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Hausse de la rémunération des fonctionnaires : quand les nécessités du rachat de clientèle électorale font oublier ses principes à Manuel Valls
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Double discours

Sur le salaire des fonctionnaires, Manuel Valls a promis un "geste significatif". Les négociations avec la CGT, qui a d'ores et déjà déposé un préavis de grève pour les deux dernières semaine de mars, commenceront le 17 mars.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Monsieur le Premier ministre, vous venez d’annoncer un « geste significatif » pour la rémunération des fonctionnaires. Nous comprenons tous très bien les raisons de cette attention, mais vous ne pourrez nous empêcher d’y voir une différence de traitement qui relève d’un populisme électoraliste coupable.

Nous savons tous que vous chouchoutez les fonctionnaires parce que c’est parmi eux que se niche la plus grande partie de votre électorat. À peine arrivée au pouvoir, votre majorité s’est d’ailleurs empressée de les remercier en interrompant brutalement la réduction des effectifs entamée sous Nicolas Sarkozy. François Hollande a même annoncé, en 2012, la création de 60.000 emplois supplémentaires.

Dans un cadre budgétaire contraint par l’Europe dont vous voulez accélérer l’intégration économique, ces choix électoralistes condamnaient les fonctionnaires à subir un gel du point d’indice qui sert de base à leur rémunération. Ce gel n’est pas injuste, il est logique : la fonction publique, depuis 2012, a échappé aux gains de productivité, à l’ubérisation, à la révolution numérique, qui bouleverse le secteur privé. Elle a bénéficié d’une protection de ses emplois. La contrepartie naturelle, en ces temps de rigueur, de cette politique généreuse est simple à comprendre : la modération salariale s’impose. Et les fonctionnaires le savent : on ne peut gagner au tirage et au grattage.

Au demeurant, le gel du point ne signifie pas que les salaires des fonctionnaires n’ont pas augmenté. Conformément au statut de la fonction publique, les carrières continuent d’avancer automatiquement ou avec des promotions. Ce mécanisme garantit des progressions à tous, même quand le point est gelé. En outre, les mesures catégorielles et les astuces n’ont pas manqué pour contourner le gel officiel des salaires.

Le geste significatif que vous annoncez constitue un cadeau supplémentaire qui flatte votre électorat à l’approche d’une année critique, mais il est extrêmement choquant au regard de nos principes de cohésion sociale et d’intérêt général.

L’augmentation du nombre de fonctionnaires que votre majorité a décidée en 2012 a conduit à une augmentation considérable de la pression fiscale qui n’a pas baissé depuis. La part des dépenses publiques dans le PIB reste supérieure à 55%, un chiffre record qui se maintient malgré les mesures apparentes d’allègements de charges ou d’impôt que vous prenez. L’illusion du pacte de responsabilité n’y peut rien : le secteur privé continue à rogner ses marges et sa rémunération pour financer une fonction publique pantagruélique.

L’absence de croissance et le chômage de masse ne sont, au regard de ces chiffres, pas des surprises. Le financement des dépenses publiques obère l’activité productive du pays. Cela ne signifie pas que la dépense publique est mauvaise en elle-même. Dans le cas de la France, nous pouvons juste avoir l’honnêteté de dire tout haut ce que les Français subissent quotidiennement. Oui ! les pouvoirs publics ne mesurent même pas le temps de travail effectif de leurs fonctionnaires ! Oui, les fonctionnaires coûtent trop cher pour le piètre service qu’ils rendent et une augmentation de leur salaire ne peut se concevoir sans un gain massif de productivité.

Si vous n’imposez pas ces gains de productivité, vous respecterez sans doute les critères d’orthodoxie imposés par Bruxelles, mais vous maintiendrez sans raison cette épuisante transfusion de richesse qui consiste à appauvrir les salariés du secteur privé pour préserver le mode de vie hors sol de nos fonctionnaires. Vous retarderez d’autant le retour de la prospérité.


Et que dire de cette stratégie en termes de cohésion sociale ?

Nos éleveurs vous l’ont dit: la France, pas à pas, année après année, se paupérise. On peut, en France, et c’est une situation de plus en plus courante, travailler dur, et même très dur, sans subvenir à ses besoins. La colère qui s’exprime dans nos campagnes le dit suffisamment. Encore fait-elle abstraction de ces masses laborieuses qui vous ont tourné le dos à force de désespérer face au populisme imbécile que votre majorité utilise pour gouverner. Servir les fonctionnaires parce qu’ils votent bien et qu’ils constituent un important groupe de pression au sein du Parti Socialiste est une norme, une sorte de présupposé idéologique. En revanche, prendre en compte la misère ouvrière, y répondre, donner une réelle égalité des chances par l’école par des discours sérieux qui ne se réduisent pas à des postures doctrinales, cette politique-là de cohésion sociale, vous la laissez en friche.

Les petites gens de ce pays, au rang desquels les fonctionnaires ne figurent pas, ont pourtant besoin d’être entendus.

Parmi eux se rangent un nombre grandissant de petits artisans, de petits patrons, de petits indépendants, qui n’ont pas, comme les fonctionnaires, la faculté de voir leur rémunération augmenter par une décision politique ou par l’allocation des recettes fiscales. Ceux-là, année après année, prennent de plein fouet la souffrance, le stress, imposés par des réglementations délirantes que votre majorité ou votre gouvernement inventent et qu’aucun d’entre eux n’a le temps de comprendre. Leur seule récompense est d’être régulièrement accusés par vos soutiens d’être des voyous, des profiteurs, des arnaqueurs, des fraudeurs, qu’il faut surveiller, taxer et contrôler. La cerise sur leur gâteau s’appelle le RSI, qui, par ses pratiques abusives, infligent mille tourments à ceux qui pourtant recrutent, ou se battent pour recruter des chômeurs.

Vous ne pourrez donc dire, Monsieur le Premier ministre, que vous ignorez l’impact social de votre décision d’augmenter les fonctionnaires. Le pays se porterait bien, cette décision ne choquerait personne. Mais nous voyons tous avec une telle flagrance que les efforts de moins en moins supportables des uns sont allègrement absorbés par l’immobilisme des autres, avec le sentiment d’un mépris inadmissible.

Nous le mesurons lorsque, par une bizarrerie propre à ce pays en déclin, les leaders syndicaux de la fonction publique lancent des mots d’ordre de grève contre une réforme du code du travail qui ne les concernent pas. Les salariés du secteur privé qui devront poser, jeudi, un jour de congé pour garder leurs enfants parce que les écoles où vous avez créé 60.000 emplois seront en grève, s’en souviendront. Les efforts sont pour les uns, et les « gestes significatifs » pour les autres.

Un article originellement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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