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Le secrétaire national de Europe Ecologie - Les Verts (EELV), Julien Bayou, lors d'un discours lors des "Journées d'été" d'EELV à Grenoble, le 25 août 2022.
Le secrétaire national de Europe Ecologie - Les Verts (EELV), Julien Bayou, lors d'un discours lors des "Journées d'été" d'EELV à Grenoble, le 25 août 2022.
©OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Dogmatisme

Alors que les universités d’été d’EELV s’ouvrent ce jeudi, les différents courants du parti font assaut de propositions qui bien souvent révèlent que l’anti-capitalisme ou le wokisme sont au cœur de leur pensée jusqu’au mépris de la rationalité scientifique permettant une approche réellement efficace des enjeux liés au dérèglement climatique

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

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Atlantico : Alors que les universités d’été d’EELV s’ouvrent ce jeudi, les différents courants du parti préparent le terrain pour les motions pour la direction du parti par diverses tribunes dans les médias, celles-ci tournent autour de la refondation du parti. Comment analyser l’idéologie qui sous-tend ces propositions ?

Pierre Bentata : L’idéologie d’EELV est d’abord basée sur la haine du système de marché. Elle est anticapitaliste et joue sur le ressentiment et les pseudo conflits de classe. C’est de l’anticapitalisme primaire, mais il n’y a rien en rapport réel avec l’écologie ou la protection de l’environnement, ou en tout cas rien en rapport avec les trois piliers du développement durable. A savoir une synthèse entre du social, de l’économique et de l’environnemental. Ce qu’il y a comme force d’attraction dans cette proposition, c’est son caractère révolutionnaire. Il recherche une table rase et conteste tout ce qui a été dit et fait depuis deux siècles. Cela peut être tentant pour les déçus du système qui croient que par ce biais ils seront plus heureux, plus riches et plus égalitaires. C‘est plus qu’un programme politique, c’est une idéologie, une religion séculière comme disait Aron. En cela, il y a une mystique attirante. Les propositions sont absurdes mais le packaging lui est attirant. Et le message est de plus en plus diffusé car les jeunes et les médias s’en font l’écho.

Jean-Paul Oury : On voit de plus en plus de voix d’experts s’élever contre l’idéologie verte… c’est un peu devenu la tarte à la crème. Mais pour répondre précisément à votre question, cela nécessite de s’interroger sur ce qu’est fondamentalement une idéologie et sur ce qu’est l’écologisme (l’idéologie de l’écologie politique) en particulier. Cela fait plus de vingt années que je m’intéresse précisément au sujet et notamment, j’ai soutenu que la querelle des OGM était de nature idéologique (Oury, La Querelle des OGM, PUF 2006). Voici les arguments sur lesquels je m’appuyais : si les écologistes refusaient les OGM c’est parce qu’ils avaient une vision réductrice du concept de Nature (réduite au transfert vertical de l’information génétique) et refusaient la transgenèse végétale qui implique le croisement d’espèces qui ne se croisent pas naturellement. De fait, ils considéraient a priori comme mauvaise toute plante issue de ce procédé. Or c’est une vision biaisée car la transgenèse existe à l’état sauvage et le biotechnicien ne fait que copier un mécanisme que l’on peut observer dans la nature. L’histoire a donné raison aux scientifiques et pro-OGM : on cultive des OGM en plein champ depuis 1996 sans un seul accident et on peut même modifier certaines espèces désormais sans avoir recours à la transgenèse végétale,  ce qui posait un problème à la conception idéologique des anti-OGM qui refusaient la transgression de la barrière des espèces. 

Pourtant, rien n’y fait et les militants écologistes n’ont pas changé leur position. C’est d’autant plus étonnant que cette solution technologique apporte des réponses aux problèmes qu’ils dénoncent (consommation d’intrant, sécheresse, apport de vitamine, possibilité de nourrir l’humanité….) et que contrairement à tout ce qu’ils ont prédit sur cette technologie et les attaques qu’ils ont formulées, rien, absolument rien, ne s’est révélé être vrai. Et pourtant ils continuent de proférer ces inepties et de diaboliser cette technologie qu’ils ont réussi à chasser du continent européen (hormis peut être en Espagne et au Portugal). Je vous renvoie à ce sujet aux dernières études publiées dans la Revue Science dans laquelle des chercheurs Chinois ont identifié des plants de riz modifiés qui présentaient à la fois des grains plus gros et plus nombreux (jusqu'à 40 % de grains en plus) par rapport aux témoins non-modifiés. 

On comprend bien au travers de cet exemple ce qu’est une idéologie. On part d’une vision du monde (quasi religieuse et révélée) que l’on veut imposer  - ici une vision de la nature réduite au transfert horizontal de l’information génétique - et on en déduit des thèses toutes aussi fausses… Autre caractéristique de l’idéologie : on ne prête aucunement attention au retour de la réalité (l’absence de risque des biotechnologies vertes, l’innovation CRISPR qui permet de se passer de la transgenèse…). Dernier petit détail, les idéologues aiment créer des « utopies » : affirmer, par exemple, que l’agriculture traditionnelle (celle qui n’avait recours ni aux engrais de synthèses, ni aux biotechnologies végétales, ni à la mécanisation) pouvait subvenir aux besoins de l’humanité et qu’il serait bien d’y revenir, or c’est totalement faux ! Comme s’accordent pour les dire les historiens sérieux, l’agriculture traditionnelle n’a jamais réussi à subvenir aux besoins des populations de manière fiable (voir les travaux de Vaclav Smill). 

Et là où une idéologie est dangereuse, c’est quand elle veut faire advenir sa vision du monde et est prête à opérer un renversement des valeurs pour y arriver avec comme argument que « la fin justifie les moyens ». C’est pour cela que les idéologues verts, depuis maintenant plus d’un demi siècle, ont réalisé une OPA sur le concept de nature qu’ils se sont totalement approprié et ont fait par la même occasion tomber la science prométhéenne de son piédestal en s’en prenant à ses principaux totems, comme nous l’avons montré dans Greta a tué Einstein (Oury 2020) : il est désormais tabou de modifier le vivant, de fissionner l’atome, de diffuser des ondes ou encore d’avoir à la recours la chimie de synthèse. 

On le voit, finalement, la seule justification de l’écologie politique est politique : or face aux problèmes environnementaux, la politique est totalement impuissante ! A part légiférer, taxer, ou faire avancer leur propre carrière, les politiques écologistes ne peuvent rien…. La refondation d’EELV illustre parfaitement mon propos : il y a une vague croyance à laquelle certains se rattachent au travers de différentes chapelles avec une surenchère d’annonces. La concurrence est terrible entre les candidats car celui qui l’emportera sera celui qui se fera remarquer par l’absurdité de ses propos : regardez par exemple comme le phénomène Sandrine Rousseau a émergé en allant jusqu’à défendre ouvertement les pseudo-sciences et déclarant qu’elle préférait «des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR»…

Tout cela resterait cependant anecdotique si cette manipulation n’avait pas réussi à infester l’ensemble de l’échiquier politique (tout du moins en France ) à un tel point que le président Macron vient de déclarer que la civilisation de l’abondance était terminée. Or ce qui s’est passé, comme je le démontre dans mon nouvel ouvrage à paraître avant la fin du mois, c’est que cette idéologie est à l’origine d’un changement de paradigme qui fait que les politiques ont récupéré et détourné la science à leur compte et de fait, on privilégie de plus en plus la science des législateurs à celle des ingénieurs.

Julien Bayou a déposé une proposition de loi visant à interdire les jets privés, et il n’exclut pas de proposer d'interdire les piscines privées en dernier ressort. A quel point les libertés individuelles sont-elles menacées par le programme écologique, et avec quelle efficacité écologique ? Quel danger politique le programme écologiste représente-t-il pour les libertés et la démocratie ?

Pierre Bentata : Il y a en tout cas un opportunisme certain à jouer la carte anti-riches. c’est une stratégie politique qui peut se comprendre, mais si on appliquait leur stratégie, les plus pauvres souffriraient en premier. La part des dépenses énergétiques est plus importante chez les pauvres. Et il est purement démagogique de viser les jets privés quand la voiture pollue plus. Sortir du nucléaire, et être obligé de se tourner vers le charbon ou le gaz, c’est défavoriser les plus pauvres. Et l’ère de la frugalité, cela revient à détruire des emplois. Et les ménages les plus pauvres seraient les premiers concernés. Le programme des verts ne peut séduire que l’élite culturelle des grandes métropoles.

Si les écologistes arrivent au pouvoir c’est une vraie menace pour les libertés. Aurélien Barreau, une de leur figure de proue, dit lui qu’il est temps de prendre des mesures liberticides. Ce qui compte n’est pas de protéger l’environnement mais de mettre un système de décroissance pour punir l’homme. Leur grande métaphysique se résume ainsi : la nature est parfaite, l’homme ne cesse de la dégrader donc il doit être puni. C’est une idéologie anti humaniste. Julien Bayou disait d’ailleurs ne pas être contre ceux qui transgressent la loi pour protéger l’environnement. Ils veulent punir ceux qui réussissent et donc arrêter l’égalité devant le droit. 

Ce qui est étonnant c’est que cette recette continue à fonctionner. C’est porté par la réalité du changement climatique et de ses défis mais cela révèle surtout à mon sens le manque de confiance dans la science et le progrès technique des autres partis qui pourraient s’opposer à eux.

Jean-Paul Oury : Ce genre de mesures illustre totalement notre propos précédent : le seul pouvoir de l’écologisme (défini comme idéologie politique) réside dans la législation et par conséquent privilégie les mesures sacrificielles … Pourtant notre statut n’a pas beaucoup changé depuis nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Nous sommes toujours dans la situation de devoir nous adapter face aux défis environnementaux… et tout ce que nous proposent les écologistes ce sont des sacrifices, sans même effectuer de calcul risque-bénéfice pour savoir si ils servent à quelque chose. Or non seulement les politiques sacrificielles sont inefficaces mais en plus, elles peuvent induire des comportements trompeurs comme l’explique, par exemple, Lomborg en citant l’exemple de l’émission Ethical man de la BBC : lors de ce programme, un homme a raconté comment lui et sa famille avaient diminué leurs émissions de CO₂. Il a isolé sa maison, vendu sa voiture, réduit sa consommation de viande, et s’est même renseigné sur les enterrements écolos (bien que personne ne soit mort)… au total il a réussi à réduire ses émissions de 20 % avec un coût élevé sur le plan personnel et financier… mais le plus drôle étant qu’il a fini par annuler tous ses efforts en emmenant toute sa famille en Amérique du Sud, explosant ainsi l’intégralité des économies de CO₂ de sa famille. Derrière chaque mesure sacrificielle, il y a un effet rebond. 

Avec les jets privés et les piscines, Bayou a choisi la stratégie du totem…  Il faut quelque chose de visible pour sensibiliser l’opinion et l’empêcher de raisonner. Or, concernant les vols, même si chacun des 4,5 milliards de passagers qui prennent l’avion chaque année restait au sol, et qu’il en aille de même jusqu’à l’année 2100, l’augmentation des températures ne serait réduite que de 0,029 °C (Source false Alarm, Bjorn Lomborg)

Mais vous comprenez la logique : on prétend résoudre des problèmes environnementaux devenus existentiels en faisant de la politique et en mettant tout à fait de côté les opportunités que nous propose la science prométhéenne pour nous adapter face à ces défis. Il y a donc une véritable extorsion et vous avez raison de souligner que nos libertés sont en danger. Car la caste politique qui s’est appuyée sur l’idéologie écologiste pour prendre le pouvoir fait désormais tout pour empêcher l’humanité d’avoir recours aux solutions que lui proposent la science prométhéenne pour s’adapter après avoir réussi à la persuader que c’était cette même science qui se trouvait à l’origine de ces problèmes.


Que ce soir sur le nucléaire, sur la sécheresse ou sur le dérèglement climatique au sens large, à quel point les écologistes tordent le réel pour le faire coïncider avec leur vision politique ? Quitte à proposer des solutions qui ne résoudrait pas la problématique climatique ?

Jean-Paul Oury : Ils ont tordu le réel avec les solutions de la transition énergétiques auxquelles ils ont attribué le label que j’ai appelé « made in nature ». L’illusion étant de faire croire que certaines solutions seraient plus proches de la nature que d’autres - au point d’en oublier que c’est toujours l’homme qui est à la manœuvre - et de fait débarrassées de toutes externalités négatives. C’est ainsi, par exemple, que l’on veut nous faire croire que l’agriculture bio nous permettra de résoudre les problématiques liées au changement climatique et à la biodiversité. Or comme le démontre des experts tels que Philippe Stoop sur le débat land sharing vs land sparing, Gérard Rass au sujet de l’agriculture de conservation des sols ou encore Philippe Joudrier sur les nombreuses externalités négatives ignorées de cette agriculture en général, le recours systématique au Bio impliquera forcément d’avoir davantage de terres à cultiver en conséquence de quoi, elle sera nuisible pour la biodiversité et les problèmes liés au réchauffement climatique en général. Ainsi Joudrier affirme « L’AB obtient des rendements moindres à surfaces égales (d’au minimum 30%), diminuant aussi et simultanément la biodiversité globale. Une étude récente indique qu’il faudrait multiplier par 2,3 les surfaces nécessaires à une production équivalente si on ne faisait que de l’AB ! » 

On pourrait rajouter à la liste de ces solutions, les véhicules électriques, ou encore les énergies renouvelables… mais quand on aura compris que ces solutions « made in Nature » ne sont qu’un cheval de Troie de la décroissance, il sera trop tard. 

Pierre Bentata : Économiquement, rien ne tient la route. Mais sur le plan environnemental non plus. Les écologistes français se retrouvent dans une situation ambiguë où ils ne peuvent pas condamner les comportements allemands. Ils sont tellement anticapitalistes qu’ils préfèrent rejeter une énergie bon marché, écologique et qui permettrait d’alimenter le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui car c’est le nucléaire. Et ça le rend inacceptable. Cela fait qu’ils finissent par préférer la réouverture d’usine à charbon plutôt que de centrales nucléaires. Donc écologiquement ça n’a pas de sens. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils parlent d’énergie verte et non d’énergie décarbonée. Les écologistes sont aussi vent debout contre la fusion nucléaire, ce qui voudrait dire une énergie quasi infinie. C’est quelque chose qui n’est pas sain sur le plan scientifique. L’objectif est de s’attaquer au niveau de vie des hommes. D’abord les plus riches mais à plus long terme tout le monde.   


Dans quelle mesure la lutte contre les changements climatiques nécessite-t-elle, justement d’aller dans le sens inverse de ce que proposent les écologistes ?

Jean-Paul Oury : C’est tout simple à comprendre et je ne m’éterniserai pas : plus vous croissez, plus vous êtes aptes à faire face aux défis du changement climatique. Il y a une citation de Michael Shellenberger qui résume très bien cette idée : « La densité de l’énergie détermine l’impact environnemental. Ainsi le charbon est bon quand il remplace le bois et mauvais quand il remplace le gaz naturel ou le nucléaire. Le gaz naturel est bien quand il remplace le charbon et mauvais quand il remplace l’uranium. Seule l’énergie nucléaire peut approvisionner en électricité notre civilisation à forte consommation énergétique, tout en réduisant l’empreinte environnementale de l’humanité. L’agriculture à forte consommation énergétique, y compris l’aquaculture, crée des perspectives de réduction de l’impact environnemental de l’humanité. » Chaque jour dans le monde des populations croissent en abandonnant des mauvaises sources d’énergie pour passer à d’autres sources qui sont plus efficientes. C’est cela la croissance : on devient plus capable de s’adapter. Il faut se donner les moyens de faire face aux changements climatiques et pour cela il faut continuer de croître et ce n’est pas en sacrifiant la science prométhéenne au profit de la carrière politique de Sandrine Rousseau que l’on y parviendra.

Pierre Bentata : D’abord, il faut reconnaître que certaines choses marchent. De nombreux indicateurs montrent que l’on pollue moins qu’il y a 50 ans, que la qualité de l’air est meilleure, que les fleuves ont regagné en biodiversité, etc. Alors bien sûr, il y a des défis : le dérèglement climatique, l’extinction de masse. Mais les pays qui sont le plus riches et les plus avancés dans la recherche sont aussi ceux qui ont les meilleurs résultats environnementaux. Donc il faut poursuivre et accentuer le mouvement. Faire confiance à la science, continuer avec le nucléaire, travailler à stocker de l’énergie plus efficacement, etc. nous sommes parmi les pays les plus propres du monde selon l’environnemental performance index, et pourtant nous avons des écologistes très radicaux. Mais le résultat de la décroissance, ce sont des performances moins bonnes. Le système que les écologistes veulent changer a permis le découplage entre croissance et émissions. Il faut que nos scientifiques se fassent plus entendre, que les politiques attaquent plus frontalement les discours écologistes et que les médias arrêtent avec le catastrophisme.

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