Menace pour l'indépendance énergétique
Funeste religion de la transition
La filière nucléaire en France a été fragilisée par le sabordage du projet SuperPhénix, par les gestions du dossier de Fessenheim et du projet ASTRID ainsi que par les difficultés liées à l’EPR Flamanville au nom de la transition énergétique.
André Pellen
André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.
Si l’invocation du concept flou de transition écologique continue de n’être reçue que comme un slogan politique, la planification à grande échelle et à marche forcée d’une transition énergétique prétendument préventive est pure folie. Depuis des temps immémoriaux, l’une et l’autre transition structurent symbiotiquement la condition d’un homo sapiens à la fois agent et objet des mutations permanentes d’un univers en constant devenir dont, de toute éternité, l’instabilité physique et biologique est entretenue par des forces cosmiques et par les mutations et interactions de toute nature de ses constituants dont l’humanité fait partie.
Aux premières lueurs de ce troisième millénaire, qu’y aurait-il donc de vraiment nouveau sous le Soleil, pour que le plus présomptueux des constituants d’un écosystème aussi susceptible que le substrat biologique et minéral de la planète Terre croie pouvoir s’emparer impunément et en aveugle des commandes d’un tropisme grégaire dont la dérive peut mettre à mal sa propre pérennité ? De toute évidence, l’homme prétendument nouveau a perdu de vue que la civilisation n’est que la sophistication indéfinie dudit tropisme et sûrement pas sa réinvention consistant à en bouleverser l’algorithme naturel. Jadis, sur l’île de Pâques, un puits n’aurait jamais été déserté au prétexte qu’à moyen-long terme son eau était réputée menacer gravement la santé de ses consommateurs, en l’absence de quasi-preuve et/ou sans s’être auparavant assuré de l’existence d’un puits inaltéré, capable de pallier l’abandon du premier. Si nécessaire, faisant preuve d’une prudence éprouvée, les Rapa Nui auraient même exploité ce dernier jusqu’à son épuisement pronostiqué, quels que pussent être les risques encourus à retarder la « disposition sanitaire » préconisée, voire à s’en dispenser définitivement.
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En matière de transition énergétique, tout commença avec la domestication du feu, vers - 450 000. À cette époque, l’instinct de survie guidait tous les actes d’un humain guère différent des autres représentants du règne animal, ne lui laissant guère le loisir de se projeter au-delà de l’instant présent. Les choses commencèrent à changer quand, dotés du statut de sapiens depuis 150 000 ans, nos ancêtres parvinrent à domestiquer le cheval vers - 3500, alors que l’âge de l’agriculture, du travail du bois, de la pierre et des métaux avait déjà 4500 ans. Dès lors, commencèrent à poindre les premières ébauches de programmation pluriannuelle d’énergie solidement arrimées au bon sens, à la rationalité et à lucidité de concepteurs n’ayant pas le moindre droit à l’erreur, sous peine de famines et/ou de guerres.
Quelques millénaires plus tard, en dépit du supplément énergétique apporté dès le moyen-âge par l’exploitation des moulins à eau et à vent, le train de vie de nos semblables n’avait que peu changé, au sens où l’ère dans laquelle ils demeuraient était celle du soulagement mécanique de la pénible condition matérielle inhérente aux tâches domestiques, artisanales et agricoles du quotidien ; un modeste soulagement que, seules, l’énergie animale, la combustion sylvestre et l’énergie solaire indirecte et forcément diffuse pouvaient apporter. Dieu merci, au début du 19ème siècle, notre Sadi Carnot national donna le signal de la rupture scientifique qui allait ouvrir l’ère du confort énergétique quelques décennies plus tard, en établissant les bases de la thermodynamique débouchant sur la thermomécanique, c’est-à-dire la transformation directe de l’énergie thermique en énergie mécanique.
Grâce au recours massif à la machine à vapeur, sous toutes ses formes, l’ère du confort énergétique prit un essor fulgurant au milieu du 19ème siècle, faisant entrer l’Europe de plein pied dans une première révolution industrielle nourrie par l’exploitation des gisements charbonniers. Au début du 20ème siècle, la seconde révolution industrielle – l’ouverture de la première à un large accès populaire par la domestication de l’électricité – coïncida avec la mise au point du moteur à explosion et avec la prodigieuse exploitation planétaire des hydrocarbures en ayant résulté.
La troisième révolution industrielle venue enrichir les sources énergétiques de cette ère du confort qu’il est vital de faire perdurer – nous y reviendrons – apparut au lendemain de la seconde guerre mondiale : l’avènement de l’énergie nucléaire. Celle-ci n’est qu’une forme incomparablement rentable d’énergie thermique qui, avec l’énergie hydraudique, continue et continuera longtemps de couvrir l’essentiel des besoins de l’humanité. Toutefois, si l’énergie hydraulique ne se recueille que sous une forme mécanique majoritairement convertie en électricité, la thermique peut être exploitée de diverses façons consitant à consommer directement la chaleur nucléaire ou de combustion ou à transformer celle-ci en énergie mécanique, puis possiblement électrique, à l’aide de turbines à vapeur ou à combustion, d’alternateurs et/ou de moteurs de toutes technologies…
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Ainsi, l’approvisionnement en énergies thermique et hydraulique de nos sociétés est-il suspendu à l’accès aux gisements primaires desquels elles sont tirées, de préférence les plus rentables : les hydrocarbures, l’uranium, les cours d’eau et les marées. Partout démontré, le caractère largement accessoire des gisements éolien, photovoltaïque, biomassique et autre géothermique ne permet pas de les inclure dans l’inventaire des productions énergétiques sur la disponibilité etsurle niveau de production desquels un pays peut significativement compter. Il en va de même d’un hydrogène fallacieusement vendu comme une source d’énergie primaire.
Dès lors, comment un gouvernement moderne, digne de ses responsabilités, peut-il légitimer de ne pas concevoir toute programmation pluriannuelle d’énergie en termes de stocks et de flux d’énergies primaires à approvisionner et/ou à consommer sur la durée, aux meilleurs prix et aux meilleurs volumes garantis ? Un tel devoir est pourtant celui auquel se dérobent les pères et les mères spirituels de la pasionaria Greta Thunberg ayant investi Élysée-Matigon depuis des décennies, dans une indifférence pour ne pas dire une complaisance générale que, seule, la récente explosion bien méritée des prix du KWh est parvenue à secouer.
Ces artisans du crédo LTECV de Ségolène Royal n’hésitent plus à s’asseoir ouvertement sur les devoirs élémentaires de leurs charges, au nom de la pénitence qu’on ne sait quelles malédictions climato environnementales infligeraient à une humanité réputée dans la repentance. De fait, ce sont les fils, les agents et plus probablement les idiots utiles de l’internationale de la transition énergétique orientée à dessein(s), qui sévit un peu partout depuis la fin des années 80. Ils ont pullulé et pullulent encore dans toutes nos administrations présidentielles et gouvernementales dont aucune ne peut racheter l’autre de ses âneries, de son incurie, de son impéritie et même d’un clientélisme ne reculant devant aucune infâmie pour pallier électoralement tant d’infirmités.
Non contente d’avoir vidé le garde-manger scientifique, technique et industriel copieusement rempli par les administrations précèdentes, partout tari les gisements de compétences nécessaires au maintien d’un haut niveau de savoir-faire techno industriel et privé l’entretien de ce dernier du moindre chantier de travaux pratiques, cette faune politique a de surcroît acheté deux élections au prix du sabordage de SuperPhénix et de Fessenheim, a jeté le projet ASTRID au panier avec le presque milliard d’euros déjà consommé et a préparé avec un soin particulier l’actuel chemin de croix de l’EPR Flamanville.
Sans surprise, la filière électronucléaire française se trouve aujourd’hui au bord de la ruine. Or, il faut compter 25 à 30 ans pour passer de la phase conception à la phase SAV d’un cycle industriel comme celui autrefois planifié par Pierre Messmer ; et encore, à condition de disposer au préalable d’un écosystème industriel, scientifique, technique et même artisanal de la qualité de celui dont jouissait la France au début des années 70. C’est pourquoi, en rivalisant d’ambition quant à la reconquête électronucléaire, les programmes de certains candidats à la Présidence font certes renaître l’espoir chez les professionnels concernés, mais les laissent un peu dubitatifs.
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Hélas, le mal frappant l’industrie nucléaire depuis 30 ans a également frappé une exploitation des hydrocarbures obéissant à un cycle de même durée que le sien. Non contente d’avoir dissuadé toute velléité nucléaire, l’internationale dont il est question plus haut est politiquement parvenue à décourager toute initiative de prospection, de forage et d’exploitation de nouveaux puits pétroliers, partout dans le monde. Résultat, nos gouvernements inspirés de droite et de gauche ont fini par réussir le tour de force de précipiter durablement leur pays dans la précarité énergétique et de placer un approvisionnement gazier et pétrolier devenu vital et hors de prix directement sous les fourches caudines d’une géopolitique périlleusement localisée. Certes, nos voisins, eux aussi, n’échappent pas aux avatars de cette condition énergétique dont ils sont les premiers responsables, mais on aurait pu et aurait dû en épargner l’essentiel à une France correctement nucléarisée.
Quoi qu’il en soit, la déjà ancienne schizophrénie consistant à méconnaître que 80 % de l’énergie consommée dans le monde est d’origine fossile ne semble pas avoir souffert plus que ça de ces avatars. Chez nous, elle touche même à un paroxysme proche de la suicidaire fuite en avant dans des centres de décision où la LTECV et la diabolisation du pétrole sont plus que jamais d’actualité, où l’on va jusqu’à prévoir la prohibition des voitures à moteur thermique avant 2035…
À l’évidence, le syndrome babylonien menace aujourd’hui des communautés entières de notre planète, dont les habitants ont perdu de vue que cette dernière est dans l’Univers comme l’île de Pâques dans l’océan. Pour perdurer, sa civilisation a aussi intrinsèquement besoin d’une énergie non rationnée que, jadis, les Rapa Nui de suffisamment d’eau. Le parallèle est spécialement choisi par l’auteur de ces lignes pour prendre le total contrepied de la catéchèse écologique ambiante et affirmer que l’actuelle humanité ne peut perdurer sans avoir constamment accès à une énergie la plus abondante possible, quelle qu’en soit la nature. Outre que l’énergie est à l’origine de tout et rend tout possible, y compris l’artificialisation de tout et l’annhilation de tous les préjudices environnementaux, du fait ou non de l’humanité, mettant ou non son biotope en danger, elle alimente la totalité des fonctions actives et passives d’un organisme social devenu à la tribu primitive ce que le corps humain est à l’amibe.
Dorénavant, le confort énergétique s’impose comme absolument nécessaire à donner les moyens de subsistance les plus élémentaires à une population mondiale si nombreuse qu’il est devenu impossible de toute l’employer dans les seuls secteurs primaire, secondaire et tertiaire de l’économie traditionnelle. C’est grâce à une énergie électrique s’insinuant dans les moindres recoins de la planète, des plus isolés aux plus urbanisés, que peuvent déjà naître les innombrables petits métiers accessoires, voire futiles permettant à des milliards de nos semblables de mener une vie décente. Bref, de la conquête de l’espace à la vente d’eau glacée sur les plages, en passant par la numérisation généralisée de sa société, point de salut, à l’avenir, pour une humanité énergétiquement anémiée.
Cette dernière a donc l’obligation de se débrouiller comme elle veut, mais, pour l’heure, de prévenir d’une manière ou d’une autre l’anémie qui menace. Ça tombe bien : dans l’attente des prodigalités de la fusion nucléaire, la filière RNR des surgénérateurs à neutrons rapides – les SuperPhénix pour faire simple – a ce qu’il faut sur étagère, en matière de combustible :2000 tonnes de plutonium 239 à extraire des 200 000 tonnes de combustibles usés en attente de retraitement à travers la planète et quotidiennement enrichies d’une bonne centaine de tonnes ; 1,5 millions de tonnes d’uranium appauvri grossissant chaque année de 50 000 tonnes, sans compter les gisements planétaires d’uranium naturel dont l’extraordinaire potentiel n’est pas près d’être épuisé.
Songeons qu’un tel pactole énergétique pourrait alimenter pendant plusieurs milliers d’années un vaste parc mondial de réacteurs RNR dont au moins une bonne centaine pourraient d’ores et déjà être démarrés avec la quantité ci-dessus mentionnée de plutonium. À elle seule, la France pourrait disposer d’une totale autonomie électrique de 3000 à 5000 ans, avec ses 250000 tonnes d’uranium appauvri en stock !
Seul préalable accessoire à tout ça : il faudrait se dépêcher de donner de nombreux frères au surgénérateur russe BN 800 et, toutes affaires cessantes, ressusciter un SuperPhénix, via ASTRID ou non, ce que, sans surprise, Chinois, Indiens et même Américains sont en train de faire et à quoi les Japonnais n’ont jamais renoncé…
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