Guerre en Ukraine : l’esprit de résistance des Ukrainiens face à l’offensive russe<!-- --> | Atlantico.fr
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« Carnet de bord de la résistance ukrainienne » de la rédaction du Kyiv Independent a été publié chez Nouveau monde éditions.
« Carnet de bord de la résistance ukrainienne » de la rédaction du Kyiv Independent a été publié chez Nouveau monde éditions.
©Sergei SUPINSKY / AFP

Bonnes feuilles

La rédaction du journal en ligne Kyiv Independent vient de publier « Carnet de bord de la résistance ukrainienne » chez Nouveau monde éditions. L’équipe du Kyiv Independent a décidé de continuer à exercer son métier sous les bombes : informer chaque jour, coûte que coûte. À l’image de la plupart des Ukrainiens, ces jeunes journalistes se sont organisés pour raconter au jour le jour une offensive visant à soumettre leur pays. Extrait 2/2.

Kyiv Independent

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Le journal en ligne Kyiv Independent est un organe de presse indépendant en Ukraine.

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Oleksiy Sorokin

Oleksiy Sorokin

Oleksiy Sorokin est rédacteur en chef et cofondateur du Kyiv Independent.

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«Je savais que les Ukrainiens résisteraient»

La résistance civile des Ukrainiens était attendue. Après trois révolutions, où le peuple s’est auto-organisé, d’abord contre le régime communiste, puis contre un décompte électoral frauduleux, et plus tard contre un président glissant vers l’autoritarisme, ils savent comment se battre. En 2014, lorsque la Russie a lancé son invasion, et que l’armée ukrainienne était démoralisée et incapable de faire face, ce sont les bataillons de volontaires paramilitaires qui ont défendu le pays, et les citoyens qui leur ont fourni du matériel, de la nourriture, des médicaments et un soutien moral.

Durant les mois qui ont précédé la guerre, un slogan s’est répandu dans tout le pays: «Les Ukrainiens résisteront.» Chacun savait que, quelle que soit la performance des forces armées, les citoyens, équipés de cocktails Molotov, se battraient. La plus grande erreur de la Russie a été de ne pas croire que le peuple se dresserait devant son armée. Les unités de défense territoriale en sont la parfaite illustration. Les gens étaient prêts à payer un dessous-de-table non pas pour éviter l’armée, mais pour rejoindre ces unités. Quelques jours après le début de la guerre, elles étaient bondées, au point que les officiers priaient les gens de ne plus venir dans les centres de conscription.

Je n’ai donc pas été surpris par cette résistance civile. J’étais même sûr à 100 % que la Russie avait perdu dès le moment où elle avait décidé d’intervenir, car elle allait devoir faire face à un pays de 40 millions d’habitants qui la détestent au plus haut point. Les forces armées ukrainiennes, cependant, ont été bien plus performantes que prévu. On nous avait dit qu’elles étaient bien entraînées, que, depuis huit ans, le pays se préparait à une éventuelle offensive russe. Toutefois, la corruption et l’absence de leadership militaire avaient fini par semer le doute sur leurs capacités. Je suis heureux d’avoir sous-estimé cette armée.

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* * *

Si vous parlez à mes amies (et collègues) Olga Rudenko et Anna Myroniuk, elles vous diront que je prends des risques en allant sur le terrain. Je ne suis pas d’accord. La fonction de rédacteur en chef m’aurait permis de travailler en toute sécurité, de ne pas quitter ma maison ou mon bureau, et de vivre dans un pays en guerre sans voir la guerre. Ce n’est pas ma façon d’envisager les choses. Pour faire un travail correct en tant que rédacteur en chef et directeur d’un organe d’information, j’ai besoin de voir ce que nos reporters voient sur les lignes de front, dans les villages détruits, ce qu’ils ressentent lorsqu’ils parlent aux gens qui ont tout perdu. J’ai besoin de voir la guerre pour pouvoir en rendre compte.

Le Kyiv Independent, cet organe de presse que plusieurs personnes, dont moi-même, ont construit à partir de rien sur le cadavre du Kyiv Post, contrôlé par les oligarques, est devenu la voix la plus influente d’Ukraine, notamment à l’étranger. Cela implique une responsabilité, celle de faire vivre un journalisme de qualité. Il faut aussi être dévoué vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, travailler dur. Faire une croix sur sa vie sociale, sur sa vie personnelle, et faire tout ce que l’on peut au service de ce média que nous avons créé.

J’ai beaucoup voyagé dans le pays depuis le 24 février. Si je devais ne citer qu’une histoire, ce serait celle de cet habitant du village de Shevchenkove, dans l’oblast de Mykolaïv, à plusieurs kilomètres à l’ouest de l’oblast de Kherson. Lorsque je lui ai demandé pourquoi lui et sa femme restaient dans ce village constamment bombardé, il m’a répondu que leur fils combattait à Marioupol. Leurs amis leur ont envoyé un lien vers une vidéo de la télévision russe où leur fils était montré comme un prisonnier de guerre. Ils ont décidé de l’attendre à la maison, afin qu’il puisse rentrer une fois libéré. Je me souviendrai aussi de ce reportage dans le village complètement détruit de Novoselivka, non loin de Tchernihiv. Une femme d’une quarantaine d’années, ancienne policière, me raconte que lorsque les Russes ont occupé le village où elle vivait, ils ont donné trente minutes à la population pour partir. Elle a brûlé tous les objets qui la reliaient à la police et ceux de son mari, qui sert actuellement dans les forces armées. Elle a habillé sa fille de 19 ans avec les vêtements de sa défunte mère et lui a mis de la boue sur le visage pour qu’elle ne soit pas violée. Avec ses trois enfants, elle a marché pendant près d’une journée jusqu’à Novoselivka et a frappé à toutes les portes pour que les gens la laissent entrer. Elle est restée trois semaines chez ceux qui leur ont ouvert la leur.

Je resterai aussi profondément marqué, même si je n’ai pas été témoin direct des faits, par l’histoire de cette mère. Les Russes l’ont violée, ainsi que sa fille cadette de 15ans, pendant plusieurs jours, avant de les abattre. Ils n’ont pas touché à l’aînée, lui expliquant qu’elle était «trop moche» pour être violée. Elle a assisté aux viols répétés de sa mère et de sa sœur avant d’être abandonnée avec leurs cadavres pendant des jours dans une maison vide…

* * *

L’Ukraine va évidemment gagner. C’est un combat entre l’avenir et le passé, entre l’impérialisme soviétique mort depuis longtemps et la liberté, la démocratie et la dignité des gens qui se respectent et respectent l’endroit où ils vivent.

La Russie peut occuper des terres, ériger des statues de Lénine et arborer des drapeaux soviétiques, mais elle n’a rien à offrir. La Russie est un cadavre ambulant qui ne peut que disparaître après la mort de ses dirigeants gérontocratiques, et celle de plus de 25 000 Russes dont la seule tâche en Ukraine était de piller, tuer et violer.

Cependant, bien que la victoire de l’Ukraine soit évidente à long terme, on ignore combien de personnes perdront la vie à cause d’un fou. On ne sait pas combien de temps la guerre va durer et combien de temps les territoires ukrainiens seront occupés. Je m’attends au pire, mais je le sais: l’Ukraine ne peut que gagner cette guerre et son âme comme sa volonté survivront à tout ce que la Russie tentera d’imposer.

Oleksiy Sorokin, rédacteur en chef et cofondateur du Kyiv Independent

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Extrait du livre « Carnet de bord de la résistance ukrainienne » de la rédaction du Kyiv Independent, publié chez Nouveau monde éditions.

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