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"Il est grand temps d’aérer la démocratie française !"
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Coup de gueule

Arnaud Dassier qui souhaite se présenter aux législatives dans le Loiret a décidé de quitter l'UMP suite aux difficultés rencontrées dans sa quête d'une investiture. L'occasion pour lui de réfléchir aux défauts d'un système français verrouillé et sclérosé, incapable de se renouveler avec du sang neuf.

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier

Arnaud Dassier est entrepreneur, actif en Ukraine depuis 2006, ancien élève du DEA d’études russes de Sciences Po, et marié à une femme d’origine ukrainienne.

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J’ai réalisé à l’occasion de ma demande d’investiture à quel point le système politique français était devenu un syndicat de professionnels et de rentiers de la politique, un système féodal dirigé par des barons locaux, qui fonctionne à l’ancienneté et au copinage, de plus en plus déconnecté de la population et peu représentatif de sa diversité. Plusieurs amis socialistes font exactement la même analyse concernant le PS.

Néo-féodalisme

La décentralisation, le cumul des mandats, le scrutin majoritaire et l’alignement des élections législative et présidentielle ont donné un pouvoir démesuré aux barons locaux, capables d’imposer leur volonté et leurs hommes aux appareils nationaux. Ils sont indéboulonnables. Leur avenir est déconnecté de celui de leur parti au niveau national, voire contradictoire (une défaite nationale étant généralement la promesse de victoires locales aux élections intermédiaires). Et, depuis le quinquennat présidentiel, ils ont presque tout pouvoir sur les investitures parlementaires car il est impossible de se fâcher avec eux et de perdre leur soutien pendant l’élection présidentielle. Comment expliquer autrement l’impuissance du PS face à des élus locaux qui ont mis en coupe réglée les Bouches-du-Rhône, le Pas-de-Calais et que je ne sais quel autre département … ?

Ces barons locaux cumulent des mandats parlementaires et les principales responsabilités locales. Ils contrôlent les élus communaux et cantonaux comme des clientèles grâce aux subventions cruciales pour des collectivités dépensières. On le voit avec les pressions de plus en plus fortes, et efficaces, qui sont exercées sur eux pour les dissuader d’apporter leurs signatures aux différents candidats à l’élection présidentielle.

Gérontocratie

Indéboulonnables et cumulards, ces barons locaux ont bloqué efficacement le renouvellement depuis 20 ans. L’Assemblée nationale s’est peu renouvelée depuis 1993 et a vieilli rapidement, avec une alternance des mêmes parlementaires des 2 côtés de l’échiquier. Avec une moyenne d’âge de 59 ans, l’Assemblée nationale française est, de loin, la plus vieille d’Europe, et se rapproche de l’âge moyen du Sénat (65 ans). Ce qui est logique puisque le mode de désignation, par cooptation entre élus locaux, est désormais le même. En France, il y a 1 parlementaire de moins de 40 ans pour 9 de plus de 60. Ce rapport est de 3 en Italie, et de 0,4 en Suède !

Cela pose évidemment un problème de représentativité, mais aussi de modernité de la législation. C’est le signe d’un pays tourné vers le passé, conservateur, qui privilégie la rente plutôt que le changement et l’innovation. Alors que le pays est en faillite après 30 ans de mauvaise gestion, on peut légitimement se demander si l’on peut entrer dans une nouvelle ère et régler les problèmes en s’appuyant sur ceux qui les ont créés.

Médiocratie

Les barons locaux sont assez puissants pour empêcher l’émergence de jeunes talents qui pourraient menacer leur position. Ils décident de la distribution des mandats et rentes politiques locales, privilégiant généralement leurs amis, les plus loyaux, les moins dangereux, ou les plus dociles. Cela pose également un problème en termes de profils de parlementaires. Les caractères sont écrêtés par le long parcours initiatique qu’on vous impose. Les jeunes idéalistes deviennent de vieux cyniques, professionnels de la politique, dont l’objectif est d’éliminer les concurrents internes pour faire carrière.

Ces défauts sont très humains, mais notre système institutionnel, loin de les compenser contribue plutôt à les favoriser en altérant la capacité de renouvellement du jeu démocratique (cumul des mandats, scrutin majoritaire, décentralisation, absence de démocratie interne...).

Au final, nous aboutissons à une Assemblée nationale de super conseillers généraux, plus préoccupés de solidifier leur position locale avec leur mandat national que de faire de la bonne législation. Le mandat local est en effet plus intéressant et plus valorisé que le national, largement vidé de son intérêt par la Ve République et le régime présidentiel. D’où une recrudescence de parlementaires qui s’investissent surtout localement, et parviennent à faire 20 ans de mandat sans laisser leur nom sur une seule loi.

Avec la domination croissante de ces parlementaires « hyperlocaux », on s’éloigne de l’expression de l’intérêt général. Quand on voit la gestion des collectivités locales, qui ont fait exploser le montant des dépenses publiques et des impôts locaux depuis 30 ans, à l’inverse de la très relative politique de « rigueur » de l’Etat, on peut légitimement se demander si cumuler un mandat de parlementaire national et d’élu local n’est pas aussi une forme de skyzophrénie, voire de conflit d’intérêt. L’intérêt général (économiser) et les intérêts locaux (dépenser) sont en effet souvent antinomiques.

Les élus nationaux vous expliquent que leur mandat local leur donne l’expérience du terrain. Certes, mais n’importe quelle profession, la vie en général, vous donne également une expérience du « terrain ». Ne serait-il pas plus enrichissant pour la représentation nationale qu’elle rassemble une plus grande diversité de parcours, de professions, d’âges et de sexes ?

Que faut-il faire pour régénérer cette République française vermoulue et condamnée par son échec de gestion aujourd’hui patent à travers la faillite financière et psychologique de notre pays ?

-          Interdire le cumul des mandats, pour casser le professionnalisme politique, élargir le nombre et la diversité des élus et empêcher les conflits d’intérêts entre le national et le local

-          Revaloriser le rôle des parlementaires, notamment en leur donnant les moyens de contrôler la bonne gestion des dépenses publiques sur le terrain, dans les administrations…

-          Obliger les fonctionnaires à démissionner de la fonction publique après leur élection, afin de rétablir l’égalité de situation avec le secteur privé, et limiter les conflits d’intérêts (défense du secteur public, pantouflage….)

-          Appliquer des règles transparentes et démocratiques de désignation des candidats dans les partis politiques (primaires), mais cela relève du libre arbitre des partis et de la vigilance de leurs adhérents.

-          Rétablir une part de scrutin proportionnel, afin d’ouvrir le jeu démocratique au niveau des partis, et de permettre l’émergence de quelques talents différents du prototype uniforme actuel.

Il faut mettre fin à la domination exclusive des deux mêmes partis politiques, qui a favorisé un véritable encroutement de la démocratie entre deux « clans » qui pensent être propriétaires du pays et de leurs offices. Le pouvoir leur est dû et ils n’ont qu’à attendre la défaite de l’autre camp pour le détenir à nouveau. Une défaite nationale n’est pas si grave, car elle assure généralement une victoire aux élections locales. C’est ainsi qu’on voit des barons locaux qui n’hésitent pas à jouer contre leur propre camp. Tout cela a conduit à un appauvrissement du débat politique, de plus en plus réduit à des attaques supposées affaiblir l’adversaire unique, et à un déchainement des ambitions personnelles et divisions intérieures dans chaque camp. Le pouvoir devant vous revenir inévitablement, votre principal problème devient d’éliminer vos concurrents à l’intérieur de votre parti.

Le renouvellement ne pourra pas venir de l’intérieur, car seuls les profils les plus dociles survivent dans cet environnement gérontocratique et oligarchique ou seule l’obéissance aux mâles dominants est -parfois- récompensée. Les meilleurs renoncent rapidement à cette terrible et médiocre compétition de lenteur, et se consacrent à leur réussite professionnelle et familiale, autrement plus heureuse et gratifiante.

Face à un système aussi verrouillé, la seule solution est de renverser la table en portant au pouvoir une personnalité nouvelle, libre de toutes ces agrégations d’intérêts corporatistes, de tous ces réseaux, nationaux et locaux, politiques et économiques, qui se sont progressivement développés sur le corps immobile du bipartisme à la française. Un nouveau président qui aura besoin, pour assurer son indépendance politique, de faire émerger, lors de l’élection législative, une nouvelle génération ; une nouvelle équipe de France, fraiche et enthousiaste, moderne et représentative, qui renouvellera les pratiques et sera capable d’imaginer de nouvelles solutions adaptées à ce nouveau monde qui émerge sous nos yeux avec cette crise systémique historique qui signifie un véritable changement d’ère.

NDLR : Arnaud Dassier est l'un des actionnaires minoritaires d'Atlantico. 

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