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Faut-il connaître le salaire de ses collègues ?
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Secret défense

L'argent est un sujet tabou en France. Surtout si l'on en gagne beaucoup... Si certains utilisent la transparence totale comme technique de management, ils prennent le risque de développer des tensions au sein de leurs équipes.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Contrairement aux pays anglo-saxons où la transparence est de mise, la divulgation de son salaire est, en France, un sujet tabou. Pourquoi est-ce une honte aujourd'hui de déclarer combien on gagne - surtout si l'on gagne beaucoup d'argent ?

Xavier Camby Il n'y a pas qu'en France que le sujet est tabou. Dans de nombreux pays d'Europe ou d'Asie, en Afrique encore comme en Amérique Latine, les astuces sont nombreuses pour ne pas communiquer sur son salaire réel... Je crois que beaucoup de gens de part le monde ont fait leur cet adage de bonne sagesse, au sujet de leurs revenus : "il vaut mieux faire pitié qu'envie".

Il est important de noter que l'échelle des valeurs aux USA est inversée par rapport à la culture européenne dominante. Dans le Nouveau Monde, une solide réussite matérielle prouverait, comme jadis dans l'Ancien Testament, et sa moralité et sa bonne conduite, en parfaite intelligence avec YHWH, le Créateur. Il ne faut pas oublier la dynamique du puritanisme protestant, celle de "la conquête de l'ouest", toute pétrie de la lecture assidue de la bible, toute animée par la recherche d'un nouvel Eden.

Cette vision des choses procède de ce qu'on appelle la morale de rétribution. Le "juste" reçoit sa récompense dès ici-bas et le mécréant connait sans délai la ruine que méritent ses agissements impies... Il s'agit là d'un fait culturel qui perdure aux USA, tout le contraire d'un jugement de valeur de ma part.

La divulgation de son salaire est-elle une question de culture ? De principe ?

L'influence des comportements professionnels nord-américains, le poids de l'économie des USA et l'importance du modèle de sa "pensée managériale" font que la divulgation des salaires des cadres dirigeants tend à se généraliser, à l'encontre des héritages culturels. Parler de son salaire ou de son revenu annuel au Japon demeure une marque de balourdise ou de goujaterie. Et cependant, la tendance progresse, comme en Chine ou en Russie...

Des principes égalitaristes prennent parfois le relai du libéralisme américain pour exiger la transparence des salaires de nos entrepreneurs. De nos politiciens aussi ? Ou des principaux dirigeants de nos administrations ?

Derrière les questions de principe se cachent le plus souvent des affaires de gros sous. On argue à l'envie de beaux principes pour dissimuler avidité ou prodigalité.

Au sein d'une entreprise, conseillez-vous aux collègues de s'informer de leurs salaires respectifs ? Jusqu'à quel point ? La connaissance des salaires des autres est-elle une source de conflit entre collègues ? A contrario, la communication, poussée à son paroxysme lorsqu'il s'agit de discuter de son salaire, est-elle un signe de bonne santé de l'entreprise ?

"Comparaison n'est pas raison". Il me semble très important de veiller à ne pas stimuler inutilement, dans cette communauté artificielle qu'est une entreprise, les tendances négatives que nous pouvons tous hélas avoir... Et au premier chef, celle de la jalousie !

L'entreprise est le lieu de conflit d'intérêts personnels ou catégoriels. C'est une bonne chose car cela stimule l'invention, la recherche de solutions positives négociées, la création d'une valeur ajoutée originale. Mais du conflit d'intérêts (possiblement très positifs si bien gérés) aux conflitx de personnes, il n'y a qu'un pas. Que beaucoup hélas sautent avec empressement, sans aucun discernement !

Le conflit de personne détruit et la valeur produite dans l'entreprise et ses acteurs (ses fauteurs ?). Dans certains cas, lorsqu'une équipe est réellement soudée (en général par le fait d'épreuves difficiles surmontées ensemble), alors, oui, il est possible de partager sans trouble sur les rémunérations individuelles. Mais je ne crois pas que cela puisse jamais devenir un moteur de motivation au sein d'une équipe.

Le PDG de Whole Food, une enseigne alimentaire américaine, part du principe que si les salariés ont compris quelles fonctions et quels types de performance ont valu à certaines personnes d'être mieux payées, ils sont plus motivés et se dépassent. Ce management vous parait-il crédible ? Si oui, pourquoi n'est-il alors pas davantage développé ?

Encore une fois, dans le contexte culturel très particulier des USA, où le mérite se mesure au salaire (et non pas l'inverse...) ce type d'émulation managériale peut peut-être donner des résultats positifs. Mais il est a noter aussi que c'est dans ce même pays que sont actuellement menées les expérimentations universitaires et scientifiques les plus avancées démontrant que "la prime sur objectif" est authentiquement démotivante dans la plus grande majorité des cas ! Que ce type de "motivation" sonnante et trébuchante (des incentives, en jargon managérial post-moderne) inhibe en fait - dans le monde réel et pour le plus grand nombre - le meilleur de nos aptitudes créatives et collaboratives !

Il semble que la véritable émulation passe davantage par l'accomplissement de performances individuelles ou collectives, par l'apprentissage en commun de savoirs ou de méthodes nouvelles, par les défis à surmonter ensemble que par le fait de maintenir son oeil rivé sur la feuille de paie du collègue !

Nos vrais motivations les plus profondes ne sont pas matérialistes. Si nous avons tous besoin d'un minimum vital - encore que les peuples de nombreux pays nous démontrent que l'ascèse aussi permet la créativité - nos vrais élans intimes, nos ressorts les plus puissants ne sont pas monétaires ni salariaux !

Propos recueillis par Marianne Murat

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