Flirt avec le désaveu : d’Ukraine en législatives, le difficile printemps d’Emmanuel Macron <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a accordé un entretien à TF1 en marge de son déplacement en Ukraine.
Emmanuel Macron a accordé un entretien à TF1 en marge de son déplacement en Ukraine.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Ohé ohé capitaine abandonné

Emmanuel Macron a accordé une interview à TF1, à l’issue de son voyage à Kiev. Quelle est la portée nationale de cet entretiens à quelques jours du second tour des législatives et alors que 70% des Français ne souhaitent pas qu'il ait une majorité, selon un sondage Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron a donné, à l’issue de son voyage à Kiev, une interview à TF1. Une interview qui portait principalement sur le conflit ukrainien. Quelle image a-t-il renvoyé ? Quel impact peut avoir cette interview ? Quel intérêt pouvait-elle avoir pour le président ?

Christophe Bouillaud : Une image tout à fait classique pour un Président français dans ce genre d’exercice obligé de communication lors d’une visite importante à l’étranger. L’impact sur le public de cette interview sera sans doute simplement de confirmer la stature présidentielle d’Emanuel Macron, mais cela n’apprendra vraiment rien à personne.  Macron est bel et bien le Président de la République,  il participe à la vie internationale et il habite au final très classiquement la fonction. Du coup, l’intérêt pour le Président est simplement de se rappeler au bon souvenir des électeurs. 

Quelle articulation explicite comme implicite avec une campagne a-t-il pu faire dans ses réponses ? Quelle est la portée nationale de cette interview à quatre jours du second tour des législatives ?

D’une part, c’est en quelque sorte l’apothéose du Semestre français de Présidence du Conseil de l’Union européenne qui se finit dans quelques jours à peine. De manière tout à fait cohérente, en soutenant désormais l’entrée à terme de l’Ukraine dans l’Union européenne, en contradiction cependant avec sa propre idée dilatoire de « Communauté politique européenne » proposée il y a quelques semaines à peine, il s’est montré comme le « bon Européen » en acte, ce qui correspond à l’un des invariants de son aventure politique nationale depuis 2016, à savoir le soutien sans faille à l’idée européenne. Or dans le cadre de cette idée, tous les Etats du continent européen ont vocation à faire partie un jour, proche ou lointain, de l’Union européenne.

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D’autre part, il a demandé à disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale vu l’urgence de l’heure. Là encore que du classique pour un Président français sous la Vème République. Il y a toujours eu depuis 1958 des urgences qui demandent que la France ait un chef et ainsi une direction claire. Il a donc fait appel à l’un des points forts de ce régime, la stabilité politique qu’il offre, par opposition aux spectres toujours présents dans certains esprits de la Troisième et de la Quatrième Républiques, défuntes républiques censément handicapées par l’instabilité ministérielle.

Ces deux messages porteront sans doute sur les deux segments qu’il entend mobiliser pour le second tour des législatives : d’une part, son noyau dur, les électeurs proprement « macronistes » (LREM-Renaissance, Modem, Agir, Horizons) qui sont très favorables à l’Union européenne ; d’autre part, tous les électeurs de sensibilité conservatrice de droite ou de gauche, qui acceptent les vertus du présidentialisme fort de la Vème République. Cela a été dit en plus dans le cadre du journal télévisé de la première chaîne de télévision, dont l’audience est certes large, mais déportée sur les âges élevés qui sont justement les personnes les plus susceptibles d’aller soutenir la majorité présidentielle dimanche prochain. C’est là sonner le rappel de la Vielle Garde.

Comment le Macron jupitérien qui aimait se complaire dans l'admiration qu'on lui a si souvent renvoyée sur la scène internationale peut-il vivre avec le désaveu des Français qui sont 70% à ne pas souhaiter qu'il ait une majorité, selon un sondage Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro ?

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Il le vivra très bien du moment qu’il aura une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Rappelons tout de même qu’Emmanuel Macron n’a jamais été très populaire depuis son élection en 2017, que son parti a perdu toutes les élections intermédiaires et qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, il a certes eu 28% des suffrages, mais qu’il n’aurait pas gagné au second tour sans le rejet par l’électorat de son adversaire d’extrême-droite.  Bref, il sait très bien gouverner sans avoir une majorité sociologique de l’électorat derrière lui, il lui suffit en bon légaliste d’une majorité politique. Ainsi, avec autour de 25% des voix au premier tour des législatives marquées par l’abstention d’un électeur sur deux, la majorité absolue de députés Ensemble ! de 2022, si elle existe, sera fondée sur une minorité sociologique. Cela dérangera-t-il Macron ? Cela m’étonnerait vraiment. Il ne veut pas être aimé, il veut gouverner, nuance. Il sera certes cependant déjà un peu gêné par le fait que sa majorité d’élus Ensemble ! correspondra à une pluralité de partis, pour ne citer que les plus importants, LREM-Renaissance, Modem, et Horizons. Il risquera tout de même plus la défection de l’un d’entre eux, se retrouvant ainsi dans une situation semblable à certains de ses prédécesseurs de droite à la Présidence ou à celle de Hollande avec ses « frondeurs » au sein du groupe socialiste de l’AN.   

Par contre, si Macron doit avoir une majorité seulement relative, cela l’énervera passablement, car, pour gouverner, il lui faudra nécessairement passer des deals avec les élus LR. C’est le seul allié envisageable à ce stade. La question devient alors : sera-t-il en mesure d’obtenir leur soutien individu par individu, comme avec les ralliements d’Abad ou de Woerth, ou devra-t-il négocier avec le parti LR en tant que tel? Dans le second cas, l’addition risque d’être salée, car, s’ils restent un groupe cohérent, capable d’assurer le passage des lois et du budget, les LR peuvent exercer un vrai pouvoir d’extorsion à leur profit. Avant d’en arriver là, on risque sans doute de voir se dérouler une lutte fratricide entre LR- ralliés guidés sans doute par N. Sarkozy et les LR-fidèles à leur indépendance. Ces derniers auront intérêt pour tenir la ligne à se rappeler qu’ils constituent la composante française du Parti populaire européen, et que leurs partis-frères savent négocier ce genre de deals. 

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Peut-il être « chef dans la tempête » et plus largement chef de l'Etat malgré cette volonté de Français de ne pas lui donner de majorité ? Faute de représentation qui leur convienne, le Président n’est-il pour les Français qu’un « régent » n’ayant vocation qu’à gérer les affaires courantes…?

Oui, malgré cette faible assise sociologique, il peut tout à fait continuer à être Jupiter, surtout s’il a une majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est beaucoup moins clair s’il doit composer dans le cadre d’une majorité relative avec les LR. Ces derniers pourraient alors se faire le relais de tous les mécontentements montant dans le pays, tout en obtenant les mesures qui leur plaisent et affaiblir ainsi le Président. Mais, comme je l’ai dit, ils peuvent aussi tous se rallier pour quelques postes ministériels.

 De fait, je ne crois  pas que les Français veulent un régent ayant vocation à gérer les affaires courantes. Ils restent trop imprégnés de l’idéologie de l’homme providentiel, de ce mythe De Gaulle qui en est l’illustration.  Par contre, ces derniers sont assez divisés sur la marche à suivre pour être incapables de donner dans leur majorité sociologique leur assentiment à quelque leader que ce soit. C’est bien cela le problème de fond : aucune offre politique n’est assez englobante pour rallier à elle une majorité sociologique d’électeurs.

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