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Hollande et son vrai handicap : 
la gauche orpheline d'un modèle 
pour penser le monde actuel
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Vieille école

François Hollande continue de se revendiquer social-démocrate. Mais avec la crise économique, ce modèle semble à bout de souffle, tandis que la gauche traditionnelle de Jean-Luc Mélenchon inspire une partie des électeurs.

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Derniers ouvrages parus : L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), 14-18. Retours d’ expérience  (Tallandier, 2008) et La gauche est-elle morale ? (Flammarion, 2010).

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Atlantico : Le modèle social-démocrate, dont se revendique François Hollande, repose sur un équilibre entre l’acceptation du capitalisme et la redistribution des ressources. Mais en pleine crise économique, l’Etat providence a-t-il encore quelque chose à redistribuer ?

Christophe Prochasson :Il est clair que le modèle social-démocrate tel qu’il s’est définit après la Seconde guerre mondiale est aujourd’hui périmé dans une large mesure. La crise participe largement à ce constat, qui s’inscrit tout de même dans une tendance qui se dessine depuis les années 1980. La social-démocratie est née dans des circonstances historiques très particulières reposant sur la reconstruction de l’Europe.

Il faut rappeler que ce modèle n’a jamais été celui de la gauche française. Le modèle social-démocrate s’appuyait sur un réformisme de classe, une intégration de la politique et du monde syndical. C’est ce qui existait dans d’autres pays européens, comme le travaillisme britannique ou la social-démocratie allemande. En France, la tradition politique de gauche a longtemps été dominée par une critique radicale du capitalisme et un discours reposant sur le changement de régime économique dominée par une forte inspiration révolutionnaire.

Je pense que François Hollande vise autre chose lorsqu’il parle de social-démocratie. Mais il en parle assez peu. Il y a quelques années, lorsqu’il était Premier secrétaire du Parti socialiste, il n’évoquait pas ce terme car il sentait déjà que ce modèle était sur sa fin. Il évoquait plutôt l’idée de réformisme de gauche.

François Hollande n’est pourtant pas dans la remise en cause de l’économie de marché et défend des notions de justice sociale. Ces références s’approchent malgré tout de la social-démocratie. Ces repères ont-ils un avenir dans le contexte économique actuel ?

C’est vrai, François Hollande ne remet pas en cause l’économie de marché. D’une certaine façon, je pense que c’est même plus que cela : il ne remet pas en cause le capitalisme comme mode de production des richesses. D’ailleurs, qui le remet véritablement en cause en France à part une extrême minorité qui se place à l’extrême gauche de l’extrême gauche ? Même Jean-Luc Mélenchon, malgré l’agitation de son drapeau rouge, ne condamne pas le capitalisme. La raison en est simple : nous sommes dans une conjoncture historique dans laquelle il n’y a pas d’alternative au capitalisme. A part la Corée du Nord et la Chine, qui réussit le tour de force d’être à la fois capitaliste et communiste. Le capitalisme constitue aujourd’hui le seul horizon historique à échelle humaine.

François Hollande ne se situe pas du tout dans la recherche d’un renouvellement des fondements de la social-démocratie. Il y a eu des tentatives dans ce sens en Grande-Bretagne : c’est ce que Tony Blair a appelé le New Labour qu’il a construit avec des théoriciens tels qu'Anthony Giddens. Il y a eu des mobilisations aussi en Suède. Mais tout cela n’est plus d’actualité. Je pense qu’il y a pourtant toujours un espace libre de réflexion pour répondre à des angoisses, des incertitudes, des injustices, toutes les failles à la solidarité nationale. Le candidat socialiste creuse dans ces directions sans que cela veuille dire qu’il ait la réponse.

Les forces d’opposition, aujourd’hui, cherchent à réfléchir à des formes d’organisation différentes qui répondent à des maux sociaux et économiques. Cela ne remet pas pour autant en cause le capitalisme. C’est non seulement légitime mais tout à fait sage. Reste que cela brouille ostensiblement l’ancien clivage qui avait permis la définition de ce que sont la droite et la gauche.

Mais une redistribution est-elle possible au vu de la situation actuelle ?

Il existe un profond sentiment d’injustice à ce sujet. Il est d’ailleurs curieux que Nicolas Sarkozy, qui d’habitude sent bien les choses dans la société française et sait comment les exploiter à son profit, ne sente pas cela. Ce sentiment est ancré dans les différents électorats et dans les classes sociales qui se tenaient habituellement à l’écart de ce type de motivations - ce que l’on appelle les classes moyennes, même si cela va à mon sens au-delà - est touché par ce type de problématiques. Les difficultés pour les jeunes diplômés de trouver du travail, les écarts de salaires dans le monde de l’entreprise, étaient autrefois acceptés du fait d’amortisseurs qui étaient autant de protections. Aujourd’hui, ces protections s’affaiblissent et rendent de fait les inégalités sociales beaucoup moins tolérables.

Il y a une aspiration qui va dans ce sens. Que les gens croient ou pas à l’existence d’une solution, ils n’acceptent plus cette situation. Quel que soit le vainqueur de l’élection, il faudra apporter une solution.

Jean-Luc Mélenchon parvient-il à répondre à ce sentiment d’injustice ressenti par un nombre croissant de Français plus que François Hollande ?

Je ne crois pas. Jean-Luc Mélenchon propose de vieilles réponses qui s’enracinent dans une mythologie qui a fait vivre la gauche pendant très longtemps. Il se repose surtout sur des réponses venues d’en haut : l’Etat. Les adhésions que trainent Jean-Luc Mélenchon, aux alentours de 15%, sont proches de ce qu’a toujours représenté le reliquat de la gauche révolutionnaire : communistes et extrême gauche. Ces tendances ont obtenu à peu près 14% sur les élections de 1995 et 2002, c’est cohérent.

Jean-Luc Mélenchon grapille peut-être 1 ou 2 points de plus du fait de l’aspect extraordinaire de sa campagne. Mais je ne crois pas que les électeurs croient en Jean-Luc Mélenchon. Ils cherchent dans ce personnage un tonus supplémentaire à apporter à la politique de François Hollande. A l’ère du numérique, Jean-Luc Mélenchon parvient à raviver le souvenir de Georges Marchais en défendant l’idée d’un passé qui était meilleur. Il joue sur la nostalgie importante au sein de la gauche française. Mais il ne s’agit pas, à mon sens d’un vote d’adhésion à ses propositions politiques.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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