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Huile de palme : l'expansion rapide de la production se fera-t-elle au prix d'un lourd bilan environnemental ?
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Termi-environnementor !

Au lendemain de son entrée en bourse, l'huile de palme a la cote. La consommation de cet "or rouge" pourrait doubler d'ici une dizaine d'années. La production est même devenue agro-industrielle, au lourd prix (malheureusement) du sacrifice de la faune et la flore.

Damien  Toublant

Damien Toublant

Damien Toublant est un spécialistes des enjeux mondiaux de l’huile de palme.

Il réalise des interviews d’experts sur la question de l’huile de palme et est en lien avec  bon nombre d’acteurs du secteur.

Depuis un an, il tient un blog sur le sujet qu'il alimente grâce à ses nombreuses investigations.

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Le marché de l’huile de palme est florissant. Les échanges internationaux représentent près de 21,5 milliards de dollars américains, selon le CIRAD. D’un faible coût de production, l’huile de palme détrône depuis quelques années toutes les autres huiles.

Après l’introduction au Nasdaq de Facebook en mai dernier, l’entrée dans la Bursa Malaysia de la Felda Global Ventures Holding (FGVH), 3ème plus grand producteur mondial d’huile de palme, est aux yeux des analystes la deuxième plus grande IPO[1] de cette année et la plus importante sur le plan national depuis l’introduction en bourse du brésilien Petronas Chemicals Group. Selon la Bourse Malaisienne, dès le premier jour, le titre FGVH a augmenté d’un peu plus de 18%. Ayant la mainmise sur la FGVH, le Premier Ministre malaisien Najib Razak a tout de suite mis en avant le succès de la privatisation des entreprises du pays.

Mis à part les intérêts au niveau de la politique national et bien sûr sur le plan économique, ce pas dans la cour des grands apporte une véritable reconnaissance sur la scène internationale pour la FGV, ce qui attirera de nouveaux investisseurs en Asie du sud-est. L’avenir du géant de l’huile de palme semble à l’antipode de celui de Facebook car, si on en croit l’étude de marché réalisée par OIL WORLD ISTA Mielke, la consommation mondiale de cet or rouge pourrait plus que doubler d’ici à 2020.

Mais quand certains spéculent, d’autres s’interrogent sur le fond de commerce de la FGVH – d’ailleurs contrôlée par M.Razak - et de tant d’autres groupes de l’industrie élaeicole[2]. Cette dernière extrait l’huile de palme et de palmiste[3] pour la fabrication de nombreux produits alimentaires (margarine, chips, confiseries, etc.), manufacturés (cosmétiques, savons, détergents, bougies, lubrifiants, etc.) et, depuis quelques années, la production de biocarburants.

Pour la deuxième catégorie de produits, les industriels utilisent surtout certains composants - aussi nommés ‘’dérivés’’ - des huiles de palme et de palmiste comme l’acide palmitique ou stéarique, le Sodium Dodecyl Sulfate (NaDS, SDS ou E487), etc[4]. Selon l’ONG Les Amis de la Terre, un produit sur dix serait concerné et près d’un milliard de personnes consommerait donc des produits issus de cette industrie. La plupart du temps, les consommateurs n’ont même pas conscience qu’ils ingèrent ces produits puisque, soit ils ne connaissent pas les noms des dérivés, soit les mentions inscrites sur les étiquettes indiquent uniquement ‘’matière grasse végétale’’. 

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Expansion des plantations de palmiers à huile : de l’artisanal au système agro-industriel

Les plantations de palmiers à huile se répartissent dans la zone intertropicale sur une dizaine de millions d’hectares. Depuis 20 ans, la superficie a plus que doublé. Avec les plantations des îles de Bornéo et Sumatra, la Malaisie et l’Indonésie totalisent à eux deux près de 85% de la production mondiale d’huile de palme et de palmiste.

Les fermes artisanales ont laissé la place à un système agro-industriel très organisé et exploitant plusieurs milliers d’hectares. Les charrettes ont été remplacées par les camions à bennes, l’uniformisation est en marche et conquiert, depuis quelques années, de nombreuses îles en Océanie. Les images par satellite nous donnent l’ampleur du mitage dû aux plantations. On peut notamment apercevoir l’étendue des cultures au Nord de l’île principale des Salomon, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et sur certaines côtes des îles Philippines – par exemple, les côtes au sud-est de l’île de Palawan présentent de nombreuses plantations de palmiers à huile légèrement clairsemées.

Outre l’Asie du sud-est, les plantations de palmiers à huile gagnent du terrain en Afrique et en Amérique latine sous la pression des investisseurs étrangers. C’est notamment ce que le premier rapport d’analyse réalisé à partir des données de The LAND Matrix[5] a révélé en avril 2012. On peut y apprendre notamment que, ces cinq dernières années, le Qatar, l’Inde et la Corée du Sud ont acquis, respectivement, 500 000 ha en Indonésie, 300 000 ha en Ethiopie et 300 000 ha à Madagascar. Cependant, si 26% des gains de surfaces agricoles dédiées au palmier à huile concernent l’Afrique et 5%, l’Amérique latine, c’est en Asie du sud-est que l’expansion est de loin la plus importante.

Et cela n’est pas prêt de s’arrêter selon le Malaysian National News Agency[6] ; en effet, le Premier ministre malaisien souhaite, grâce à l’introduction en bourse de FGV, planter et acquérir de nouvelles exploitations de palmiers à huile (15 000 ha par an), de cannes à sucre et d’hévéas en Asie du sud-est et en Afrique d’ici 2015.

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Remplacer une forêt par un autre : quelles conséquences ?

Le palmier à huile a la particularité d’être un arbre extrêmement productif, les grappes de fruits peuvent être récoltées jusqu’à 3 fois par an. Pour optimiser la productivité des exploitations, les industriels plantent des rangées bien alignées et resserrées. D’après des études[7] réalisées en Malaisie et en Indonésie, 80 à 100% des espèces vivants dans les forêts tropicales ne peuvent pas survivre dans les monocultures de palmiers à huile. Il suffit de se balader dans n’importe quelle palmeraie et de tendre l’oreille, le silence est assourdissant.

Cela tranche totalement avec la forêt tropicale où l’on entend quotidiennement un concert d’une centaine d’espèces, des cigales aux toucans, des singes hurleurs aux jaguars. Selon les scientifiques, le constat est amer : en plus de participer à une extinction massive d’espèces connues voire emblématiques comme l’orang-outan, le rhinocéros de Sumatra et la rafflésie, l’industrie du palmier à huile cause la disparition d’espèces jamais encore découvertes. Il suffit d’explorer le site français de Mongabay et le Rapport 2011 du WWF sur les espèces nouvellement découvertes en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour se rendre compte de la richesse des forêts tropicales. Il faut aujourd’hui que les pays producteurs ainsi que les pays importateurs aient conscience que l’or vert a plus de valeur que l’or rouge. En effet, les économistes semblent unanimes, les animaux vivants ont beaucoup plus de valeurs que les animaux morts.

La biodiversité, ce n’est pas que la faune et la flore qui entourent l’homme mais c’est aussi lui-même au sein de l’écosystème. En effet, dans la quasi-totalité des régions du monde où les exploitations de palmiers à huile ont commencé à s’intensifier, il y a eu et il perdure toujours des conflits entre les communautés locales et les planteurs. Les exemples sont très nombreux (Les Palawan et Aïta des Philippines, les Penan de Bornéo, les Awa d’Equateur, etc.[8]) et le dénominateur commun à tous les conflits est un manque cruel de dialogue. Et, outre ces tribus autochtones, il apparait de plus en plus une nouvelle forme de paysans que l’on appelle les « sans terres ».

Dernièrement, LeMonde.fr a consacré un court reportage sur la situation au Guatemala. On se rendait compte de la violence des expulsions qui sont, la plupart du temps, orchestrées par la police locale. En effet, l’installation des planteurs est une véritable manne financière pour la région. L’insupportable soutien des gouvernants aux planteurs ou plutôt leur aveuglement sur des valeurs essentielles aux peuples indigènes comme l’appartenance ancestrale des terres fut entre autres la cause de la lutte de Rigoberta Menchu. Le monde a d’ailleurs reconnu la légitimité de son combat ainsi que celui de tous les « sans terres » lors de la remise de son prix Nobel de la paix en 1992.

Récemment, après que des groupes de miliciens envoyés par la compagnie de Chabil Utzaj aient expulsés violemment près de 300 familles vivant dans la vallée du fleuve Polochic, au Guatemala, Rigoberta Menchu eut une phrase mémorable : « Ici, il y a 510 ans, un homme est venu et a décrété que par ordre d’un roi, toute cette terre lui appartenait, et personne n’a rien compris ni n’a pu s’opposer. 510 ans plus tard, un homme vient dans la vallée du Polochic et déclare que par ordre d’un juge, les terres lui appartiennent, et personne ne comprend ni ne peut s’opposer. » Qu’évoque-t-elle si ce n’est une nouvelle forme de colonialisme ?

Au-delà des conséquences sur la biodiversité et sur la survie des peuples indigènes, la déforestation en Indonésie est une source gigantesque de gaz à effet de serre. En effet, les hommes brûlent des centaines d’hectares de broussailles et de tourbières. Ces feux colossaux ont fait de l’Indonésie le 4ème plus gros émetteur de GES au monde (la Malaisie est 9ème) devant des pays beaucoup plus industrialisés comme le Brésil, la Russie ou même le Canada.   

Le durable, le bio et l’équitable : quelles solutions pour les planteurs ?

Devant tous les désastres engendrés par la culture intensive de palmiers à huile et la montée en puissance des polémiques, les industriels et les organisations environnementales ont réfléchi à certaines stratégies. Si le commerce équitable d’huile de palme est en légère croissance mais peine à se faire connaître, le durable et le bio ont complètement envahit le marché.

En effet, en 2004, le WWF, en collaboration avec plusieurs entreprises du secteur (Unilever, Aarhus United, Sainsbury’s, Golden Hope Plantations Berhad, Migros), a créé la Table Ronde sur l’Huile de Palme Durable (RSPO). La liste des membres s’agrandit d’année en année. Elle comprend des producteurs, des exportateurs, des firmes transnationales, des banques, des ONG et des investisseurs. Le site de l’organisation Oxfam France présente très clairement les principes et critères de la RSPO ainsi que les critiques. De nombreuses entreprises participant à la RSPO sont accusées de « Greenwashing ». Quelques-unes de ces critiques sont portées sur l’appartenance à la RSPO de Sime Darby, impliquée dans la déforestation à Sumatra notamment ou encore sur le peu de contraintes au niveau des critères environnementaux et sociaux. A en croire l’ONG Les Amis de la Terre et Patrick Rouxel, le réalisateur de Green, les entreprises ne sont obligées de rien. De plus, le terme de ‘’monoculture durable’’ n’est-il pas un oxymore ?

 Concernant l’huile de palme biologique, l’accès au cahier des charges est difficile et les polémiques sur des certifications trop aléatoires entament la confiance des consommateurs. C’est un domaine d’investigation qui demande encore un peu plus de temps. Ce qui ne peut en aucun cas nous satisfaire mais combler notre peine, c’est que l’huile de palme biologique semble avoir moins de conséquences néfastes sur l’environnement.

Cependant, le commerce équitable est la solution qui semble plus surement correspondre à un véritable développement durable, alliant effectivement les volets environnementaux, sociaux et économiques. De petites initiatives voient le jour comme les cosmétiques NATYR commercialisés par Oxfam-Magasins du monde.




Notes

[1] IPO : Initial Public Offering, terme anglais désignant l’introduction en bourse d’une entreprise.

[2] L’élaeiculture : c’est le nom donné à la culture des palmiers à huile en référence au nom latin du palmier, Elaeis Guineensis. D’autres espèces de palmiers sont aussi utilisées comme Elaeis Oleifera.

[3] L’huile de palme est extraite de la pulpe tandis que l’huile de palmiste est extraite du noyau. La seconde est un peu plus chère et plus fréquemment utilisée dans l’industrie cosmétique.

[4] Voici une liste non-exhaustive des dérivés possibles d’huile de palme et de palmiste : Sodium Lauryl Sulfate, Disodium Lauryl Sulfosuccinate, Palmolein, Gylceryl Stearate, Steareth, Sodium Kernelate, Sodium Lauryl Lactylate ou Sulfoacetate, Cetyl Palmitate, Cetyl Alcohol.

[5] W. ANSEEUW, M. BOCHE et al. (2012). Analytical Report based on the Land Matrix Database. CDE (The Centre for Development and Environment), CIRAD, GIGA (German Institute of Global and Area Studies).

[6] Malaysian National News Agency : www.bernama.com

[7] WAKKER, 2000

[8] Certains de ces peuples indigènes sont en danger de disparition. Survival International les aident à exister aux yeux du monde et surtout à combattre les fléaux qui menacent gravement leur survie.

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