Hervé Juvin : « Marine Le Pen ne veut pas arrêter l’Union européenne, elle veut que l’Union arrête avec le toujours plus » <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen lors d'une conférence de presse sur la présidence française de l'Union européenne, à Paris, le 18 janvier 2022.
Marine Le Pen lors d'une conférence de presse sur la présidence française de l'Union européenne, à Paris, le 18 janvier 2022.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Vision de l'Europe

Marine Le Pen a critiqué le bilan d’Emmanuel Macron sur l'Europe un jour avant le discours du chef de l’Etat devant les eurodéputés à Strasbourg. Alors que la France a pris la tête, pour six mois, de l’Union européenne, Marine Le Pen a voulu souligner sa vision de l’Europe. Hervé Juvin, député européen (RN), revient sur les annonces de Marine Le Pen.

Hervé Juvin

Hervé Juvin

Hervé Juvin, économiste, essayiste, député européen (RN) et Conseiller régional des Pays de la Loire, a notamment publié L'Occident mondialisé. Controverse sur la culture planétaire (avec Gilles Lipovetsky, Grasset, 2010), La Grande Séparation. Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013) et Le gouvernement du désir (Gallimard, 2016).

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Atlantico : Marine Le Pen s’est exprimée ce mardi 18 janvier, à la veille du discours d’Emmanuel Macron à Strasbourg. Pourquoi était-ce important pour la candidate de votre mouvement de prendre la parole sur le sujet européen ?

Hervé Juvin : La présidence française de l’Union européenne a commencé au 1er janvier. Il est légitime pour Marine Le Pen, qui se prépare à assumer la fonction présidentielle, à partir d’avril prochain, de faire connaître sa vision de l’Europe. D’autant plus légitime que le candidat président veut utiliser la présidence de l’Europe pour sa campagne. Il aurait d’ailleurs été plus correct de dissocier les deux en retardant la PFUE. Emmanuel Macron cherche à montrer qu’il est au-dessus de la mêlée et le seul en capacité de délivrer un message international et de penser la refondation de l’Europe que pourtant à peu près tout le monde appelle de ses vœux. Dans ce contexte, il était légitime que Marine Le Pen fasse entendre et sa vision de l’Europe et ses convictions ainsi que sa différence par rapport à ce que devrait être le discours d’Emmanuel Macron ce mercredi.

Marine Le Pen a qualifié son projet « d’antithèse » de celui d’Emmanuel Macron…

Par rapport aux discours d’autres candidats en d’autres temps, plusieurs choses ont évolué de manière importante. La première, elle l’a dit, c’est qu’en ayant constaté la manière dont évoluait la politique de la BCE et dont été gérée l’euro, elle n’a plus évoqué la sortie de la France de l’Euro. C’est un changement important. Le deuxième changement important est qu’il n’y a pas de remise en cause de l’Union européenne en tant que telle. On pourrait établir en creux des propos de Marine Le Pen qu’il y a des choses qui marchent d’autres qui pourraient mieux marcher et doivent être réorientées. On est toutefois très loin du bilan : « tout est à refaire, tout est à jeter » qui a pu être dressé dans les années précédentes. C’est un discours de femme d’État, de femme de gouvernement, un discours responsable qui prend en compte l’existant. C’est un discours très pragmatique, réaliste.

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Marine Le Pen a eu des mots assez forts à l’égard de l’UE. Pour le RN et pour elle, quelles sont les choses qui fonctionnent dans l’UE ?

Très majoritairement, les épargnants, les dirigeants d’entreprises et les salariés français font confiance à l’euro. Ils le considèrent comme un élément de stabilité, une garantie d’épargne, de pouvoir d’achat pour les retraités. Si on regarde l’évolution de l’Europe, on peut souhaiter que les choses aillent mieux mais par rapport à d’autres régions nous vivons dans une forme de stabilité, de paix. Il y a une satisfaction des européens à traverser les frontières, une satisfaction des étudiants à connaitre Erasmus – nous voulons d’ailleurs l’étendre aux apprentis -.  Ces aspects fonctionnent bien.  Il faut certainement améliorer le déroulement démocratique du fonctionnement de l’UE. Aujourd’hui, deux-tiers des lois que nous votons sont issues de l’UE, certaines sont à corriger mais globalement ça ne se passe pas si mal. La réalité du marché intérieur, qu’il faut retrouver, ne fonctionne pas si mal. La réalité du marché intérieur fonctionnerait encore mieux s’il était protégé aux frontières extérieures. L’Europe il faut l’améliorer, il y a des points majeurs sur lesquels il faut la réformer, mais ça fonctionne. C’est en creux dans le discours de Marine [Le Pen NDLR]. Il ne s’agit plus de tout jeter mais d’améliorer des points précis. C’est une inflexion majeure : l’Union européenne n’est plus le diable.

Vous évoquez le fonctionnement du marché intérieur. Pour autant Marine Le Pen veut une rupture avec la politique de libre-échange. N’est-ce pas paradoxal ?

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Le monopole des ouvertures de négociations en matière de libre-échange appartient à la commission. Les élus au suffrage universel ont très peu voix au chapitre sur les accords de libre-échange. Par ailleurs, nos amis Américains ont tourné la page du libre-échange fondé sur le prix le plus bas. L’administration Biden dans la continuité de celle de Trump estime que le prix le plus bas ne peut pas être le seul critère (contrairement à ce que disait l’OMC) : il y a des critères de sécurité nationale, d’autonomie stratégique pour la production de bien qui nous sont nécessaires (les principes actifs de médicaments par exemple). L’Union européenne a donc toutes les raisons de ne plus être naïve dans ces accords et d’y mettre de la conditionnalité. C’était, je pense, le sens des propos de Marine Le Pen. Partout dans le monde, il y a une reprise en main des marchés par le politique.

Marine Le Pen a critiqué la diplomatie européenne, l’Europe de la Défense qui n’existait « que dans l’esprit d’Emmanuel Macron », le « fiasco » des vaccins et la casse de l’hôpital. Des critiques très lourdes vis-à-vis de l’UE…

L’ensemble de ses critiques je les résumerais ainsi : il faut que l’Union européenne arrête avec le toujours plus. Depuis Jean Monnet, on a pour leitmotiv toujours plus d’union entre les nations. Sur beaucoup de plans, c’est une bonne chose d’avoir plus d’intégration. En revanche, quand on touche aux traditions et aux mœurs, à l’identité constitutionnelle des nations, à la défense, cela va trop loin. Ce qu’à dit Marine Le Pen, c’est qu’en ce moment, l’Union diminue la France. La France seule serait sans doute plus présente en Ukraine, au Liban, en Afrique. On voit bien avec Takuba que la force européenne est plutôt un boulet qu’une aide. D’ailleurs la Suède s’en est retirée. C’est valable dans beaucoup de domaines de la diplomatie : c’est plus lent, plus cher et on n’arrive à rien.

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Que serait donc concrètement l’Union européenne dont Marine Le Pen aurait envie et qu’elle défendrait s’il elle était élue ?

Plusieurs aspects me paraissent clairs. D’abord, arrêter avec le toujours plus d’Union et que cette dernière fasse bien ce qui lui a été expressément dévolue par les traités. Il faut qu’elle fasse bien fonctionner le marché intérieur, qu’elle fasse progresser le niveau de vie des européens (on voit bien avec la crise de l’énergie que ce n’est pas le cas). L’Union européenne doit travailler à renforcer les nations alors qu’à bien des égards elle est actuellement plutôt en train d’affaiblir les nations qui la composent. C’est dangereux. L’Union européenne ne peut pas accepter que tout soit dévolu au marché. Je pense que l’UE doit défendre les biens communs européens sur la sécurité, la santé ou l’éducation. Enfin, et Marine Le Pen l’a développé très largement, l’Europe c’est d’abord une unité de civilisation qui a donné naissance à des cultures nationales ou régionales fortes. Il faut promouvoir cette unité de civilisation européenne : la loi juive, l’ordre romain, l’esprit grec innervés par le christianisme. Nous en sommes sortis et nous avons changé par bien des aspects mais ce sont nos racines et elles nous rendent différentes des autres civilisations. L’UE fait l’inverse de ce qu’on fait les pays de l’Est. Ces derniers ont résisté au totalitarisme soviétique grâce à leur culture et leur religion. L’Union européenne est en train de faire l’inverse. Milan Kundera l’explique très bien.

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Votre action européenne doit passer par des alliés européens, ce qui a pu vous faire défaut par le passé, au sein d’une « alliance européenne des nations ». Quelle serait concrètement la stratégie ?

Concrètement, pour faire changer l’Europe, il faut peser au parlement. Identité et démocratie pèse déjà mais si nous arrivions à nous réunir avec d’autres partis avec lesquels nous partageons l’essentiel des convictions, nous serions plus forts, nous pèserions plus. Les Polonais, les Hongrois mais aussi des forces qui montent en Espagne, au Portugal, ainsi que les échanges que l’on peut avoir avec les Slovaques, les Tchèques, tout cela compte dans le projet européen. C ‘est pourquoi dans un avenir proche, nous pensons être en mesure de peser bien davantage dans les institutions européennes. 

Un préalable important, et nous l’avons peut-être trop brièvement évoqué lors de la conférence de presse, c’est que toute légitimité vient du suffrage universel. Depuis la trahison du suffrage universel en 2008 par le traité de Lisbonne, l’UE est en apesanteur. Il n’y a plus de référendum car ils savent que si c’était le cas, sur n’importe quel sujet, il y aurait un non. Nous voulons une Europe plus démocratique, c’est-à-dire qui consulte plus au suffrage universel.

Cela pourrait-il être des idées audibles si vous n’êtes pas majoritaires au parlement ?

Je suis le président de la Fondation Identité et Démocratie, notre groupe parlementaire. J’ai pu réunir, au moment le plus dur du Covid, un certain nombre de députés européens de différents groupes, représentant 15 nationalités. Ensemble, nous avons publié un manifeste sur l’avenir de l’Europe au moment où Emmanuel Macron et d’autres prétendaient monopoliser l’attention avec la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui a d’ailleurs été un échec lamentable. Nous allons publier un manifeste dans les jours à venir. Nous y prônons des choses assez fortes et pourtant je pense que nous pouvons nous réunir sur nos idées à défaut d’une majorité, une très forte minorité qui va bien au-delà de notre groupe. Il est donc possible de se réunir sur un projet commun.

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La refondation que Marine Le Pen souhaite est-elle possible avec le système bureaucratique actuel de Bruxelles ?

Je crois assez fondamentalement à la bonne volonté des gens. Si nous donnons corps et force à un projet attractif et qui suscite de l’espoir, qui ne soit pas un projet d’exclusion, je pense qu’on attirera beaucoup de bonne volonté. Vous faites allusions aux bureaucrates, je ne pense pas que le vrai problème soit là.  Le vrai problème et nous publions un rapport à ce sujet le 26 janvier, ce sont les influences extérieures extrêmement fortes qui pèsent dans toutes les institutions. On parle beaucoup des ingérences Russes, Chinoises, évidemment. Les États-Unis nous poussent à intégrer l’Albanie, la Macédoine du nord qui pourtant opprime sa minorité bulgare, etc. Un autre exemple, le Green Deal a été largement dicté par les ONG, or on sait que c’est une machine à tuer les PME. La taxonomie est un enfer administratif.

Marine Le Pen a évoqué cette influence des multinationales juste après avoir évoqué le fait que l’UE soit trop tournée vers les intérêts de l’Allemagne…

Quand nous avons fait l’Euro, nous nous sommes peu rendus compte que cela allait conduire chaque pays à se spécialiser dans ses avantages compétitifs. L’Allemagne allait devenir encore plus exportatrice et la France davantage se concentrer sur son marché de consommateurs intérieurs. Je ne remets pas du tout en cause l’euro, mais nous n’avons jamais vu dans l’histoire économique un pays, ici l’Allemagne, qui a un excédent commercial à 6 ou 7 % de manière durable et des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la France qui ont toujours plus de déficit.

Votre « Alliance européenne des nations » va-t-elle plus loin qu’un simple groupe parlementaire élargi au parlement ?

Cela va très au-delà, car c’est une réflexion sur la forme politique de la modernité des États nations. Je reprendrais les propos de Jacques Delors, l’Union européenne est un objet politique non identifié. Ceux qui disent fédération gagnent plus d’ennemis que de supporters. La seule forme politique qui fonctionne et assure la démocratie, c’est l’État nation. Si la question est comment l’UE peut être le moyen de puissance et de souveraineté de nations aussi diverses, je ne dis pas que la réponse est simple. Il faudrait que l’Union retrouve le principe de subsidiarité. Que tout ce qui puisse être fait au niveau local ou national le soit. On pourrait s'inspirer du traité de Westphalie qui a marché pendant longtemps.

Si Marine Le Pen devient présidente de la République, elle devra encore passer un moment assez long avant les élections européennes. Quelle marge de manœuvre peut-elle espérer avoir d’ici qu’il y ait un changement européen potentiellement en sa faveur ?

Marine Le Pen, présidente de la République, continuera à exercer la présidence de l’UE. C’est l’occasion pour elle de faire valoir un projet pour l’Europe et une vision de l’Europe qui soit entraînante et qui marque une forte différence avec la situation actuelle. C’est aussi l’occasion d’engager de nouveaux chantiers : celui des frontières extérieures, de la mise en pause de certains traités de libre-échange. Vous allez me dire, avec quels moyens ? J’évoquais tout à l’heure la politique de la chaise vide de De Gaulle, la France dans l’Europe, ce n’est pas rien. Si la France dit qu’il faut engager des chantiers et que si ce n’est pas le cas, elle appliquera la politique de la chaise vide, les choses bougeront. La France n’est pas le toutou de l’Allemagne, position dans laquelle Emmanuel Macron l’a placée. Nous aurons des soutiens qui pour l’instant refusent de s’afficher. Et si la France dit qu'il faut bouger, l’Union européenne bougera.

Propos recueillis par Guilhem Dedoyard

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