’est bien.

Mais je ne crois pas que le PS qui représente surtout une fraction de la haute administration, pourra prendre pied sur ce qui est un des socles éthiques de la France et engager les réformes qu’il faut, de la lutte contre les incivilités au salut au drapeau dans les écoles, de la réforme des manuels scolaires à la lutte contre le relativisme, d’une remise à plat de la conception de l’Europe à celle  du recrutement des élites politiques.

Quel changement idéologique cela peut-il représenter pour la gauche ? Pour en arriver-là, quelles sont les concessions idéologiques qui ont du être mises en œuvre ? 

Eric Deschavanne : Le dilemme idéologique auquel la gauche doit faire face est apparu au grand jour avec l'affaire du voile islamique, qui a donné matière à de nombreux débats entre 1989 et 2004, date de la loi interdisant le port des signes religieux ostensibles à l'école.  La gauche qui, dans le sillage de l'antiracisme des années 80, inclinait à défendre le thème du "droit à la différence" fut alors rattrapée par la nécessité de choisir entre abandonner ou réassumer l'ancien logiciel républicain de la laïcité de combat. Le cheminement idéologique d'un Manuel Valls est sur cette question intéressant à observer. Directement exposé dans sa ville d'Evry aux conséquences de l'immigration, il fut longtemps multiculturaliste avant de basculer dans le camp des républicains de choc. On le voit cependant depuis les évènements de janvier, qui ont relancé et attisé le débat relatif au conflit entre laïcité républicaine et affirmation de l'identité musulmane, la gauche dans son ensemble oscille toujours entre multiculturalisme et républicanisme, ce qui constitue pour les leaders politiques qui entreprennent de rassembler un problème politique sans solution.

A quoi pourrait ressembler une campagne présidentielle axée sur l'identité nationale ? Quelles pourraient-être les positions de droite d'une part, et de gauche sur ce thème ?

François Kalfon : Vous prenez pour acquis le fait que cela sera le cas, or je ne l'appelle pas de mes vœux : c'est un sujet à manier avec précaution d'une part, et surtout il ne doit pas obérer le débat économique, soit celui de l'adhésion ou non de la gauche à une certaine forme de social libéralisme.

La question d'une vision de gauche de l'identité s'intègre dans une liberté ordonnée, un "ordre justement réparti". Il n'est pas étonnant que l'ordre soit une dimension importante car elle est en réalité indissociable du contrat social à gauche : l'ordre ne peut pas être une chape de plomb, mais doit s'articuler dans une morale collective, pourquoi pas républicaine, qui donne un sens à la vie des citoyens au-delà de la simple capacité à s'insérer matériellement dans la société.

Pour vous répondre, ces débats s'articuleraient donc sur l'autorité et la légitimité : A droite la défense de l'ordre établi, ordo-libéral, atlantiste, et à gauche, l'expression d'une fermeté légitime qui permettrait à chacun de trouver une place dans la société. La ligne de partage par rapport à la droite se trouve aussi clairement sur la désignation de ceux qui de leur point de vue ne partageraient par les valeurs d'adhésion, ce qui revient pour les conservateurs à pointer les pratiquants de l'islam.

Eric Deschavanne : Le débat sur l'identité, s'il a lieu, ce qui est loin d'être sûr, sera corrélé aux évènements de janvier 2015 et au sens qu'on leur donne. Il me semble que François Hollande va privilégier le thème de l'unité nationale, qu'il va précisément opposer au discours sur l'identité, lequel est en réalité clivant. Son pari devrait être que la droite sera coincée entre le discours identitaire du FN et le discours unitaire du Président sortant.

Ce sont là des considérations tactiques. On ne peut toutefois pas exclure que le problème de fond soit abordé. L'enjeu est celui de la greffe de l'islam sur l'identité française : à quelles conditions peut-elle prendre ? La présence de l'islam en France est à la fois problématique et irréversible. La difficulté pour les politiques est de reconnaître la réalité du problème sans mettre en cause la légitimité de la présence musulmane. En dépit de tout le mal qui a pu en être dit, "l'esprit du 11 janvier" est une réalité, et il représente sans doute le centre de gravité de l'identité française aujourd'hui. On pourrait le définir par la formule "insoumission et tolérance", c'est-à-dire, "ni intolérance à l'égard des musulmans, ni soumission à l'islamisme  (ou à l'islam anti-républicain)". Les intellectuels critiques, qui sont des esprits forts, peuvent s'écarter de ce centre de gravité (ils ont même, de par leur position et leur fonction dans la société un intérêt symbolique à le faire). Pour les politiques, ce n'est en revanche pas recommandé : celui qui s'écarte de ce centre de gravité, par une embardée intolérante ou par une inclination à la soumission, risque d'en faire les frais. Celui qui  à l'inverse parviendra à réaliser le difficile équilibre entre tolérance et insoumission, en revanche, emportera la mise.

Quel changement idéologique cela peut-il représenter pour la gauche ? Pour en arriver-là, quelles sont les concessions qui ont du être mises en oeuvre ?

Eric Deschavanne : Le dilemme idéologique auquel la gauche doit faire face est apparu au grand jour avec l'affaire du voile islamique, qui a donné matière à de nombreux débats entre 1989 et 2004, date de la loi interdisant le port des signes religieux ostensibles à l'école.  La gauche qui, dans le sillage de l'antiracisme des années 80, inclinait à défendre le thème du "droit à la différence" fut alors rattrapée par la nécessité de choisir entre abandonner ou réassumer l'ancien logiciel républicain de la laïcité de combat. Le cheminement idéologique d'un Manuel Valls est sur cette question intéressant à observer. Directement exposé dans sa ville d'Evry aux conséquences de l'immigration, il fut longtemps multiculturaliste avant de basculer dans le camp des républicains de choc. On le voit cependant depuis les évènements de janvier, qui ont relancé et attisé le débat relatif au conflit entre laïcité républicaine et affirmation de l'identité musulmane, la gauche dans son ensemble oscille toujours entre multiculturalisme et républicanisme, ce qui constitue pour les leaders politiques qui entreprennent de rassembler un problème politique sans solution.

François Kalfon :Elle constitue une grande différence car une partie de la gauche tiermondiste et emprunte de soutiens aux mouvements de libérations nationales était fâchée avec la question nationale. Or il apparaît bien qu'avec le temps toute la gauche se soit convertie au cadre juridique protecteur y compris des droits sociaux que représente la souveraineté nationale.

La nouveauté, c'est que la critique de la nation de 68, libertaire, est en passe de mourir. Et que ceux qui voyaient dans le contrat national une forme d'archaïsme y voient aujourd'hui un cadre protecteur.

Pour autant, ce n'est pas une évolution historique, mais plutôt la fin d'une parenthèse ouverte en 1968. En réalité, l'articulation entre la République, forme française d'une vision nationale et le socialisme existe depuis Jean Jaurès. Si la gauche radicale l'a souvent décriée, la gauche républicaine en tout cas ne s'en est jamais éloignée.

Il y a donc moins une concession idéologique que la fin d'une utopie transnationale progressiste qui est tombée faute de combattant. Finalement, sans parler d'amour du drapeau car beaucoup de gens à gauche n'en sont pas là, il y a une réelle interrogation sur ce que signifie la souveraineté. On lui retrouve des vertus ignorées hier.

Quels sont les points forts et les faiblesses de chaque camp sur le sujet, les tabous de part et d'autre ? Les tabous de part et d'autre ? Les lignes de fracture passant au sein de chaque camp ?

Eric Deschavanne : Pour le dire simplement, la droite a une conception concrète et incarnée de l'identité, la gauche, une conception abstraite, ou idéaliste. C'est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de chacun des camps. Le risque inhérent à la conception "incarnée" est qu'elle est plus ou moins (selon les thèmes retenus) clivante et exclusive. Elle peut aller jusqu'au racisme, si l'on considère que l'identité traditionnelle de la France est liée à une couleur de peau et que l'on exprime un "trouble identitaire" devant un métissage en pleine expansion. Ce thème ne sera bien entendu assumé par aucun parti politique, pas même par le Front national, mais il est difficile d'affirmer qu'il n'est pas implicitement présent dans une frange de la population et qu'il ne joue aucun rôle dans l'inquiétude identitaire. Les traits d'identité concrète qui seront explicitement évoqués sont évidemment des traits culturels relatifs au patrimoine de la France : la pétition "Touche pas à mon église" est à cet égard typique en ce qu'elle touche à l'appréhension de voir la configuration culturelle de la France se transformer sous l'effet de l'immigration, de la présence musulmane et de la dynamique démographique. Est-on vraiment Français, voilà l'inquiétude, si l'on va à la mosquée plutôt qu'à l'église, si l'on entre dans les amphis universitaires avec un voile, si l'on n'est pas familiarisé avec l'esprit voltairien incarné par Charlie Hebdo, voire si l'on n'apprécie pas le bon vin et le saucisson ? L'inquiétude est légitime, mais la fracture culturelle n'est pas non plus une donnée nouvelle dans l'histoire de France; elle peut et doit être surmontée. La droite ne doit pas l'oublier et nombre de ses leaders en ont conscience, qui ne souhaitent pas se laisser enfermer dans le piège du discours identitaire.

A gauche, on privilégiera une conception abstraite de l'identité : être Français, c'est adhérer aux idéaux de la Révolution française et de la république, aux idéaux universalistes de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité, en tant précisément qu'ils sont rassembleurs et garants du "vivre-ensemble". Le risque pour le coup est de s'en tenir à une rhétorique désincarnée et hors sol. Or, quand on entreprend d'appliquer l'idéal au réel, les choses se compliquent sérieusement. L'idéal de la laïcité, par exemple, selon la manière dont il est entendu, rend aujourd'hui possible de justifier aussi bien le multiculturalisme que son refus, de donner la priorité à la lutte contre l'islamophobie ou bien au combat contre l'islamisme. Le discours idéaliste, lorsqu'il se coupe d'une réflexion qui prend en considération la réalité, y compris ses aspects les plus déplaisants, risque d'apparaître comme creux, lénifiant, destiné à masquer un déni du réel. Il peut même conduire, dans le cas de l'extrême gauche, a opposer l'idéal républicain et l'identité française, ou à la dénonciation de l'idéal républicain comme raciste et  islamophobe.

François Kalfon :Ce qui différencie la vision d'une nation de gauche et une nation de droite, c'est la conception de Renand, c'est-à-dire une communauté d'adhésion, contre celle basée sur une vision identitaire essentialiste. Même s'il y a bien aujourd'hui une évolution qui consiste en la reconnaissance de la nation, et pourquoi pas même de sa dimension symbolique à gauche, alors qu'elle était rejetée jusqu'ici. Un autre marqueur de gauche qui est nouveau, mis à part l'ordre, est l'attachement au service publique : la nation c'est la République ; la République, c'est la République sociale. Cela fait partie de l'identité nationale telle qu'elle est vue par la gauche et particulièrement vivante au lendemain de la guerre dans le programme du Conseil national de la résistance.

Quid des électeurs de gauche ? Ces derniers sont-ils réfractaires au sujet, quelles sont leurs attentes en la matière ?

François Kalfon :Quand on voit la position des sympathisants socialistes français au sein de la zone euro, sur les opérations extérieures au Mali par exemple, sur la laïcité, il y a une vraie évolution. Sur la laïcité, les sympathisants socialistes s'y montrent désormais attachés, et n'ont plus de problème avec le sentiment national alors que dans les années 1980 une partie de la gauche revendiquait le droit à la différence... Qui conduit invariablement à la différence des droits.

On retrouve d'ailleurs cet axiome dans la répartition des budgets de la fonction publique puisque les effort sont portés à part égales entre l'Education, soit les conditions d'adhésion au contrat social, et sur les forces de sécurité. 

Quelles leçons tirer des polémiques et de l'échec du débat sur immigration et identité nationale qu'avait voulu Sarkozy ?

Eric Deschavanne : Le problème était plus de forme que de fond (mais la forme détermine le fond). Le débat était d'emblée perçu comme instrumentalisé. C'est un problème de méthode. Il ne faut pas mélanger l'action politique, soumise à des intérêts déterminés et à l'impératif d'efficacité, et l'exigence de débat de fond, qui, pour être fécond, doit demeurer aussi désintéressé que possible. Un débat destiné à établir un diagnostic doit obéir à l'impératif de lucidité. Il doit être soustrait autant que faire se peut à la confusion et aux passions idéologico-médiatico-politiques. La réflexion est nécessaire à l'action, mais elle en est aussi indépendante. Le politique doit apporter des réponses réfléchis aux problèmes, et non pas mettre en scène la réflexion sur les problèmes. Ce n'est pas son métier.

Yves Roucaute : Il n’y a qu’une leçon à tirer : il faut cesser les faux débats et les tactiques politiciennes qui visent à marquer des points contre les adversaires sur la scène politique. Il faut revenir au diagnostic : nous souffrons d’un manque d’assimilation. il faut donc ouvrir un débat sur les conditions de valorisation et d’intériorisation imaginaire de cette identité française, de cet esprit de notre nation, que j’ai décrit dans "Eloge du mode de vie à la française" (ContemporaryBookstore).

II nous faut non une politique d’intégration et encore moins ce « droit à la différence » soixante-huitard destructeur, mais une politique d’assimilation qui n’a rien à voir avec ce que je lis parfois, qui fleure la haine, au lieu de l’aimer, qui est la marque de fabrique française. Car l’assimilation, la vraie, pas celle de certains, telle est la condition de la vie d’une nation. Et l’esprit de notre peuple ne peut renouer avec l’esprit du temps que si nous reprenons pied sur ce sol éthique que nous portons dans l’histoire. Sinon, l’esprit français est condamné par l’Histoire. Et l’on pourra dire qu’il a fait son temps.

Mais, je crois qu’il est possible de renouer avec l’histoire. C’est de cela dont il faut discuter. Cela en défendant d’abord ce mode de vie sucré que le monde entier nous envie et qu’il imite de plus en plus. Et cela, il nous faut le défendre concrètement, dans sa quotidienneté, à partir du petit déjeuner avec la tartine beurrée ou le croissant, qui rappelle avec humour la victoire de 1683, à Vienne, contre les Turcs et leur drapeau en forme de croissant. Une défense de la quotidienneté qui va jusqu’au dîner avec cette façon si française de partager "christiquement" pour tous le pain et le vin.

Ensuite en hissant haut les valeurs universelles affirmées par notre patrie, celles des devoirs et droits des humains, de la dignité de la femme  que nous avons inventée en France dés le Moyen-Âge par l’amour courtois et la galanterie, bien avant que Charles De Gaulle ne donna le droit de vote aux femmes qui avait été refusé par le Front Populaire.

Enfin, il nous faut assimiler dans cette quotidienneté le goût de la puissance de la France et l’amour pour elle, un amour qui doit pouvoir aller jusqu’au sacrifice de ses intérêts particuliers. Un amour qui doit conduire à ouvrir un débat sur l’Europe que nous voulons, sur les alliances qui nous importent, sur la vision du monde que nous voulons porter. Le patriotisme est de retour, et c’est tant mieux. Ce sera, et cela doit toujours être sous peine de n’être qu’un leurre dissimulant une nation morte, toujours une idée neuve.

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