Fatigue de la concentration : des neuroscientifiques français viennent de comprendre ce que penser produit comme effet pour notre cerveau <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise dans la station de ski de Courchevel dans les Alpes françaises montre une "statue du penseur" de Rodin exposée au sommet de La Vizelle.
Une photo prise dans la station de ski de Courchevel dans les Alpes françaises montre une "statue du penseur" de Rodin exposée au sommet de La Vizelle.
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Efforts

Les activités à forte intensité mentale peuvent être épuisantes. Pourquoi la réflexion nous fatigue-t-elle autant ? Des neuroscientifiques viennent de publier une étude dans la revue Cell Biology sur la diminution des performances mentales avec le temps et sur ce que nous pouvons faire pour prendre soin de notre cerveau.

Mathias Pessiglione

Mathias Pessiglione

Mathias Pessiglione est coresponsable de l’équipe Motivation, cerveau et comportement de l’ICM. Il est coresponsable du programme CogMaster (École normale supérieure, Paris) et psychologue clinicien à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Il est titulaire d’une maîtrise ès sciences en neurosciences et d’une maîtrise en sciences cognitives, d’une thèse en sciences cognitives de l’Université Pierre et Marie Curie (2003) et d’une qualification de psychologue clinicien (2004).

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Atlantico : Nous avons tous remarqué que les activités à forte intensité mentale peuvent être épuisantes. Une longue journée de réflexion, même avec peu d'activité physique, peut donner envie de s'écrouler sur le canapé. Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi la réflexion nous fatigue-t-elle autant ?

Mathias Pessiglione : Ce n'est pas tant la réflexion qui fatigue que ce que nous appelons le contrôle cognitif. Les processus de contrôle sont mis en route chaque fois que le cerveau ne peut pas s'appuyer sur des routines préapprises. C'est le cas quand on réfléchit à un problème (par définition la solution n'est pas connue donc il n'y a pas de réponse automatique en magasin mais aussi dans des situations qui ne demandent pas de réflexion, par exemple une situation sociale où on aurait envie de bailler, de se gratter ou de partir (réponses automatiques) mais on ne le fait pas pour respecter les convenances. Ou encore quand on fait un effort d'endurance, comme un marathon, que la douleur nous commande de nous arrêter (c'est la réponse automatique) mais qu'on continue parce qu'on veut réaliser une certaine performance. 

Une journée où il faut exercer un haut niveau de contrôle cognitif fait travailler en continu des régions du cortex préfrontal. Or les neurones pour communiquer utilisent un neurotransmetteur, le glutamate, qui ne pose pas de problème à faible dose mais qui peut s'avérer toxique à forte dose. Si les neurones fonctionnent en continu, ils finissent pas accumuler du glutamate dans la fente synaptique. Selon nos résultats, ce serait l'origine du phénomène de fatigue : notre cerveau ne peut plus faire face à l'augmentation du glutamate dans le cortex préfrontal et génère un signal qui conduit à nous arrêter de travailler et à nous reposer. Lorsque le cortex préfrontal est mis au repos (a fortiori dans on dort), le glutamate est progressivement éliminé des synapses (soit réintégré dans les neurones, soit convertis en glutamine par d'autres cellules, les astrocytes). 

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Comment avez-vous identifié ce phénomène ?

Par la technique de spectroscopie par résonance magnétique, qui permet de mesurer la diffusion de molécules comme le glutamate. La diffusion est plus rapide dans les espaces ouverts, comme les synapses, que dans les petits comportements, comme les vésicules à l'intérieur des cellules. L'augmentation de la diffusion indique donc la libération du glutamate depuis les vésicules jusque dans la fente synaptique. C'est ce que nous avons observé au cours de la journée dans le cortex préfrontal des participants qui effectuaient des tâches exigeantes (demandant un degré élevé de contrôle cognitif), mais pas chez ceux qui effectuaient les mêmes tâches sur la même durée mais dans une version plus facile. Par ailleurs, la fatigue chez ces participants était manifeste dans des tests où on leur faisait choisir entre plusieurs options possibles. A la fin de la journée, ils privilégiaient les options qui ne demandaient ni attente ni effort, ce qui reflète la fatigue du contrôle cognitif.

La technique  « pomodoro » pourrait nous aider à garder un rythme régulier tout au long de la journée sans s’épuiser. De quoi s’agit-il et comment la mettre en place ?

Je ne sais pas, je ne connais pas vraiment cette technique. A priori elle consiste à planifier des pauses. C'est un peu trivial mais oui, faire des pauses régulières évite l'accumulation du glutamate et donc de travailler plus longtemps sans s'épuiser. Mais je ne crois pas que l'épuisement soit le problème que vise cette méthode, plutôt faite pour lutter contre la procrastination. 

Existe-t-il d’autres techniques similaires qui peuvent nous permettre d’être plus efficaces au travail ? Quelles sont les règles à connaitre pour réduire notre fatigue cognitive ?

Se reposer et dormir ! Il n'y a pas de bonnes alternatives. On pourrait imaginer des interventions biologiques, mais elles sont susceptibles d'entraîner des effets secondaires, et de créer des effets rebond quand on les arrête. On pourrait aussi, à terme, essayer de surveiller l'état de son préfrontal, peut-être avec des électrodes EEG posées sur le cuir chevelu, mais c'est une pure spéculation, il n'y a pas de démonstration qu'un tel système fonctionne.

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