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Femmes refoulées ici ou là : discrimination et amalgame
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Indignation collective

Le récent reportage de France 2 pointant certains établissements refusant l'accès à des femmes a remis sur la place publique la question du vivre-ensemble dans certaines zones de France.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Et c’est encore un nouveau drame qui frappe l’Humanité et qui touche les Français, notamment les élu(e)s dans leur chair : on continue de refouler des femmes de certains lieux.

Dissipons un malentendu tout de suite : je ne parle pas ici de la mésaventure de Cécile Duflot qui n’est pas parvenue à rejoindre la Syrie et a été refoulée à la frontière turque. D’une part, interdire l’accès de civils à un territoire en guerre n’est pas absurde, même si on peut regretter qu’une Duflot trottinant dans les riantes agglomérations syriennes aurait offert une cible de choix pour l’un ou l’autre sniper local. D’autre part, je veux plutôt parler ici des femmes refoulées de certains lieux privés. Or, rien n’indique vraiment que Cécile Duflot soit une femme.

Passons donc, et revenons sur le cas récent d’un reportage de France 2, diffusé le 7 décembre dernier, qui expose le cas enquiquinant de ces bars et de ces cafés, dans certains quartiers — que certains qualifient courageusement de "sensibles" — et dans lesquels les femmes ne sont définitivement pas les bienvenues. Dans ce reportage, l’équipe de journalistes a suivi deux militantes de la "Brigade des mères" dans une banlieue de la région parisienne, qui utilisent le procédé de caméra cachée pour montrer que, dans certains établissements, seuls les hommes peuvent entrer.

Sans surprise, le reportage a rapidement déclenché une salve de réflexions de tous les bords de l’échiquier politique. Il aurait été impossible cependant de ne pas noter que ce reportage a été mis en exergue avec son style inimitable par nul autre que Robert Ménard, le maire de Bézier dont tous les médias n’oublient pas de rappeler les accointances frontistes :

Pour les politiciens du bon camp, celui du Bien, il s’agit avant tout de ne pas faire d’amalgame : Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique, estime ainsi que c’est un problème de discrimination et pas de culture, de religion ou de laïcité.

Ah, ouf, on est tout de suite rassuré. S’il ne s’agit que de discrimination, tout va bien ! Pas la peine d’ameuter toutes les associations féministes, le CRAN et tout le TralalaLICRA, puisqu’il ne s’agit que de discrimination.

Cependant, tout le souci est de conserver un peu de cohérence à l’édifice féministe, vivrensemblophile et laïco-inclusif-mais-pas-trop que ce camp du Bien s’emploie à bâtir à grand coup de truelle médiatique et de ciment législatif bien gluant.

Eh oui : il faudrait, pour bien faire, obtenir la même dose d’outrance, le même déferlement médiatique, la même colère juste et le même emportement des politiciens que lorsqu’il y a quelques mois, deux femmes voilées se faisaient jeter d’un restaurant et publiaient sur Internet la vidéo de leur expulsion. Pour rappel, cela avait déclenché quelques navrants exercices de style journalistique, qu’on sera bien en peine de trouver pour la nouvelle occurrence présentée par France 2. Pour rappel toujours, Laurence Rossignol avait alors saisi son petit Twitter à pleine main et n’avait pas hésité à lui faire cracher un petit touite de derrière les ragots fagots :

Sapristi. On se demande bien (et très rhétoriquement) pourquoi une telle différence de traitement. Pourquoi diable notre brave Rossignol n’a pas pépié une nouvelle fois et fait appel à l’une ou l’autre association festive lucrative sans but pour aller claquer le museau de ces cafetiers misogynes ?

Deux femmes laïques vaudraient-elles moins que deux femmes pas laïques ? S’outrer pour les unes et pas les autres, voilà qui met, quelque peu, mal à l’aise, ne trouvez-vous pas ? Décidément, ce n’est pas simple de vivre en République du Bisounoursland !

Qu’il est difficile, dans ce pays, de savoir s’il faut fustiger la discrimination et prendre le risque de glisser dans l’amalgame, ou s’il faut dénoncer l’islamophobie et frôler l’incohérence laïco-incompatible ! Qu’il est devenu complexe d’y comprendre quelque chose à cette doctrine d’un vivrensemble où on s’autorise à ne pas vivre tous ensemble dans certains quartiers, mais où, dans d’autres, c’est tout simplement un crime de lèse-République d’envisager de faire pareil…

On dirait bien que c’est du bon gros n’importe quoi produit par une belle bande d’hypocrites dont la colonne vertébrale idéologique a depuis bien longtemps été dissoute dans le politiquement correct le plus corrosif.

Parallèlement, rappelons que la position libérale est, a contrario, bien plus simple.

Ainsi, dans un lieu privé ouvert au public, on devrait pouvoir choisir qui on accepte ou pas, avec toute latitude. Ceci veut dire par exemple que le patron de restaurant n’aurait pas pu être blamé d’avoir refusé de servir les deux femmes voilées, pas plus que les cafetiers de Sevran ou de la région parisienne n’auraient été inquiétés de leur grasse misogynie.

Cette position implique aussi que le gouvernement n’aurait pas à intervenir (ce qui nous éviterait les consternantes saillies des uns et des autres politiciens médiocres, empêtrés dans leurs contradictions) et d’autre part, que chacun serait libre d’accepter ou refuser telle ou telle population à tel ou tel endroit sous sa propre responsabilité et toujours sans que l’État n’intervienne, puisqu’on parle ici de lieux privés. Si l’État devait intervenir dans ce cas-là, ce serait précisément pour faire respecter les choix clairs des citoyens, dans ces lieux privés (ouverts ou non au public).

Évidemment, cela ruine ce vivrensemble qui n’existe pourtant qu’à force de contraintes. Que voulez-vous, les gens s’organisent naturellement en communautés (comme l’avait d’ailleurs assez bien modélisé Schelling dans les années 70) et il est assez compliqué, sans user de la force, de les en dissuader. Zut et rezut, le rêve constructiviste du Camp du Bien est – encore une fois – une chimère.

Et c’est logique : il n’existe pas de droit à la tolérance. C’est probablement triste, c’est certainement fâcheux, mais il est surtout nécessaire qu’une telle exigence de tolérance ne soit que morale : l’imposition de la tolérance n’est qu’une étape délétère dans le contrôle de la pensée. L’individu, aussi stupide soit-il, doit pouvoir discriminer, c’est-à-dire effectuer un choix, et souffrir toutes les conséquences de ce choix. Et dans ce cas, le jugement moral de la part du reste de la société, un commerce boycotté ou la mauvaise publicité font alors partie des risques possibles et naturels.

L’État, en imposant une tolérance de façade, n’a fait qu’exacerber la rancœur de ceux qui ne peuvent plus exprimer leur choix. Et le gouvernement, les politiciens et les médias qui leur sont inféodés, avec leurs positions incohérentes et leur Deux Poids Deux Mesures permanent, n’ont fait qu’alimenter le discrédit sur cette valeur pourtant essentielle.

Une conclusion s’impose : en France, la tolérance est foutue.

Cet article a également été publié sur le blog d'H16, et est disponible ici.

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