Henri Guaino : "Le FN n'est pas un parti fasciste mais sa conception du pouvoir peut le mener très loin dans l'extrémisme"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Henri Guaino.
Henri Guaino.
©Reuters

Monstrueusement inhumain ?

Dans une tribune publiée dans le Monde, Henri Guaino qualifie le FN de parti "monstrueusement inhumain". Le député des Yvelines et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s'explique.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

Voir la bio »

Atlantico : Dans votre tribune publiée dans le Monde (voir ici) intitulée " le FN populiste et poujadiste", vous récusez les accusations de "fascisme" et de "racisme" ou "d'extrême droite" qui visent parfois le FN.  La diabolisation du Front national est-elle inefficace, voire contre-productive ? En quoi ?

Henri Guaino : Les mots ont un sens. Le sens de mots "fascisme", "nazisme" ou "racisme" ne permet pas de décrire correctement le Front national. D'ailleurs lorsque certains accusent Marine Le Pen d'être d'"extrême droite" et que celle-ci leur demande de définir ce qu'est l'extrême droite, ils ne sont généralement pas capables de répondre et de justifier l'utilisation de ces mots.

J'ai écrit cette tribune car j'en avais assez d'entendre des arguments qui ne font que renforcer la colère de ceux qui votent pour le Front national. On ne peut pas combattre le FN en se comportant comme le FN et en y ajoutant la caricature et l'insulte. Cela est ressenti par ceux qui votent pour ce parti comme une manière de délégitimer  leur colère qui est parfaitement légitime. Car le Front national est un parti qui est un très bon instrument de la colère populaire puisqu’il vit depuis toujours de la détestation des ennemis qu'il s'est choisi.

Pour qualifier le FN, vous préférez l'expression "monstrueusement inhumain". Qu'entendez-vous par cette expression ? En quoi le FN est-il "inhumain" ?

Le Front national est le parti de la colère. Or la colère est dévastatrice et ne réfléchit pas. Elle est toujours "contre" et n'a jamais d’états d'âme, de sentiments. Le FN a une conception du pouvoir inhumaine car elle ne prend jamais en compte la complexité morale et la fragilité humaine auxquelles le pouvoir est confronté. Le FN récuse totalement la dimension tragique du pouvoir, refuse que le pouvoir soit soumis au cas de conscience, il est porteur d’une idée du pouvoir qui se fait un orgueil d'avoir la main qui ne tremble jamais. Mais un pouvoir qui n'aurait jamais la main qui tremble serait un pouvoir extrêmement dangereux car il y a beaucoup de questions qui ne se tranchent pas d'un coup d'épée.  Si le pouvoir n'a jamais de doute, jamais d'hésitation, il peut être tenté  d’utiliser n'importe quel moyen pour atteindre ses fins puisque ses fins ne sont jamais mises en doute par sa conscience. 

J'ai fait un débat avec Marine Le Pen sur une chaîne d'info en continu qui m'a beaucoup fait réfléchir sur ce que je ressentais par rapport au FN. Avec Marine Le Pen, nous avons notamment parlé de la Libye. Quelque chose m'a frappé : le fait qu'au moment de prendre la décision d'intervenir le président de la République ait été confronté à un choix terrible –livrer ou non au massacre 1 million de personnes– ne l'intéresse pas. Cela n'a pour elle aucune importance. Lorsque vous êtes amené à prendre une telle décision vous pouvez parfaitement considérer que les conséquences de l'intervention seraient plus dramatiques encore que le choix de ne pas intervenir. Mais comment un être humain peut-il ne pas se sentir du tout concerné par le sort de ces 1 million de personnes qui est entre ses mains ? 

L'expression "monstrueusement inhumain" est aussi forte et peut apparaître aussi caricaturale que les accusations de "fascisme" ou de "racisme". Finalement ne tombez-vous pas vous-même dans ce travers de la diabolisation que vous dénoncez ?

Ceux qui emploient ces mots sont généralement incapables de justifier leur utilisation. Je m’efforce donc de justifier l'utilisation des mots "monstrueusement inhumain". La vision du pouvoir du FN exclut le moindre sentiment d'humanité. Encore une fois, une politique qui ne doute jamais, qui n'a pas d'états d'âme, est pour moi une politique "monstrueusement inhumaine" et potentiellement dangereuse qui effectivement peut nous mener vers des extrémismes comme on en a connu jadis. Le Front national n'est pas un parti fasciste, mais sa conception du pouvoir peut mener très loin dans l’extrémisme. C'est une conception terrifiante : nier la complexité morale à laquelle se trouve confrontée une conscience sur laquelle pèse la complexité du pouvoir est - je le redis - extrêmement dangereux. Dire qu'on est favorable à plus de fermeté en matière de lutte contre l'immigration illégale est légitime. Mais lorsque  le FN se prononce pour l’interdiction absolue de toute régularisation, cela  veut dire qu'il n'y a plus de place pour le cas de conscience, pour la compassion. De même, on peut être contre le regroupement familial tel qu'il a été pratiqué, mais comment peut-on interdire tout regroupement familial ? Cette position n'est pas humainement tenable. Ou encore, il est parfaitement légitime de vouloir supprimer l'AME (Aide Médicale d'Etat), mais alors il faut dire ce que l'on fait des malades. C'est ce qui explique le malaise que j'éprouve face à ce parti. Il n'a pas de doute car il n'a pas d'adversaires, mais des "ennemis". Face aux ennemis vous ne discutez pas, il n’y a pas de place pour la question morale, pas de place pour une zone grise entre le bien et le mal. Prenons l'exemple de la sortie de l'Euro que préconise le FN. J'ai combattu l'Euro et je considère toujours que la monnaie unique a été une catastrophe. Mais, comment  faire le choix d’une sortie à froid, sans bien peser le risque qu’elle ferait  courir à des millions de gens, et aux souffrances que pourrait engendrer une gigantesque crise monétaire dont l’éventualité ne peut pas être exclue ?

Comme vous, il arrive à Marine Le Pen de citer Jaurès. Aujourd'hui, ces électeurs ne sont-ils pas davantage séduit par son discours social qui peut passer pour de "l'humanité" plutôt que par son caractère "inhumain" ?

Je ne vois pas l'humanité dans son discours. On ne peut pas, comme le FN être sensible aux souffrances des Français et totalement indifférent à celle des autres. Il n’y a pas deux catégories d’êtres  humains. On ne peut avoir une conception de l'humanité à géométrie variable : un enfant qui souffre est un enfant qui souffre quelle que soit sa nationalité. Il est vrai qu’une fois qu'on a admis cela, il est plus difficile d'exercer le pouvoir et de répondre aux angoisses des gens. Mais si on répond aux angoisses et à la colère des gens sans admettre cette complexité, cette difficulté,  le risque est d'y répondre d'une manière monstrueuse.

Florian Philippot vous accuse "d'être vexé d'avoir perdu votre récent débat face à Marine Le Pen sur BFM et de vous ridiculiser par vos excès dans Le Monde" ... Que lui répondez-vous ?

Ce débat avec Marine Le Pen m'a beaucoup fait réfléchir sur ce que je ressentais par rapport au FN. La meilleure façon de structurer ma pensée était de mettre des mots dessus. C’est ce que j’ai fait dans cette tribune. Contrairement aux responsables du FN, je ne considère pas le débat politique comme un match de boxe où l'on compterait les points. Le débat doit être un échange, une discussion qui permettent à ceux qui le regardent de se faire une idée plus claire des principes et des choix de chacun. Alors c’est la démocratie qui gagne. Il n’y a pas d’échanges, pas de discussion avec eux, avec les responsables du FN, il ne peut jamais y en avoir. Ce fut le cas dans cette rencontre. Florian Philippot veut faire croire que le FN est le nouveau nom du gaullisme. Il ne supporte pas que l’on s’oppose à cette usurpation. Mais je ne vois pas ce qu'il y a de gaulliste à se nourrir de la division et de l’affrontement. L’idéal du gaullisme est le rassemblement alors que le ressort du Front, c'est la division. Mais la réponse  politique ne doit pas être de se contenter de faire la leçon au FN. Elle doit passer par la création d'un vrai mouvement gaulliste et humaniste capable d'incarner à nouveau cet idéal. Il est trop facile de se lamenter sur le fait que FN se soit emparé de la Nation et de la République. Il faut aussi regarder comment durant des décennies les gouvernements de gauche ou de droite ont laissé à l’abandon la Nation et la République. Il faut en finir avec cet abandon.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !