Fraudes à la CMU : ce rapport explosif de la Cour des comptes passé presque inaperçu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Fraudes à la CMU : ce rapport explosif de la Cour des comptes passé presque inaperçu
©

Pauvre Etat-providence

En date du 3 juin courant, la Cour des comptes a rendu public un rapport relatif au "Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie".

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Cette discrète production est en fait d'une importance non négligeable car son contenu condense les difficultés visant deux dispositifs : celui de la CMU-C et de l'ACS.

Autrement dit, il détaille par le menu, avec vigueur et rigueur, les aléas qui affectent la politique de la Couverture maladie universelle complémentaire et celle de l'aide au paiement de garanties contractuelles d'assurance (ACS).

De cette communication de la Cour obtenue sur demande initiale de la Commission des Finances du Sénat, il faut retenir huit points saillants.

1)  Toutes les populations éligibles ne sont pas bénéficiaires

2)  L'équilibre financier est rompu et un déficit de 2 milliards se profile

3)  Des sous-déclarations de ressources existent et faussent les attributions

4)  Présence d'une surconsommation de soins délicate à expliquer

5)  Des refus de soins non sanctionnés

6)  La lourdeur des démarches d'instruction de dossiers

7)  Les recommandations de la Cour

8)  Un fiasco à la française ?

L'ensemble des éligibles ne sont pas tous bénéficiaires, loin de là

"Un non-recours toujours massif, malgré les actions mises en œuvre pour le réduire" est une des conclusions de la Cour. Si le nombre de titulaires de la CMU-C est passé de 4,2 à 5,2 millions de personnes (entre fin 2009 et fin 2014), le non-recours est estimé" entre 28 et 40% de ses bénéficiaires potentiels soit entre 1,6 et 2,7 million de personnes".

Même type de constat pour l'ACS où le nombre de bénéficiaires est passé de 0,4 million (fin 2005) à 1,2 million à fin 2014 tandis que les bénéficiaires potentiels sont estimés entre 1,9 et 3,4 millions. Il y a donc un non-recours qui atteint entre 59 et 72% des éligibles.

De deux choses l'une, soit cette politique d'aide aux plus démunis est peu féconde, soit elle est fondée et dès lors, il faut bien convenir qu'elle n'a pas rendez-vous avec son public destinataire et que le mot d'échec du Législateur doit être affronté sans tabou.

L'équilibre financier est rompu et un déficit de 2 milliards se profile

Les choses sont évidemment clairement démontrées par la Cour qui souligne que" le montant des ressources est tributaire de l'évolution du produit de la taxe de solidarité additionnelle" et qu'un déficit de près de 2 milliards est fort probable à horizon 2017 – 2018.

Soit la charge actuelle de ces deux dispositifs, ce qui en dit long sur le défi à résoudre puisque l'on sait qu'il manque, de surcroît, des éligibles à l'appel.

Des sous-déclarations de ressources existent et faussent les attributions

Si des bénéficiaires potentiels ne sont pas inclus dans le dispositif, celui-ci est victime de passagers clandestins, c'est-à-dire de fraudeurs qui établissent des minorations dans leurs déclarations de ressources.

En section IV de sa synthèse, la Cour énonce :"Les modalités de gestion de la CMU-C et de l'ACS sont lourdes et complexes pour leurs demandeurs comme pour les caisses d'assurance maladie et ne garantissent pas l'attribution (ou le rejet) à bon droit des demandes, lesquelles sont par ailleurs affectées par des risques élevés d'irrégularités, sinon de fraude."

Plus loin, la Cour émet une sorte de recensement teinté de forte prudence :"Des vérifications plus poussées sur des échantillons de dossiers ont fait apparaître, pour quatre CPAM importantes, une fréquence des anomalies dans l'attribution de la CMU-C au regard des ressources des demandeurs très supérieure (24% par rapport au plafond de ressources de la CMU-C, 14% par rapport à celui de l'ACS) à celle jusque-là anticipée.

A regret, chacun observera que la Cour ne fournit pas un chiffrage indicatif – sur base de projections – de ces anomalies et fraudes.

Présence d'une surconsommation de soins délicate à expliquer

En revanche, la Cour souligne la surconsommation médicale des bénéficiaires et se refuse légitimement à trancher entre la cause issue de la mauvaise santé de ces populations et la cause de l'irresponsabilité face à la gratuité.

La Cour relève"une dépense plus élevée pour les bénéficiaires de la CMU-C que pour les autres assurés sociaux (de l'ordre de 35% en ville et de 110% en établissement hospitalier en moyenne".

Des refus de soins non sanctionnés

La Cour relève la faible proportion de sanctions (prévues par la loi de 1999) en cas de refus de soins issus de praticiens qui ne sauraient oublier que la CMU induit une interdiction des dépassements d'honoraires médicaux et un tiers payant intégral.

La lourdeur des démarches d'instruction de dossiers

En France, tout finit dans la complexité. Ces dispositifs sanitaires et sociaux n'échappent pas à la règle.

Ainsi, absence automatisée partielle de l'application informatique utilisée pour instruire les demandes et autres nous renvoient à un temps révolu.

Et qui alimente le risque de fraude.

"Le montant des ressources des demandeurs à prendre en compte n'est pas calculé automatiquement par l'application à partir de données qui y auraient été saisies, mais déterminé par les agents EN-DEHORS de cette dernière, selon des modalités (tableur, simple calculatrice), non sécurisées et hétérogènes entre CPAM".

Les recommandations de la Cour

La Cour des comptes émet des recommandations sur l'ensemble du spectre des dispositifs examinés : recettes, dépenses, bénéficiaires abusifs, éligibles non atteints, équilibre budgétaire et dynamique démographique.

En page 14, on note :"Une politique active de lutte contre les risques de fraude, dans laquelle la CNAMTS et ses autorités de tutelle se sont désormais engagées, constitue la contrepartie indispensable de l'effort financier consacré par la collectivité à la CMU-C et, si elle connaît le développement qui en est désormais attendu, à l'ACS".

Les magistrats de la rue Cambon recommandent d'apprécier de manière périodique les différents points qu'ils ont traités notamment du fait des corrélations avec le seuil de pauvreté et les interactions agissant sur la notion de plafond de ressources.

Un fiasco à la française

En termes de marketing politique, les ratées liées au ciblage imparfait des populations et à la fraction d'éligibles non atteints constituent la première marche d'un fiasco législatif par-delà la pleine légitimité sociale de ce coup de main aux plus démunis de notre Nation.

Mais entre coup de main et coup de Jarnac, il y a bien le fossé que nous impose la lucidité. Le rapport de la Cour démontre que le système est encore sous échafaudages et que d'aucuns en tirent profit : là aussi, cela constitue un pan de ce fiasco à la française.

Comme le besoin social est incontestablement avéré – et partagé par notre analyse – il n'en demeure pas moins urgent de revoir l'horlogerie avant que le temps ne plonge tout ceci dans des déficits à hauteur de 3 fois les économies réalisées récemment sur la politique familiale...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !