Grand déclassement et mobilité sociale : le paradoxe français<!-- --> | Atlantico.fr
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La dernière note de l’Observatoire du Bien-être a permis d'étudier la réalité de la mobilité sociale perçue par les Français.
La dernière note de l’Observatoire du Bien-être a permis d'étudier la réalité de la mobilité sociale perçue par les Français.
©Valery HACHE / AFP

Perceptions des Français

La dernière note de l’Observatoire du Bien-être a permis d’étudier la réalité de la mobilité sociale perçue par les Français. Les citoyens se représentent leur société comme très inégalitaire. La France fait néanmoins partie des pays dont les habitants sont les plus nombreux en moyenne à penser avoir progressé par rapport à la position sociale de leurs parents.

Mathieu Perona

Mathieu Perona

Mathieu Perona est Directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP (Centre pour la recherche économique et ses applications).

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Atlantico : La dernière note de l’Observatoire du Bien-être a étudié la réalité de la mobilité sociale perçue par les Français. Le point de départ de l’analyse souligne que les Français ont le sentiment d’appartenir à une société inégalitaire dans laquelle ils occupent une position médiane. Dans quelle mesure s’exprime ce sentiment ?

Mathieu Perona : Dans la note précédente intitulée « La France des classes moyennes ? », les Français se disaient appartenir majoritairement à la classe moyenne, avec 30% des individus qui étaient dans le quintile de revenus le plus faible ou le plus élevé. Il y avait donc un fort taux d’erreur. Mais quand on leur demandait d’évaluer la forme de la société française, ils comparaient celle-ci à une forme de pyramide – avec une grande classe populaire à la base, une classe moyenne plus resserrée et une élite encore plus resserrée. Il y avait une incohérence et une image de la société qui était décalée par rapport à la réalité. On s’est interrogés pour savoir si cet écart était spécifique à la France. La part de ceux qui estiment que notre pays a une forme de pyramide est plus élevée que dans d’autres pays étudiés dans l’enquête. Des pays très inégalitaires comme la Finlande, le Danemark, l’Islande et la Suisse ont beaucoup moins cette représentation. 

Cependant, près de la moitié des Français se voient sur une mobilité passée ou future ascendante. Comment expliquer le lien entre les deux phénomènes ?

L’erreur intervient quand on passe de l’individuel au collectif. Sur l’individu, les personnes font moins d’erreurs que sur le collectif. On a cherché à savoir si cela était lié au sentiment d’une France immobile ou en chute libre, c’est-à-dire à la crainte du déclassement, de descendre sur l’échelle sociale. On se rend compte que la France fait partie des pays où on a le sentiment d’une mobilité sociale, avec une progression ressentie par rapport aux parents et une marge de progression élevée (« ma situation va évoluer positivement dans les années à venir »). On ne le constate pas dans un grand nombre pays, comme en Allemagne, en Suisse ou au Royaume-Uni, où une partie de la population anticipe une dégradation de leur situation. De manière générale, un quart de la population française estime que la situation va se dégrader, un autre quart pense que leur situation restera stable, et la moitié estime que leur situation va s’améliorer.

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Quel est le profil des Français qui se voient dans la mobilité ascendante et ceux qui se voient dans une mobilité descendante ?

Par rapport aux parents, le quintile le plus pauvre (en dessous de 1100 euros nets de revenu) estime que leur position est inférieure à celle de leurs parents. Chez tous les autres, il y a un net sentiment de progression de la position sociale. Les seuls individus qui estiment que leur situation peut reculer à l’avenir sont les plus riches. Il y a un effet de génération. Chez les plus pauvres, on trouve des jeunes peu qualifiés et débutants. Dans les échelons les plus élevés, les personnes anticipent une forme de régression de leur statut social (ceux notamment en fin de carrière ou dont les parents avaient une haute position sociale très élevée). En revanche, il n’y a pas de groupe où un fort sentiment de déclassement existe. À travers tous ces résultats, on observe tout le contraire du discours selon lequel les classes moyenne inférieure et populaire ont la crainte du déclassement. 

Comment peut-on expliquer le sentiment de déclassement au sein de la société française ?

La peur d’une régression sociale en haute de l’échelle peut s’appuyer sur des éléments objectifs. Notre hypothèse est celle qui repose sur l’existence d’une peur collective du déclassement. Les Français sont relativement confiants sur leur avenir personnel, mais restent pessimistes sur l’avenir collectif.

Constatez-vous une corrélation entre la perception de la mobilité et la représentation que les gens se font de la société ?

Oui. Les Français qui voient la société française comme une pyramide ont le sentiment d’une moindre marge de progression que ceux qui voient la société française comme plus égalitaire. Dès lors qu’on quitte cette vision d’une très large base de gens les plus pauvres (classes moyenne et inférieure), et quelle que soit la vision qu’on se fait de la société, les Français se voient en progression par rapport aux parents, mais de manière inégale en termes de quantité.

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Vous observez que c’est à droite que la mobilité ascendante est perçue comme la plus forte. Quelles en sont les causes ?

On constate une interaction entre les trajectoires personnelles et les représentations politiques. Les caractéristiques de la droite reposent sur l’idée que la trajectoire individuelle est liée au mérite personnel alors que la gauche mise sur les déterminants sociaux. il y a une cohérence entre une vision de droite et le sentiment de progression. Mais de nombreuses hypothèses ne peuvent pas être testées : on sait qu’une partie de la droite française est constituée de personnes qui viennent d’un milieu populaire et qui ont largement bénéficié des Trente Glorieuses. Elles ont donc énormément progressé par rapport à la génération de leurs parents.

Sur un plan politique, est-ce que cela veut dire que la problématique doit se poser davantage au niveau collectif ?

Au niveau collectif, il y a clairement un problème de représentation de la société. Il y a un décalage entre les trajectoires sociales qui sont mises en avant dans le récit collectif et les trajectoires sociales ressenties au niveau individuel. Ce constat est relativement cohérent avec l’étude sur la mobilité sociale publiée récemment par l’INSEE. On reste dans une société où il y a eu une progression majoritaire des carrières. Le récit a longtemps nié l’existence de cette partie de la population et a grossi l’effet du déclassement, favorisant le populisme et l’extrême-droite. Il faut donner la parole à ceux qui ont progressé afin de déboucher sur une offre politique plus équilibrée. Mais je ne sous-estime pas la peur du déclassement puisqu’elle concerne un quart de la population française. 

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