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Hier Kelkal et Merah, aujourd’hui les frères Kouachi et Coulibaly : des itinéraires de terroristes qui se suivent et se ressemblent
©Reuters

Héritage

Après quarante-huit heures de traque les trois terroristes ont été abattus. Pourtant, selon Al-Qaïda au Yémen, la menace persiste sur la France. L’enquête se poursuit avec, parmi les objectifs, la volonté d’en savoir davantage sur la logistique financière et sur d’éventuelles complicités au Moyen-Orient.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Ces trois jours qui ébranlèrent la France : 17 personnes sont mortes, victimes d’assassinats dans les locaux de Charlie Hebdo, à Montrouge, et dans l’épicerie casher du Cours de Vincennes
  • Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, abattus par les forces de l’ordre vendredi sont bien les héritiers des Kelkal et autres Mohamed Merah
  • La France, selon Al-Qaïda au Yémen demeure toujours la cible des terroristes
  • La justice et la police poursuivent l’enquête pour en connaître un peu plus sur la logistique financière dont ont pu bénéficier les trois terroristes
  • Grâce à leur professionnalisme et courage, gendarmes et policiers ont redonné du baume au cœur à la nation, largement épaulés par nos services de renseignement.


Ainsi donc, après quarante-huit heures d’attente, les policiers et gendarmes ont neutralisé –définitivement – les trois tueurs de Charlie Hebdo, les frères Saïd et Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, tueur d’une jeune policière municipale et d’un employé de voirie de Montrouge, puis de quatre personnes de l’épicerie Hyper-Cacher du cours de Vincennes. La France, pour l’heure, est soulagée. Encore que l’enquête se poursuit puisque ce samedi 10 janvier, six personnes se trouvaient encore à garde à vue et que la compagne de Coulibaly, Hayat Boumedienne était recherchée. Demeurent néanmoins des questions, comme l’a indiqué, hier soir dans sa conférence de presse, remarquable de précision, le procureur de Paris, François Molins :  comment ont été financés les préparatifs de l’équipée meurtrière des frères Kaouchi ? De quelle aide logistique auraient-ils pu bénéficier ? Qui leur a fourni les armes en pagaille, kalachnikov, fusil à pompes et autres explosifs ? Autres interrogations : ce trio assassin était-il surveillé ? Si oui, pourquoi, le cas échéant, ne les a-t-on pas arrêtés ?

Une certitude : ces trois jours de janvier 2015 resteront parmi les plus dramatiques que le pays ait connus depuis la Libération. Le terrorisme frappe à nouveau à nos portes. Un communiqué diffusé vendredi par Al-Qaïda au Yémen ne laisse aucun doute : notre pays sera à nouveau la cible d’actions terroristes. Même si le terrorisme a changé de nature.

Dans les attentats de 1986 (attentat de la rue de Rennes qui fit neuf morts) et de 1995 (bombe posée à la station RER de Saint-Michel en juillet), c’était une bombe qui tuait. Leurs poseurs ne savaient pas combien de victimes seraient recensées. Aujourd’hui, ce sont des hommes qui assassinent. Ils choisissent leur cible : le 7 janvier, les dessinateurs de Charlie-Hebdo, et deux policiers, puis le 8 à une jeune policière municipale et le 9, des clients qui faisaient leurs courses dans une supérette cacher du cours de Vincennes dans le vingtième arrondissement

L’équipée sauvage, meurtrière, a donc duré plus de 48 heures. 48 heures de cauchemar pour le pays. Pour autant, la police, la gendarmerie restent en alerte : il n’est pas exclu que d’autres Kouachi ou Coulibaly se cachent, prêts à reprendre le flambeau de ces héros diaboliques. Tous présentent des points communs : hormis Coulibaly, ils sont franco-algériens et connu de la justice. C’est le cas de Djamel Beghal, 50 ans aujourd’hui, qui sera interpellé lors des attentats de 1995 avant d’être relâché puis de partir pour l’Afghanistan et la Tchétchénie pour y récolter des fonds. Il sera condamné, le 15 mai 2005, à 10 ans de prison pour avoir créé une association de malfaiteurs terroristes. Il a été libéré en 2009.

Khaled Kelkal, au départ lycéen travailleur, d’un bon niveau, sombre rapidement dans la délinquance. Sa spécialité : les casses en voiture bélier. Avec une conséquence inévitable : la prison, où il reste détenu du 27 juillet 1990 au 27 juillet 1992. C’est là qu’il fait la connaissance de religieux islamistes et se radicalise. Désormais, les études ne sont plus qu’un lointain souvenir. A sa sortie, en libération conditionnelle, il suit une formation dans l’industrie chimique. Il a 22 ans. Il part pour l’Algérie et y vend des armes. Il se radicalise de plus en plus et se retrouve impliqué dans l’assassinat le 11 juillet 1995 de l’imam Sarhraoui dans sa mosquée de Paris. La dérive commence. Elle ne s’arrêtera plus : le 25 juillet, son nom est cité dans l’attentat de la station du RER B de Saint-Michel. Il poursuit ses folles activités en déposant le 7 septembre 1995, une bombe sous une voiture garée juste à côté d’une école juive de Villeurbanne. Bilan : 14 blessés. Autant d’exploits qui en font l’ennemi public numéro 1. Recherché par les Renseignements généraux, la PJ et la DST, Kelkal est finalement abattu le 29 septembre 1995 dans le Rhône…

Pendant de longues années, la France semble à l’abri du terrorisme, quand en mars 2012, elle apprend qu’un individu a tué froidement trois militaires à Montauban puis quatre personnes dont trois enfants élèves d’une école juive. Il s’appelle Mohammed Merah français, d’origine algérienne. Comme Kelkal, il éprouve une haine des juifs. Comme ce dernier, il n’a pas connu une scolarité rectiligne, ballotté qu’il sera de foyer en foyer. Dès l’âge de 14 ans, il passe devant le tribunal pour enfants. Là, pour violence sur des éducateurs, ici pour avoir lancé des pierres contre un autobus. Jusqu’à sa majorité, Merah reviendra à quatorze reprises devant cette juridiction. Majeur, ce sera bis repetita, mais devant un tribunal classique. Pour des vols de voitures. Et c’est la découverte de la prison dès l’an 2000. Le jeune homme se met à lire le Coran. Sa famille, lorsqu’elle lui rend visite, selon un article du Journal du Dimanche, lui apporte un tapis de prière et une djellabah. A sa sortie de prison, s’il est embauché
comme carrossier, il continue à faire parler de lui, toujours pour des actes de violences. Il vole des voitures. Il se radicalise de plus en plus. Il voyage beaucoup : à Damas, au Liban en Turquie, à Kaboul, en Afghanistan. Et en Jordanie. Il fait même une halte en Israël.

Petit à petit, Merah n’est plus un inconnu pour les services de renseignement. Loin de là. A preuve, la direction régionale du renseignement intérieur (DCRI) de Toulouse demande à Paris de « judiciariser la situation de Mohammed Merah en raison de son potentiel de dangerosité. » Elle ne reçoit aucune réponse. Mais dans la région, les fonctionnaires de la DCRI suivent toujours à la trace le franco-algérien. Ils apprennent qu’il s’est rendu en Afghanistan et en Bosnie et qu’il s’est marié religieusement. Jusqu’à ce que le 12 mars 2012, où un homme, à bord d’un scooter, abat 3 militaires à Montauban et récidive le 22 mars, en assassinant 4 personnes dont trois enfants à l’école juive Otzar Hatorah située dans la banlieue chic de Toulouse. Le nom de l’assassin : Mohammed Merah. Pendant 32 heures, il se retranche dans son appartement de Toulouse avant d’être abattu par les policiers du RAID. Une immense émotion s’empare du pays, à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Les Français ont l’impression revivre les attentats de 1995. Mais surtout, ce qui inquiète c’est que bon nombre de Français, plus d’un millier, soit d’origine musulmane, soit convertis à l’Islam, partent en Syrie ou en Irak. Souvent des petits délinquants de banlieue.

Après Merah, le phénomène prend de l’ampleur. Le gouvernement Valls fait voter une loi en décembre 2014 renforçant l’arsenal antiterroriste visant à surveiller de très près ces apprentis terroristes, de peur qu’ils ne commettent des attentats en France après s’être entrainés dans des camps en Syrie, voire au Yémen. Des filières sont démantelées. Des procédures -une centaine- sont diligentées à la section anti-terroriste du Tribunal de Paris.

Pourtant l’inquiétude, s’accroît du côté du gouvernement. En cette année 2015, on évoque des possibles attentats en France. La Belgique est touchée avec la tuerie au musée juif de Bruxelles. Le 7 janvier 2015, la tragédie : douze morts lors de la fusillade à Charlie Hebdo. Deux hommes, déterminés, habillés de noir, cagoulés, armés de kalachnikov et de fusils à pompe ont commis cet abominable forfait. Des professionnels remarquablement entraînés au maniement des armes. Très vite, ils sont identifiés à cause de la carte d’identité laissée sur la banquette de leur C3 Citroën qui les a emmenés rue Appert dans le XIème arrondissement, là où se trouvent les locaux de Charlie Hebdo : ce sont deux frères, Saïd et Chérif Kouachi âgés respectivement de 34 et 32 ans. Tous deux Français d’origine algérienne. Connus pour avoir goûté à la petite délinquance, encore que Saïd n’ait jamais fait l’objet d’une condamnation.

A l’inverse, Chérif lui, affiche un pédigrée qui ne laisse pas indifférent. Dès le début de leur équipée sauvage, c’est surtout lui qui retient l’attention des enquêteurs. Ancien éducateur sportif, il fréquente très tôt la mosquée Adda’Wa de la rue de Tanger dans le XIXème arrondissement. C’est là, qu’avec quelques amis, il rencontre Farid Benyettou. De cette relation, nait la bande des Buttes-Chaumont, prête à partir faire le djihad. Chérif fait partie du nombre, avec un de ses copains, franco-tunisien lui aussi radical, Thaler Bouchnak. Le jour J arrive le 25 janvier 2005 à 6 heures 45. Le duo doit embarquer pour l’Irak via Damas.

Finalement, « mort de trouille », comme le confie à Libération l’ancien avocat de Chérif, Me Vincent Ollivier, il renonce. La justice ne les lâche pas puisque les deux hommes mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste sont placés en détention provisoire. Devant le tribunal correctionnel, le Parquet réclame trois ans de prison ferme. Chérif écope de dix-huit mois de prison avec sursis, ce qui lui permet de recouvrer la liberté.

En détention, selon un scénario classique, Chérif s’endurci grâce à sa rencontre avec Boubakeur El Akim, qui a fréquenté les camps irakiens. Pour avoir été le recruteur en chef de ces jeunes Français, El Akim se voit condamné en 2008 à sept ans de prison. IL purge sa peine jusqu’en 2011 date à laquelle, il obtient une libération conditionnelle. Libre de tout mouvement, El Akim part pour la Tunisie où il fait partie d’un groupe qui abat en 2013, Mohamed Brami, député d’opposition de gauche et Chokri Belaïd, autre opposant laïc. El Akim est aujourd’hui, l’homme le plus « recherché de Tunisie ». Il semble d’après les spécialistes que ce dernier n’ai jamais perdu de vue Cherif Kouachi. Lequel se voit à nouveau alpagué par avoir participé à un projet d’évasion de Samin Aït Ali Belkacem, celui-là même qui aurait participé à la fabrication des bombes prévues pour les attentats sanglants de 1995.

Profils inquiétants que ceux des frères Kouachi, comme l’était celui de leur ami Amedy Coulibaly qui se sont concertés lors de ces funestes quarante-huit heures et qui ont vraisemblablement mis au point de concert leurs projets respectifs d’assassinat. Témoin, les 500 coups de téléphone passés, selon le procureur Molins, entre l’épouse de Chérif Kouachi et la compagne de Coulibaly. Ce dernier, d’origine malienne né en 1988, seul garçon parmi neuf sœurs, surnommé « Doly » ou « le petit noir de Grigny » (Essonne) a une scolarité chaotique comme son copain Chérif.

Très tôt, il sombre dans la délinquance puisqu’à 16 ans, la Cour d’assises du Loiret le condamne à six ans de prison braquage. A sa sortie, il semble se ranger des voitures puisqu’il est embauché chez Coca-Cola. Survient en 2009 un signe encourageant, lorsque selon Le Parisien, le président de la République Nicolas Sarkozy le reçoit parmi un groupe de jeunes désireux de mener à bien un projet professionnel. Fausse impression : en mai 2010, il est arrêté pour avoir – comme Cherif Kouachi- participé à un projet d’évasion de prison du fameux Smaïn Aït Ali Belkacem. Mais lui, la justice ne le rate pas : il écope de 5 ans de prison en mai 2013. Le 15 mai 2014, après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, il recouvre la liberté. Et avec elle, une autre liberté : celle de prouver qu’il est un parfait djihadiste. Ce qu’il fait le 8 janvier 2015, le lendemain de la tuerie de Charlie-Hebdo où à la suite d’un banal accrochage avec sa voiture à Montrouge, il assassine froidement une policière municipale âgée de 27 ans et abat tout aussi froidement un agent de voirie. Tandis que Coulibaly prend la fuite, le Parquet de Paris ouvre une enquête pour des faits de terrorisme et met un nom sur l’assassin. Pendant 24 heures, nulle trace de lui. Jusqu’à ce que vendredi matin, une terrible nouvelle tombe : une prise d’otage vient d’avoir lieu dans l’épicerie Hyper Cacher du cours de Vincennes. Cette fois, Coulibaly est formellement identifié. Le frère du patron de l’épicerie révèle avoir vu Coulibaly repérer les lieux quelques jours plus tôt.

Au même moment, les frères Kouachi sont retranchés dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) située sur la zone artisanale de cette commune de 8 000 habitants. La tension est à son comble. Les chaines infos rivalisent pour être en permanence dans le coup. Les images, les commentaires se succèdent les uns autres. Les forces de police, RAID, GIGN, BRI, les forces d’élites préparent minutieusement leur plan avant de lancer l’assaut ici, dans l’épicerie casher, là dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële. Les policiers du GIGN tentent d’entrer en contact avec les frères Kouachi. En vain. Ils ne répondent pas. Vendredi 9 janvier après concertation au plus haut niveau de l’Etat, l’assaut est décidé. Au même moment, vers 17 heures, il est lancé dans les deux lieux. A Dammartin, les frères Kouachi tirent en direction des gendarmes du GIGN. Ils sont abattus. A l’épicerie, même scénario : Coulibaly, les armes à la main tombe. Quelques minutes plus tard, il est emmené dans une couverture. Quatre personnes sont retrouvées sans vie dans la supérette, assassinées par Coulibaly bien avant l’assaut. Au cours de l’attaque, deux policiers du RAID seront blessés. Les passants présents non loin de l’épicerie applaudissent ce dénouement. Avec lui, les héros de ces trois jours : les forces de l’ordre. Qui ont déjà perdu deux des leurs le 7 janvier 2015.

La fièvre retombée –pour combien de temps ?- des questions se posent. Comment par exemple, un Coulibaly a-t-il pu être libéré sans effectuer la totalité de sa peine ? Réponse simple : la législation permet d’octroyer 3 mois de remise de peine par année de détention. De plus, au bout de deux ans de prison, on peut bénéficier d’une libération conditionnelle. Faites le calcul, on arrive le plus légalement du monde à des peines nettement diminuées.

Depuis le 1er janvier 2015, conséquence de la loi Taubira, un individu condamné pour un délit peut bénéficier d’une libération à condition d’avoir effectué les deux tiers de sa peine. Cela, sans avoir présenté un projet de réinsertion professionnelle, ce qui était obligatoire avant le 1er janvier. Comme le dit avec humour un haut magistrat, « on fait tout pour ne pas faire entrer un individu en prison et on fait tout pour l’en sortir au plus vite ! »

Ultime interrogation : ce trio infernal qui a fait trembler la France était-il sous surveillance ? La question bien légitime a été posée, vendredi 9 janvier au journal de 20 heures par Laurent Delahousse au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, présent sur le plateau. Force est de reconnaitre que ce dernier n’a pas répondu préférant insister sur les filières djihadistes démantelées ces dernières semaines. Ce qui est vrai et montre que le gouvernement prend à bras le corps la question du terrorisme. IL est vrai aussi que quand une personne n’a jamais été condamnée, aucune raison ne se justifie pour le placer sous surveillance par nos services de renseignement. Ce qui était le cas de Saïd Kouachi. Encore que pour ce dernier, fiché, selon Le Monde, comme son frère Chérif aux Etats-Unis, sur la fameuse « No Fly List » qui interdit à toute personne qui y figure de partir ou d’entrer via un aéroport aux Etats-Unis, la question ne semble pas ridicule… Mais comme le dit la secrétaire générale du Syndicat des commissaires de police, Céline Berthon, « il faut 25 à30 policiers si l’on veut surveiller H-24 une seule personne »…

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