Exception culturelle : les parents français sont-ils vraiment moins esclaves de leurs enfants que les Américains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une journaliste américaine affirme que les Français sont moins esclaves de leurs enfants que les parents américains.
Une journaliste américaine affirme que les Français sont moins esclaves de leurs enfants que les parents américains.
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French touch

Dans son livre intitulé "Élever bébé : une Américaine découvre la sagesse de l'éducation à la française", la journaliste américaine Pamela Druckerman s'enthousiasme pour ces petits Français "si bien élevés". Cependant, cette "éducation à la française" régresse depuis plusieurs années.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : L'article le plus lu de l'année du journal américain Wall Street Journal reprend un extrait du livre de Pamela Druckerman, une journaliste américaine qui chante les louanges de l'éducation à la française. D'après l'auteure, les Français savent dire non à leurs enfants, contrairement aux parents américains. Existe-t-il réellement une différence dans l'éducation des enfants hexagonaux et américains, ou est-ce une illusion de l'auteur ?

Pierre Duriot :Non cette auteure ne se fait pas d’illusion. Il y a bien une manière anglo-saxonne d’éduquer ses enfants et une manière, à la « française », du moins, à l’européenne du « nord ». Plus globalement, on pourrait dire qu’il y a une forme de tradition française d’éducation à l’ancienne, celle qu’on a appelé « l’éducation par le refoulement » qui consistait tout simplement à repousser les pulsions de l’enfant en imposant la « frustration », par le père, volontiers patriarcal, jusque dans les années 60.

Cette forme a lentement évolué jusqu’à maintenant, attaquée par des processus multiples liés à l’émancipation de la femme, à la consommation, à cette idée fausse que la frustration « traumatise » l’enfant… Il cohabite ainsi, actuellement en France, non seulement plusieurs types d’éducations, mais en plus gradués selon les familles et bien identifiés dans la société. Cette américaine a raison mais je la soupçonne de s’être forgé son idée en ne fréquentant que des personnes d’un certain milieu, auquel elle appartient, pas forcément aisé, mais attaché à cette éducation « française ». En cela elle fait preuve d’une honnêteté intellectuelle, ce qu’elle décrit existe vraiment.

Les parents français peuvent-ils être un modèle à suivre ?

Ces parents qu’elle évoque, oui. D’autant que sa description corrobore une autre étude, menée sur plusieurs années aux Etats-Unis, à propos de  la réussite sociale des jeunes en lien avec leur éducation. Le suivi de ces jeunes montrait clairement que la réussite sociale était liée, plus qu’aux résultats scolaires, à la capacité chez le sujet à gérer à la fois le temps et les affects : en clair à ne pas vouloir tout et tout de suite. Les familles françaises qu’elle a croisées savent parfaitement cela et éduquent préventivement dans ce sens.

Elle vante dans son livre la tenue des petits français au restaurant par exemple, avec juste raison. Mais dans mon travail quotidien, les parents me donnent une autre explication toute simple : « On sait que ça va mal se passer, alors on ne va plus au restaurant ». N’y vont donc sans doute que les enfants qui savent s’y tenir. Cet écrivain n’aurait peut-être pas eu la même perception dans un fast-food.

Selon l'auteur, le fait que les parents français ne subissent pas le stress lié aux économies à faire pour les études de leurs enfants, et aux services de santé beaucoup plus  accessibles dans notre pays, contribue au fait qu'ils trouvent beaucoup plus agréable d'éduquer leurs enfants. Notre modèle social constitue-t-il une aide aux parents dans l'éducation de leurs enfants ?

C’est vrai, la France a une politique de natalité extraordinairement bienveillante, avec ses crèches, ses congés maternité, ses services de santé très fiables, son école gratuite très tôt dans l’âge et son tissu associatif dynamique... Chez les allemands par exemple, pourtant de proches voisins, tout cela n’est pas aussi solidement en place et prendre la décision de faire un enfant est plus mûrement réfléchi. Est-ce mieux ou moins bien, c’est un autre débat. Ceci dit, la situation française ne contribue pas à la « qualité » de l’éducation dans la famille mais à une sorte de sécurisation des parents : ils « travaillent » avec un filet. Cela les « déresponsabilisent » disent les mauvaises langues.

Pamela Druckerman évoque la capacité des parents à ne pas être esclaves de leurs enfants, et l'autonomie de ces derniers par rapport aux enfants américains. Cela change-t-il quelque chose dans l'évolution des enfants à l'adolescence, et dans l'âge adulte ?

Cette éducation « à la française » oui, permet de ne pas être esclave de ses enfants. Mais comme je le disais à la première question, cette éducation est battue en brèche depuis le début des années soixante-dix et régresse au profit d’un autre type d’éducation, plus centré sur la consommation et les « libertés ». Des processus de culpabilisation orchestrée des parents sont à l’œuvre pour les inciter à combler leurs enfants par des biens matériels. Les divorces, nombreux également, se traduisent aussi souvent par des processus de compensation : moins de règles et plus de biens matériels. Il est beaucoup plus facile et tentant d’adhérer à cette ambiance que de résister. Notre société à ceci de schizophrène qu’elle a besoin de citoyens éduqués et responsables pour se perpétuer. Mais elle a aussi besoin de consommateurs pulsionnels pour exister parallèlement en tant que société de consommation.

On ne peut être à la fois l’un et l’autre et les types d’éducation oscillent maintenant entre ces deux considérations. Un enfant supportant la frustration grâce à son éducation, donne un adulte responsable, habile gestionnaire de son budget, c'est-à-dire moins intéressant pour la société moderne qu’un enfant roi devenant un consommateur pulsionnel avide en permanence du dernier gadget à la mode. Et plus un enfant est pulsionnel, moins il est autonome et plus on en devient esclave ! L’évolution des générations que chacun peut constater dans son quotidien vient des proportions relatives de ces schémas éducatifs à l’œuvre dans la société.

Effectivement, les enfants sages, polis et autonomes, dans un restaurant ou un terrain de camping, se remarquent. Cela se transpose évidemment à l’âge adulte, avec ces mêmes proportions en évolution parallèle, selon les générations. Et chacun fait bien la différence aujourd’hui, dans son travail, dans ses relations, lors des entretiens d’embauches, entre les adultes autonomes, ponctuels, sérieux et responsables sur qui il va pouvoir compter, et les autres…

Les Français ont-ils quelque chose à apprendre des parents américains ? 

Je ne sais pas si les français ont à apprendre des américains en termes de proximité. Ils sont déjà très proches de leurs enfants, du moins quand les enfants sont jeunes. Nous avons surtout, tous, américains comme européens, à intégrer de nouvelles composantes sociétales pour garder des liens humains et ne pas laisser nos enfants établir des liens exclusivement factices par l’intermédiaire des nouvelles technologies. Nos parents, dans les années soixante, savaient faire cela, nous faire sentir qu’ils nous aimaient sans jamais nous dire « je t’aime ».

Aujourd’hui, on se dit beaucoup plus « je t’aime » entre parents et enfants à l’occasion de rapports devenus plus « fusionnels », mais on ne prend pas toujours le temps de tisser des liens par le sport, le jeu, le bricolage, la cuisine, les sorties… qui restent les plus sûrs moyens d’apprendre à nos jeunes à vivre ensemble avant qu’ils ne nous quittent.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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