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Grève mondiale pour le climat : ces confusions qui polluent le débat public sur les défis environnementaux
©Reuters

Mobilisation

Alors que va s’ouvrir la 51e session du GIEC, un appel mondial à la grève pour le climat a été lancé. Or les discours sur des questions liées au climat entretiennent parfois certaines confusions déjà présentes dans l’opinion.

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Tristan Kamin

Tristan Kamin

Tristan Kamin est ingénieur en sûreté nucléaire. Son compte twitter : @Tristankamin

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Atlantico.fr : Dans quelle mesure y a-t-il une confusion, selon vous, entre croissance économique et dérèglement climatique ?

Ferghane Azihari : Il y a aujourd’hui effectivement une confusion faite entre croissance économique et dérèglement climatique. Cela dit, cette confusion se comprend, dans la mesure où la littérature scientifique penche vers un réchauffement climatique de nature anthropique. Mais une fois qu’on a dit cela, on a rien dit. La vraie confusion concerne les impacts du réchauffement : elle consiste à dire que le changement climatique va entraîner un effondrement. En effet, ceux qui prédisent la fin du monde prennent le contrepied d’une littérature scientifique et économique, qui montre que les dommages que l’on essaye d’évaluer avec plus ou moins de certitudes sont des coûts qui restent maîtrisables.  Le réchauffement climatique pourrait conduire à une réduction de 5 à 9% du PIB mondial. C’est donc quelque chose de maîtrisable. C’est un scénario qui reste beaucoup plus enviable que l’hypothèse d’une décroissance.

Rappelons en effet que la croissance économique n’est pas un caprice de bourgeois. C’est quelque chose qui délivre à l’humanité des avantages humanitaires considérables, sur le plan sanitaire, sur le plan de la nutrition, sur le plan de l’illettrisme. Tous les progrès humanitaires réalisés ces deux derniers siècles depuis les premières révolutions industrielles proviennent de cette croissance économique. La question du changement climatique revient à un simple calcul coût avantage. Est-ce que les dommages que l’on s’épargne en décarbonant brutalement l’économie sont supérieurs aux bénéfices que l’on tire de cette croissance économique qui se fait certes au prix de certains compromis environnementaux ? La réponse est non.

En ce sens la décroissance n’est absolument pas justifiée, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui une corrélation évidente entre la croissance économique et sa résilience face aux défis environnementaux. Il y a aujourd’hui une chute libre des victimes de catastrophes naturelles notamment grâce à la croissance économique. Plus un pays est riche, plus il est capable de résister face aux tornades, aux tremblements de terre, aux inondations, à la montée des eaux. Plus il est riche, plus il a des ressources pour investir dans la protection contre les risques du futur. Décroître n’est pas  vraiment un bon calcul.

N'y a-t-il pas une confusion dans l'opinion entre les énergies primaires qui se renouvellent à court terme (rayonnement solaire, vent, courants marins) et les énergies renouvelables, comme système de transformation de ces énergies en électricité ? En quoi cette confusion entretient-elle l'idée que les énergies renouvelables ne sont pas polluantes ?

Tristan Kamin : Les énergies primaires sont toutes les énergies présentes dans l’environnement et exploitables : rayonnement solaire, énergie cinétique du vent et de l’eau, chaleur de la combustion du bois ou des hydrocarbures fossiles, et chaleur de la fission nucléaire.

Certaines peuvent être exploitées par l’Homme sans changer significativement leur abondance, parce qu’elles se renouvellent perpétuellement et rapidement à l’échelle humaine. On peut les représenter sous la forme d’un flux continu, dont on prélève une petite fraction, mais qui est alimenté en permanence. D’où l’appellation, peu courante mais pourtant très appropriée, d’énergie « de flux ». ll s’agit de l’énergie solaire, éolienne, hydraulique.

D’autres se renouvellent à des vitesses si lentes qu’à l’échelle humaine, c’est imperceptible : ce sont le gaz, le pétrole, le charbon. En pratique, autant dire qu’elles ne se renouvellent pas. Et enfin, il y a l’uranium qui ne se renouvelle pas du tout, et à des échelles de temps cosmiques, il va même en diminuant, spontanément. Ces énergies peuvent être, par comparaison aux énergies de flux, être appelées énergies «  de stock ».

Il y a deux cas particuliers : l’hydraulique, qui peut être en partie transformée en énergie de stock grâce aux barrages, et la biomasse (bois, déchets verts, etc.) qui est une énergie de stock mais renouvelé par un flux. Ce flux est toutefois assez lent pour que les activités humaines l’absorbent entièrement.

La nature « de stock » ou « de flux » des énergies primaires, que l’on simplifie souvent en « renouvelable » ou « non renouvelable », sont des notions qui ne portent que sur l’abondance de telle ou telle forme d’énergie dans la nature. Une grosse erreur que nous avons faite est de coller des étiquettes « bien » ou « mal » en fonction de cette nature, de manière très anthropocentrée sans tenir compte d’autres critères, environnementaux, comme, naturellement, l’intensité carbone.
Ainsi, le bois, le charbon de bois, sont des « de flux », renouvelables, donc dites « énergies vertes ». Brûler du bois, même s’il faut le prélever aux forêts tropicales, c’est vert. L’énergie nucléaire, par contre, c’est une énergie de stock, donc considérées de la même manière que les énergies fossiles, quand bien même les performances environnementales de l’énergie nucléaire (impact carbone, pollution, consommation de ressources…) sont excellentes.

Si l’on veut parler de performances environnementales, une notion graduelle de « durabilité » serait probablement plus appropriée que la notion binaire de « renouvelable ». Dans ce package « durable » on prendrait évidemment la nature de stock ou de flux, mais aussi la durée potentielle des stocks, l’impact sur le climat, la biodiversité… Et tout ce qu’on pourra juger pertinent. Peut-être une mission à confier au nouveau Haut Conseil pour le Climat ?

En quoi surestimons-nous aussi les risques sanitaires liés à la pollution face aux risques sanitaires qui existent dans des pays certes moins « polluants » mais surtout moins développés ?

Ferghane Azihari : Le récit décroissant entretient l’illusion qu’il y aurait d’un côté les civilisations industrielles riches et développées qui seraient des enfers environnementaux, et les sociétés préindustrielles qui seraient des havres environnementaux. C’est une vision qui est fausse. Celui qui tient ce genre de discours n’a jamais mis ne serait-ce qu’un orteil dans un pays en voie de développement. Certes les pays préindustriel émettent beaucoup moins de CO2, c’est évident. Mais ces sociétés connaissent des fléaux environnementaux beaucoup plus graves, qui sont typiques des sociétés dites primitives. En Afrique par exemple, les maladies diarrhéiques et les problèmes respiratoires côtoient la malnutrition comme principales causes de mortalité. En effet, les pays pauvres n’ont pas les infrastructures nécessaires pour assainir l’eau qui crée des maladies diarrhéiques. Et comme ils n’ont pas l’électricité, ils s’étouffent en faisant la cuisine. Ce sont des pollutions que nous avons connues aussi. Il ne faut pas croire qu’il y aurait d’un côté des sociétés pauvres qui seraient propres et des sociétés riches qui seraient sales.

Les sociétés riches connaissent d’autres problèmes environnementaux, bien entendu, elles ne sont pas parfaites. Mais tout le développement industriel a consisté à échanger des fléaux environnementaux qui devenaient insupportables contre des maux environnementaux qui sont plus doux. Je prends un exemple : la diffusion des usines dans les métropoles européennes a fait apparaître de nouvelles pollutions de l’air, avec le dioxyde de souffre. Mais qui aujourd’hui remettrait en question la révolution industrielle ? Qui aujourd’hui oserait avancer que ces pollutions étaient insupportables compte tenu de tous les progrès humanitaires qui sont advenus en contrepartie de ces usines dans le domaine de la santé, de la nutrition, de la mortalité infantile, de la lutte contre la famine ? C’est toujours un calcul coût bénéfice. La balance coût bénéfice, dans le long terme, est indiscutablement en faveur des sociétés industrielles.

Y a-t-il une confusion entre climat et météo, entretenue pour exacerber les effets du réchauffement climatique ?

Ferghane Azihari : Je laisse la question climatique aux chimistes et aux physiciens. Je ne peux pas m’exprimer sur les liens entre météo et climat, c’est-à-dire entre des phases conjoncturelles et les moyennes de températures.

En revanche, ce que je peux dire, c’est que vous avez aujourd’hui une instrumentalisation de la météo par des intellectuels qui, par anticapitalisme, ont intérêt à exacerber les constats que l’on dresse sur la gravité de la situation et à nous vendre un scénario apocalyptique, parce que cette eschatologie est un moyen pour eux de démanteler une civilisation industrielle, capitaliste, occidentale, qu’il exècrent. Il y a des intellectuels qui font de l’écologie politique le nouveau réceptacle de leurs aigreurs anticapitalistes et qui sont prêts à tout pour délégitimer ce système. Ils s’arment d’idées comme le fait de considérer la nature comme un sujet, comme une sorte d’entité immanente que l’homme n’aurait plus le droit d’instrumentaliser à son profit. Si vous considérez que l’arbre est l’égal de l’homme, vous délégitimez toutes les institutions liées au capitalisme : la propriété privée, le commerce, la technologie, etc. C’est la même chose pour la critique de l’anthropocène. Qu’est-ce que l’anthropocène ? C’est la puissance que l’homme a acquise et qui lui a permis d’exercer une influence considérable sur la nature et sur le monde biologique. Tout ceci est teinté de religion, mais ce discours apocalyptique ne correspond pas au destin qui est promis aux sociétés industrielles. Elles ont connu des problèmes beaucoup plus graves que le réchauffement climatique. La civilisation industrielle a les moyens d’en relever le défi. 

Existe-t-il une confusion entre danger nucléaire militaire et risque sanitaire du nucléaire civil ? Qu'est ce que cela entraîne ? 

Tristan Kamin : Des problèmes d’image, avant tout. 

Le nucléaire, c’est la bombe, ses centaines de milliers de morts à Hiroshima et Nagasaki, ses millions de morts potentiels pendant la Guerre Froide… Donc pour certains, le risque nucléaire (civil) c’est une explosion, voire une chaîne d’explosions dévastatrices. La perception du risque nucléaire est tordue par la terreur de l’Arme.

Il y a l’aspect politique aussi :le nucléaire civil, en France, trouve indéniablement ses origines dans le militaire et sa discrétion. Nos premiers réacteurs dérivaient de ceux qui servent à créer du plutonium militaire, nos réacteurs actuels dérivent de ceux qui propulsent le porte-avions et les sous-marins nucléaires, le procédé de retraitement du combustible usé a été inventé pour extraire le plutonium à des fins militaires…

Il fut une époque où dire que le nucléaire civil n’était qu’une facette du nucléaire militaire était justifié, où la culture du secret de l’un s’étendait sur l’autre…

Toutefois, aujourd’hui, les filières civile et militaire sont très nettement séparées l’une de l’autre. Mais les discours de l’époque se sont perpétués, et le sentiment de « on nous cache tout » peine à s’effacer malgré les efforts de transparence énormes et croissants demandés à l’industrie nucléaire civile. L’abondante documentation mise à disposition du public est peu connue, donc par défaut, l’industrie est considérée opaque comme l’est le nucléaire militaire.

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