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Gustave Flaubert, photographié par Étienne Carjat.
Gustave Flaubert, photographié par Étienne Carjat.
©DR / Étienne Carjat / Domaine Public

Pour en finir avec le wokisme

Un héros de Flaubert, ça ose tout ou… ça n’ose pas.

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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Pensons à l’apothicaire Homais : drapé dans ses certitudes de notable, fort de sa petite science, le pharmacien rayonne depuis son officine. Il darde sur son entourage une bêtise satisfaite, fascinante tant elle est impudique. Homais plastronne, Homais s’impose, Homais dévore. Son arme : débiter des platitudes ou des énormités d’un air paterne. Celles-ci sont prises pour argent comptant par un auditoire subjugué tant l’air d’autorité affiché pour les assener leur confère force et justesse. Il faut bien s’incliner devant la ténacité toute morpionesque de l’apothicaire qui n’a d’égal que son culot. Notre potard plastronnant finit du reste par recevoir, récompensé pour une bêtise triomphante autant qu’expansionniste, la croix d’honneur qu’il convoite.

Frédéric Moreau est plus intelligent, certes, mais sans confiance en soi ni volonté de puissance. Baste ! notre héros demeurera en lisière de la vie, sans consommer ni consumer celle-ci. Adolescent, il était, on s’en souvient, resté aux portes du bordel, ratant ainsi son rite de passage à l’âge adulte. L’affaire était d’emblée pliée… Embourbé dans la veulerie et la velléité, Frédéric ne connaît pas plus la plénitude de l’accomplissement que la pointe acérée de l’échec. Il mijote sans douleur jusqu’à l’âge d’homme, confit dans les vapeurs torpides de l’inaction, insensible à la morsure du ratage.

Nés au vingtième siècle, nous avons lu « L’Éducation sentimentale » et nous avons ricané, goguenards. On n’allait pas nous la faire ! Quelle moule ce Frédéric ! Bien sûr, nous nous sommes furtivement reconnus en lui : « rêvant au plan d’un drame, à des passions futures. » Heureusement nous étions armés pour comprendre l’ironie du maître et saisir le message qu’il délivrait : « Sortez-vous les doigts du cul. » Nous avons vécu, un peu. Suffisamment pour nous rendre compte du triomphe actuel des Homais de tout poil et de la soumission de plus en plus résignée de tous les Frédéric.                     

En cette première moitié du XXIè siècle, Homais prospère, domine, se répand, subversif. Il s’agit d’assujettir, sous prétexte d’œuvrer pour le Bien et le Progrès, tous les Frédéric du monde. L’arme qu’Homais a trouvée pour parvenir à ses fins : atomiser avec aplomb l’individu sous couvert de l’aider à être qui ou quoi il doit être, surtout, le Même. Fini les couleurs de peau, l’originalité des langues, des peuples, des cultures, des croyances, des religions. Niées les blessures de la vie ou celles de l’Histoire. Au prétexte que tout se vaut, nous partons à vau - l’eau. Rognés les dos d’âne de la vie, limée la bosse de l’injustice, anéantie la rudesse du hasard, adultérée la saveur de l’altérité. Ne vivons plus, dès fois qu’on en mourrait, contentons-nous d’être. Rejoignons le magma originel.

La promotion exacerbée du droit à la différence nous conduit sans faillir à l’indifférenciation, dans une indifférence qui mènera au différend dans le meilleur des cas, si les Frédéric se réveillent. Au pire, ils se sentiront de plus en plus, comme le dit Maupassant, : « écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout », pour le plus grand confort du Homais dominant qui continuera à araser le Monde.

Isabelle Larmat, professeur de lettres modernes

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