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Le maître mythique de tous les totalitarismes...
Le maître mythique de tous les totalitarismes...
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Devoir de mémoire

Plus de deux siècles après sa mort, Robespierre n'en finit pas de déchaîner les passions. Le Ministère de la culture a finalement décidé ce mercredi d'exercer son droit de préemption lors de la vente aux enchères chez Sotheby's à Paris de manuscrits inédits du révolutionnaire, adjugés à plus de 900 000 euros. La gauche craignait de les voir partir à l'étranger... Mais qui était vraiment l'"Incorruptible" ?

Jean Artarit

Jean Artarit

Jean Artarit est psychiatre, psychanalyste et historien.

Spécialiste de la Terreur et des totalitarismes, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Robespierre (CNRS, 2009).

 

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Derrière la louable intention de garder dans notre patrimoine national, des archives, en effet de très grande importance, on a vu ces derniers jours se déclencher une campagne dont les accents sont ceux bien connus du culte rendu par certains depuis la Révolution française à Maximilien Robespierre.

Sous le titre : Il faut sauver Robespierre !, Pierre Serna, directeur de l’Institut d’Histoire de la Révolution française, s’écrie dans Le Monde, paraphrasant Sade : « Encore un effort pour un achat vertueux, qui donnerait à comprendre ce que peut-être le bonheur dans la République ; nous en avons besoin ! Et encore plus des manuscrits de Robespierre ! » Des manuscrits, à défaut de ressusciter Robespierre lui-même !

Le maître mythique de tous les totalitarismes

En cette dure période de crise sociale et d’enjeu électoral, au moment, aussi, où dans le monde arabe éclatent des événements révolutionnaires, que d’aucuns voudraient bien récupérer, s’élèvent des appels au retour de celui qui, il y a deux cents ans, conduisit la dérive de la Révolution de la liberté et de l’égalité et mit en œuvre la Terreur.

On entend, comme l’an passé au Conseil de Paris, vanter Robespierre, apôtre de l’abolition de la peine de mort, champion de la liberté de la presse, opposant à la guerre, etc… Or c’est-ce même Robespierre qui, après avoir célébré l’Être suprême, a instauré, deux jours après, par les lois de Prairial, la Grande Terreur. C’est lui qui, à la tête du Comité de salut public, a prôné l’extermination presque réussie des populations de la Vendée, a conduit la répression à Lyon, provoqué les tueries d’Arras et d’Orange. C’est lui qui, demandant toujours plus d’effort, après avoir, au nom de la Vertu, fait assassiner Danton et son « vieux camarade de collège » Camille Desmoulins, exigeait, à la veille du 9 thermidor, une accélération des liquidations d’opposants et de « suspects » par le Tribunal révolutionnaire.

Robespierre dont le procès n’eut jamais lieu, puisque les Thermidoriens, ses complices, l’exécutèrent « sans phrases », est, depuis deux siècles, le porte-drapeau d’une révolution toujours en devenir, le maître mythique de tous les totalitarismes de Lénine à Pol Pot. C’est sous son patronage que se rangent ceux qui se proposent de faire le bonheur de l’Humanité pour mille ans, en proclamant le règne de la Terreur et de la Vertu. Pour eux la violence est nécessaire et  il faut faire table rase.

Docteur Jekyll et Mister Hyde

Mais qui était donc Robespierre ? Docteur Jekyll et Mister Hyde, d’un côté contre la peine de mort et de l’autre envoyant à la guillotine des charrettes de plus en plus nombreuses d’innocentes victimes ? Oui, et cette double apparence renvoie à des troubles profonds de la personnalité. Habité par un narcissisme pathologique, incapable d’avoir une vie affective normale, cherchant toujours dans l’autre son image, puis la rejetant, Robespierre est un être profondément souffrant. Mal né - il avait failli être bâtard - mal aimé - par une mère malade qui devait mourir en couche alors qu’il avait six ans - abandonné et déshérité par un père déséquilibré qui disparaît lorsque sa femme meurt, il va grandir dans l’isolement, passant près de douze ans en internat à Louis le Grand, à Paris, loin des restes de sa famille à Arras.

Beaucoup de ses contemporains avaient perçu le côté d’inquiétante étrangeté de sa personnalité. Son orgueil, sa méfiance, la distance froide mise dans ses rapports avec les autres. L’état passionnel de persécution, qu’il va de plus en plus développer, avait été pointé dès Arras, ainsi que sa tendance aux retraits dépressifs qui iront eux aussi en s’accentuant. Son incapacité à s’identifier sexuellement se transformera bientôt en une haine des femmes. Ces dernières, de Marie Antoinette, à Madame Rolland, en passant par Olympe de Gouges, paieront cher cette haine. De plus en plus persécuté - comme Staline - voyant partout des poignards levés contre lui, il s’efforcera à faire disparaître des persécuteurs perçus comme toujours plus formidables. Dans les derniers mois on assistera à la multiplication d’épisodes dépressifs atypiques. Sa fin sera un véritable suicide, dominé par l’inhibition et l’angoisse.

Alors qu’il aurait pu à la Convention répéter l’élimination des députés qu’il pensait le menacer, il n’en fait rien, laissant tous ceux qui se sentaient sous son regard - c’est-à-dire tous - se coaliser, la peur au ventre, pour l’abattre. Le 9 thermidor, alors que toutes les autorités parisiennes et la force armée sont de son côté, au lieu de prendre leur tête, il laisse se déliter la mobilisation contre la Convention. Il finira par tenter de se tuer, mais se manquera.

La France porte Robespierre caché en elle-même

La dérive de l’homme Robespierre est aussi celle de la Révolution. Celle-ci, n’est pas « un bloc », malgré ce qu’en disait Clemenceau, lui-même, d’ailleurs, hostile à la Terreur. Depuis François Furet il semble que l’on en ait pris conscience. Mais la France porte Robespierre caché en elle-même, dans une crypte, comme un fantôme toujours prêt à réapparaître. C’est aux Français qu’il appartient d’extirper ce corps étranger menaçant et d’empêcher le retour de la barbarie. Pour cela il convient que rien ne soit caché.

Il est certain que les manuscrits qui doivent se vendre chez Sotheby’s à Paris aujourd'hui, s’ils devaient ne pas revenir à nos archives nationales contribueraient encore à nourrir la crypte et leur non acquisition permettrait aux « éternels prédicateurs du massacre », pour reprendre la formule, employée en 1793 par le grand psychiatre Philippe Pinel, de réclamer encore et encore que l’on sauve Robespierre.   

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