Guerre commerciale : les Etats-Unis se croyaient trop puissants pour être confrontés à des mesures de rétorsion douanières. Ils ont dû déchanter<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'ancien président américain Herbert Hoover et l'ambassadeur américain en France Jefferson Caffery arrivent, en mars 1946, à l'Elysée.
L'ancien président américain Herbert Hoover et l'ambassadeur américain en France Jefferson Caffery arrivent, en mars 1946, à l'Elysée.
©AFP

Leçons de la Grande dépression

Des économistes ont étudié l'impact de la loi Hawley-Smoot promulguée aux Etats-Unis en 1930. Les barrières douanières ont eu des effets néfastes pour l'économie américaine.

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

Voir la bio »

Atlantico : Trois économistes se sont penchés sur l’impact sur les Etats-Unis de la loi protectionniste Smoot-Hawley, promulguée en 1930 dans le pays après la Grande dépression. Les chercheurs pointent les nombreux effets néfastes des barrières douanières instaurées qui ont provoqué des mesures de rétorsion ayant durement frappé le marché américain. Comment en sont-ils arrivés à cette conclusion ?

Pierre Bentata : Les chercheurs observent les réactions des partenaires américains en créant deux groupes aux réactions différentes, ce que l’on fait très souvent quand on fait de l'analyse statistique en économie. Le premier groupe est celui des « répondants » (responder), il comprend les pays qui vont mettre en place des mesures de rétorsion (retaliator) qui vont mettre en place des mesures de rétorsion (11 pays dont le Canada, la France, l’Italie ou encore l’Uruguay) et les pays qui menacent de la faire (threatener) parmi lesquels on trouve une vingtaine de pays dont le Royaume-Uni ou la Belgique. Le second groupe, celui des non-répondants (non-responder) n'a pas manifesté une volonté de contre-attaquer lorsque les Etats-Unis ont mis en place cette réglementation protectionniste. Résultat sur une liste de 10 principaux produits, les exportations américaines vers les « retaliator » ont chuté de 33% et celles vers les « threatener » de 20%. Or ces pays « répondants » représentaient la majorité des exportations américaines. Les exportations vers le groupe plus passif ont elles peu évolué.

Cela est logique. Le conflit créé par la mise en place de barrières protectionnistes tarit le flux d'échange. Du pays qui subit la régulation protectionniste vers le pays qui se protège, on a une baisse des exportations. De l'autre côté, le pays qui au départ mettait en place des mesures protectionnistes va rendre plus difficile les exportations de ses propres entreprises vers l'étranger. On essaye de réorienter l'économie vers un niveau national mais la contrepartie de ça, c'est qu'on a moins d'échanges.

À Lire Aussi

Guerre commerciale États-Unis /Chine : les secrets de la stratégie de Pékin

A quoi peut mener ce tarissement des échanges ?

Déjà, moins de création de richesse. Un des rares consensus parmi les économistes est que l'échange, en favorisant la spécialisation, une plus grande diversité de produits et en élargissant la gamme des consommateurs, va promouvoir de l'innovation et va faire qu'on dépasse la frontière de production. C’est-à-dire que la capacité à produire individuellement de deux pays augmente et dépasse les capacités propres de chaque pays lorsqu’ils se mettent à échanger. Ensuite sur le plan politique, les consommateurs auront tendance à considérer les partenaires commerciaux comme des adversaires. Une concurrence commerciale saine peut se transformer en une lutte qui peut dégénérer en conflit ou en repli nationaliste.  « Partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce », disait Montesquieu.

Quel impact ont eu les représailles sur le marché américain et sur les américains eux-mêmes ?

A partir du moment où on met en place des mesures protectionnistes, on protège certains secteurs au détriment du reste de l'économie. C'est ce qu'on voit dans les conclusions de l'étude. Lorsque vous avez une baisse de l'intensité des échanges avec des mesures de représailles imposées par les autres pays, une grande partie de l'économie est perdante.

L'effet produit est une réallocation de la richesse. Les secteurs protégés par le protectionnisme sont gagnants car ils ont nécessairement moins de concurrence de par l'augmentation des prix ou la limitation des quantités de produits venues de l'étranger. Mais ils ne sont gagnants que si ces secteurs étaient déjà compétitifs auparavant. Si les consommateurs préféraient de toute façon ce qui venait de l'étranger, ils se retrouvent avec moins de bien ou moins de diversité. Résultat, s'ils veulent continuer d'acheter des biens étrangers, ils devront payer plus cher. Les autres entreprises sont lésées. Si les consommateurs ont une obligation de dépenser plus d'argent dans ces biens qui coûtent plus cher, ils vont allouer moins de budget pour les autres consommations. Les premières victimes sont donc effectivement les consommateurs. 

À Lire Aussi

Et la grande victime de la guerre commerciale entre États-Unis et Chine est d’ores et déjà... l’Allemagne

Comment expliquer que des petits pays (comme l’Uruguay après 1930) répliquent ?

On voit bien que mettre en place des mesures protectionnistes ne relève pas de la rationalité économique. Il y a une composante politique ou stratégique qui entre en jeu. Ce qui s'applique pour le gros pays qui met en place les mesures protectionnistes existe aussi dans le pays moins puissant ou en développement. Dans ces pays aussi, les gouvernements ne devraient pas, dans l'intérêt de leur population, mettre en place des mesures protectionnistes. Mais comme la mesure du pays opposé est vécue comme un affront ou un défi politique, les gouvernements (qui ne subissent pas les coûts et les font porter à leur population) sont tentés de réagir. C'est une façon de montrer qu'on compte sur la scène internationale. La crainte est que ça se pérénise.

Est-ce que cela signifie qu'aussi grand et puissant un marché soit-il, on reste sensible à de la rétorsion dès lors qu’on met en place des barrières douanières ?

Tout à fait. Même un pays qui est à cette époque la puissance hégémonique du monde peut souffrir de mécaniques de représailles qui sont fortes et ce même de la part de partenaires qui seraient en position de faiblesse pour négocier. 

Quand on regarde avant la première guerre mondiale ou dans l'entre-deux guerres, à chaque fois ce sont des gros pays qui ont commencé à tordre le jeu de la concurrence internationale (parce qu'ils avaient l'impression de se faire rattraper par d'autres pays, de subir un déclassement ce qui est la tendance aux Etats-Unis et en Europe aujourd'hui) ; Cela pousse les autres pays à adopter un discours selon lequel s'ils s'appauvrissent, c'est de la faute des "gros" et des "riches". Le risque est de provoquer un refus global de la mondialisation et d'ouvrir un nouveau chemin vers le nationalisme économique. 

À Lire Aussi

Et le bilan de la guerre commerciale initiée par Trump avec la Chine n’est... pas fameux

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !